Synopsis

Scénario 

YOVO, YOVO, BONSOIR……

de

Christophe Verna

  

 

 

 

 

 

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_Premier chapitre_

 

 

Automne 1978, les surplus américains se vendaient plutôt mal sur les marchés du Périgord près de Bergerac, faire le caniche derrière les placiers et les arroser pour mendier une place merdique commençait à me raser au plus haut point.

 

Ces deux facteurs, ainsi que l'hiver pointant le bout de son nez gelé me font prêter une oreille attentive aux propos de mon copain Doudou qui avait ramé tout l’été pour vendre ses « véritables » souvenirs africains.

 

Il repart bientôt au Sénégal par la route, en passant par la Mauritanie dans une 404 Peugeot d'une dizaine d'années ; Achetée 1000 francs français=150€, il la revendra, une fois arrivé, entre 600.000 et 700.000.francs C.F.A*, soit 12.000 à 14.000 francs français = 2134€ après 7 à 10 jours de voyage.

 

Dans ma tête le calcul est vite fait, je me dis que ça rapporterait plus que les marchés, avec l'avantage de voir du pays, d'être au chaud et de ne plus supporter les gueules d'empeignes citées plus haut.

 

Aussi sec, je vais acheter une carte de l'Afrique du nord-ouest ; l'ayant dépliée, je lui demande de me situer la route par où passer, problème, il ne sait pas lire une carte.

 

Cette lacune palliée par une excellente mémoire, je me fais expliquer le chemin, les noms des villes traversées, où passer la Méditerranée, enfin, tous les renseignements que je peux lui soutirer, j'apprends ainsi que les voitures les plus cotées sont des Peugeot 404 plateau ou familiales à carburateurs, ces modèles rustiques et solides permettant de faire des taxis-brousse (premier mot africain appris en ce frileux matin d'automne).

 

Dans le quart d’heure suivant, c'est décidé, nous convenons qu'une fois mon matériel de marché vendu, je me pointerai le voir à Saint-Louis du Sénégal avec un véhicule automobile sorti des chaînes de la maison Peugeot, lui, se chargeant de me le vendre moyennant une commission.

 

Sur ce marché, un type sympa vendait un peu de tout, je lui propose d'acheter mon stock, il passe l'après-midi même le voir et me fait une proposition d’autant plus honnête qu’il paie tout en liquide!

 

Je demande à une amie dont le frère est garagiste s’il peut me trouver une 404 entre 1000 et 2000 francs = 153 € / 307 € en très bon état car la traversée de la Mauritanie comporte une bonne partie de désert.

 

Le lendemain, elle me dit que j'ai de la chance, il est disposé à me vendre sa propre 404 familiale 3000 ff = 457€, c'est cher, mais le type me certifie qu'il s'en sert tous les jours et qu'elle fonctionne parfaitement, je la lui achète, même si c'est le double de ce que je comptais mettre.

 

Préparer les quelques outils dont je disposais, glaner cinq fûts vides de trente litres chacun ; embarquer des affaires dans la voiture, celles que je laisse hors de portée des visites nocturnes, (car j'habite une petite maison isolée), ne me prit qu’une journée.

 

Salut aux amis, dont l’un me demande d’aller saluer son frère à Abidjan, je prends l'adresse pour lui faire plaisir tout en me disant que j'en serais éloigné au bas mot de 2000 kilomètres, puis, par un bel après-midi, je fais monter mon chien Athos (gros bâtard de griffon au poil noir et dru de 35 kilos tout sec) dans la voiture, direction le Sénégal.

 

Aux environs de St-Jean-de-Luz, dans un virage, le voyant d'huile s'allume, pourtant je suis sûr d'en avoir fait le niveau avant de partir ! Après m'être arrêté, je tire la jauge, il manque pratiquement un litre d'huile après seulement 200 bornes, cet enfoiré de garagiste m'a refilé une belle voiture avec le moteur lavé! Que je sois l'ami de sa sœur et l'aie achetée pour partir en Afrique sans en marchander le prix ne l’a pas gêné, quel chien !!!

