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_En 1892, prenant prétexte d’un léger accrochage avec la canonnière «
Topaze » et arguant du fait que le Dahomey pratique le cannibalisme, les
sacrifices rituels et… la polygamie, la France lance une offensive destinée à
permettre à la civilisation de progresser et à son empire en AEF (Afrique
Equatoriale Française) de s’étendre jusqu’aux possessions britanniques (le
Nigeria).
Les troupes du colonel Dodds (près de 3 000 hommes dont 800 légionnaires,
quelques marsouins (fantassins des troupes de marine) et pour le reste, des
tirailleurs sénégalais) partent de Cotonou (sur la côte) en direction d’Abomey
(capitale du pays située à environ 250 kms au nord, à l’intérieur des terres)
afin de réduire le roi Béhanzin. La guerre de conquête ne sera guère de tout repos
puisque, durant deux ans, les Français devront faire face à une résistance
acharnée des populations locales et affronter un ennemi inattendu qui, en dépit
d’un sens tactique rudimentaire, déploiera un courage qui étonnera les
témoins.
Car voici que, malgré la résistance des
troupes de Béhanzin (22 000 hommes dont 12 500 soldats de métier au début des
hostilités), les Français ont progressé et ils ne sont maintenant plus qu’à 50
Kms environ d’Abomey : nous sommes le 26 octobre 1892. L’armée dahoméenne lance
alors une importante offensive devant le village de Kotokpa. Ce sera
l’avant-dernière et, dira plus tard Dodds dans son journal, « la journée sera
des plus meurtrières »
A l'approche du village, les Français sont
soudainement assaillis par des groupes entiers de… femmes ! Mais pas n’importe
lesquelles : ces femmes sont des guerrières, ce sont les « Amazones » du roi
Béhanzin, une garde prétorienne qui combat avec une énergie étonnante, un
mépris total de la mort et qui est toujours placée en première ligne !
De quoi s’agit-il ?
Le terme « Amazones » va être employé par les
Français par référence aux guerrières mythologiques qu’Hercule du affronter et
dont la reine s’appelait Hippolyte. L’existence de femmes-soldats est attestée
dès le XVIIIème siècle dans cette région. Mais les rois du Dahomey ne donnent
véritablement une impulsion à cette institution qu’à partir du milieu du XIXème
siècle. Ainsi, au moment de la résistance contre les Français (début 1890), le
système des « Amazones » est-il à son apogée et l’estimation de ces troupes
varie-t-elle selon les observateurs entre 800 et 2 000.
_Amazones partant
en guerre en 1793_
Les Amazones (appelons-les ainsi) sont recrutées
en général au début de leur adolescence et sont destinées au métier des armes
qu’elles ont vocation à exercer toute leur vie. Leur entraînement est quotidien
et éprouvant (exercices de tir, parcours du combattant) et se double d’un
conditionnement psychologique et religieux (obéissance absolue, peur du
châtiment en cas de transgression) exercé dans un climat de dévotion complète à
la personne du roi. Naturellement, ce mode de vie exclut toute possibilité de
fonder une famille et ces guerrières sont condamnées à vie au célibat.
Toutes les Amazones sont, bien sûr, (nous sommes
en Afrique), chargées d’amulettes qui doivent les protéger contre les mauvais
esprits et les balles ennemies.
En dépit des efforts du roi
Béhanzin pour le rénover (au début de l’année 1890, le roi a traité avec des
négociants allemands pour échanger près de 400 esclaves destinés au
Cameroun contre 26 000 fusils, 6 canons, 4 mitrailleuses et des munitions),
l’armement de ces troupes, toutefois, est de médiocre qualité. Les fusils sont
des « Chassepots » napoléoniens tandis que les Français
sont équipés du Lebel plus rapide et
plus puissant -).
Sur le plan militaire, elles sont organisées en
5 spécialités dont trois d’infanterie :
. les fusilières («
gulonento ») qui portent une cartouchière à compartiments qui contient de la
poudre dans des feuilles de bananiers ainsi qu’un sabre court (c’est
pittoresque, sauf pour l’ennemi).
. les archères («
gohento ») qui ont vu leur rôle décliner avec l’apparition des armes à feu et
qui servent d’auxiliaires et de porteuses durant les combats
· les « faucheuses »
(« nyekplohento ») qui sont armées d’un énorme rasoir de 45 cms au bout d’un
manche de 60 cms : une arme en fait peu maniable qui ne sera pas utilisée
contre des troupes françaises
· les artilleuses
· l’élite des
amazones : les « chasseresses » sélectionnées pour leur stature et leur force
physique. Leur prestige est grand et leurs officiers portent sur le crâne des
cornes d’antilope attachées par un cercle de fer.
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Elles ne participent que rarement aux combats.
Mais ce sera le cas dans la lutte contre les Français, tant le roi Béhanzin
sent la patrie en danger.
Dans ces conditions, les Amazones sont
contraintes de combattre selon la technique dans laquelle elles excellent : le
corps-à-corps !
Face à des Français dont
les baïonnettes effilées protègent les salves tirées depuis le carré qui est
formé par leurs troupes en cas d’attaque, les Amazones tentent de provoquer un
affrontement rapproché : elles attaquent par des roulés-boulés afin de passer
sous la haie de baïonnettes et de s’immiscer dans les rangs ennemis. Leur
audace étonne et, en cas de réussite, elles ont souvent le dessus en combat
rapproché. Envoyées en véritables commandos dès les premiers accrochages avec
les Français, elles bénéficient de l’effet de surprise lors des premiers assaut
de postes de garde et elles rapportent au roi quelques têtes de tirailleurs
sénégalais sauvagement décapités. Mais rapidement, malgré leur nombre, leur
impétuosité et leur détermination, elles subissent de lourdes pertes.
Au fil des affrontements, l’armée de Béhanzin
décline donc et les rangs des Amazones sont décimés. Les Français progressent,
malgré une guérilla intense, mais ils progressent tout de même.
Le 26 octobre 1892, donc, un violent combat a
lieu à Kotokpa. Malgré leur bravoure, les Amazones ne peuvent contenir les
charges des soldats français. A l’issue d’un assaut mené à la baïonnette, les
Français parviennent à entrer dans le village. La défaite est proche et
quelques guerrières, désormais désarmées, dans un ultime sursaut où se mêlent
désespoir et volonté de maudire l’ennemi, se mutilent en se coupant un sein et
en en frappant leur adversaire !
La chute du royaume dahoméen est désormais
certaine.
En dépit d’un dernier baroud d’honneur devant Abomey, le 17 novembre,
la ville est prise.
Depuis le début de la guerre, les Français ont perdu 85
hommes et 440 ont été blessés.
Les Dahoméens ont laissé, eux, 4 000 morts et 8
000 blessés sur les différents champs de bataille. Quant au 1 200 Amazones qui
combattaient dans les rangs dahoméens en 1890, elles ont quasiment toutes
succombées dans les combats et, en octobre 1892, ne sont plus qu’une
cinquantaine.
Béhanzin fuira à l’intérieur du pays. Sa
guérilla sporadique durera encore deux ans avant qu’il ne se rende enfin le 25
janvier 1894 et soit déporté en Martinique puis en Algérie où il mourra. La
conquête définitive du Dahomey mit alors un terme à l’étrange corps de soldats
féminins que furent les « Amazones » dahoméennes.
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