 

De toutes façons, c'est parti, je continue en me disant que le budget huile qui n'était pas prévu au programme ne va pas faciliter l'entreprise.

 

Dans un supermarché j'achète 5 litres d'huile la plus épaisse possible, quelques boîtes de pâté, du saucisson ; pour casser la croûte sur le pouce, la charcutaille c'est ce qu'il y a de mieux, et, dans les pays musulmans, je pense avoir du mal à trouver l'équivalent.

 

En bas de l’Espagne, traversée de la Méditerranée par Algesiras-Ceuta ; cette dernière ville étant une enclave espagnole en territoire marocain, l'essence et l'alcool y sont détaxés, je fais le plein de mes bidons d'essence, d'huile moteur et achète une bouteille de whisky.

 

A la sortie de la ville, passage de la frontière espagnole fluide, celle du Maroc par contre est encombrée de voitures surchargées, notamment de gros électroménager, je vais à pied chercher une fiche sur laquelle on doit noter les noms, numéro de passeport, de voiture etc.....

 

Je retourne à mon auto, remplis le formulaire tout en avançant petit à petit ; arrivé devant le poste, j’apporte la fiche et mes papiers, le policier appose un tampon figurant une voiture sur une page prise au hasard de mon passeport, ce mépris de la chronologie est courant dans beaucoup de pays africains, avec une prédilection pour les dernières pages dans les pays arabes. Le tampon avec la petite voiture m'obligera à sortir du territoire avec mon véhicule.

 

Les douaniers ne fouillent pas l’auto, me demandent ce que j'ai dans mes bidons, que je passe avec 150 litres d'essence sur la galerie ne pose pas de problème, me voilà au Maroc!

 

Aussitôt, je prends la route direction le Sénégal ; Rabat, Casablanca, il y a des barrages de police régulièrement espacés avec herses commack...!!!

 

Le long de la côte, les pêcheurs lèvent à bout de bras de magnifiques poissons pour les vendre, apparemment, ce sont des dorades et bars.

Les chèvres montent dans les arbres, jusqu’au bout des plus petites branches pour se nourrir des feuilles, souvent rares.

 

Après Agadir, la route devient moins large, un camion à ridelles, bourré de types en goguette, et roulant à tombeau ouvert, déboule au milieu de la route dans un haut de côte, je suis obligé de me balancer sur le bas-côté pour ne pas le prendre en pleine tronche!

 

Des gens font du stop, je finis par prendre un jeune garçon en pleine pampa, nous faisons une cinquantaine de bornes, il me dit habiter une petite oasis, me demande de le déposer chez lui et m'invite à manger, la journée finissant, je me dis que ce n'est pas une mauvaise idée.

 

L'oasis en question n'est pas exactement à côté de la route, le chemin qui y conduit n'est pas des meilleurs, mais pour la voiture c'est une petite mise en train.

 

Après 2 où 3 kilomètres d’une voie poussiéreuse, nous arrivons dans un paradis de verdure et de palmiers parfaitement irrigué par de petits canaux entrecroisés, le gamin me présente ses trois grands frères et cousins qui, après avoir un peu tourné autour du pot, me demandent si j’ai de l'alcool, je sors ma bouteille de whisky et nous prenons l'apéro sous les dattiers, puis ils veulent absolument m'amener voir un vieux berger qui a de vieux bijoux à vendre, j'ai beau leur dire que je n'en ai pas besoin, devant leur insistance, je les accompagne en râlant un peu.

 

Nous marchons un ou deux kilomètres dans la campagne aride et arrivons à une petite cabane très basse, sise dans un enclos fait de branches d’épineux où se trouve un troupeau de chèvres et moutons, sans franchir la barrière, mes guides tapent dans leurs mains pour appeler le maître de céans.

 

Apparaît un vieux bonhomme en burnous, canne à la main, il nous invite à entrer dans sa cahute, puis à nous asseoir sur des tapis, sur un petit poêle à charbon de bois en terre cuite, il nous prépare un excellent thé à la menthe très sucré tout en posant des tas de questions par le truchement des copains.

Lorsqu'il demande combien j'ai mis de temps pour venir de France, je lui réponds deux jours, il dit quelques mots comme se parlant à lui-même, je demande la traduction, il m'est répondu qu'il pensait que la France était beaucoup plus loin, l'interprète me disant au passage que le "vieux" calcule en jours de marche à chameau, je ne dis rien, tout en pensant que l'un des deux me prend pour un gland.

 

Le soir tombe tandis que nous discutons en buvant le thé, mes hôtes commencent à s'impatienter, ils disent quelques mots au bonhomme, celui-ci sort d’un petit sac quelques bracelets, colliers, bagues, apparemment anciens ; bien que pas très chaud, j'entame la discussion pour lui faire plaisir tout en disant que nous ne pourrons que troquer car la route est encore longue et que j'ai besoin de tout mon argent liquide, cela lui convient, je choisis quelques pièces que je trouve sympas et qui s'avèreront plus tard être anciennes et d'argent massif.

 

Nous repartons vers l'oasis, arrivés à la voiture, nouvelles palabres, il choisit parmi mes vêtements ce qui lui va et lui plaît : une paire de chaussures, un ou deux tricots, une veste, deux où trois chemises et le vieux berger est content, je pense que tout s'est bien passé, il n'a pas été gourmand, moi pas chien ; Nous nous serrons la main pour sceller le marché, je donne une ou deux chemise de leur choix à chacun de mes hôtes car ils en ont visiblement envie, puis nous allons tous dans une grande salle au sol couvert d’épais tapis, sur lesquels nous nous asseyons, on nous amène un grand plat d'un très bon couscous sur une table basse.

 

L'ayant goûté, je demande quelle est la viande succulente qui l’accompagne, c'est du jeune chameau.

 

Après ces agapes, le pasteur retourne à son enclos après m'avoir longuement souhaité un bon voyage ; vraiment gentil le petit père !

 

Dès qu’il est parti, la bouteille de whisky refait surface, nous nous remettons à la faire souffrir ; après lui avoir fait un définitif mauvais sort, les amis m’invitent à dormir, ils sortent des couvertures en poils de chameaux, raides et rugueuses, mais très chaudes.

 

Tout le monde se couche sur des bas-flancs-sièges faisant le tour de la pièce, deux minutes après, je dors comme un loir.

 

Le lendemain matin, réveil à l'aube, j'ai la tronche un peu enfarinée et la lumière est dure à supporter, mais, une fois la porte ouverte, la fraîcheur matinale, le chuchotement de l’eau circulant dans les petits canaux d'irrigation ainsi que les piaillements de milliers d'oiseaux ont tôt fait de me dépoisser la menteuse.

 

Nous nous promenons un peu dans l’oasis, puis on m'invite à partager le petit déjeuner.

 

Nous retournons à la salle commune, plions les couvertures que nous remisons dans les sièges / coffres ; pendant ce temps, une jeune fille charge la table basse de notre petit déjeuner, c'est du sérieux ! Thé, dattes, miel, pain trempé dans une huile d'olive très forte et très verte (tous ces produits cultivés et transformés sur place), les amis se font un vrai festin, pour ma part, ça a du mal à passer, alternant l’huile d’olive et le miel avec le thé, j'arrive tout de même à me sustenter suffisamment pour pouvoir envisager de poursuivre mon voyage.

 

Au moment de partir, la voiture se fait tirer l'oreille pour démarrer, les bougies doivent commencer à être encrassées ; l’un de mes hôtes me dit de ne pas insister, me demande un tournevis, défait la durit d'air du carburateur, me demande d'actionner le démarreur tout en bouchant l'arrivée d'air avec sa main, après quelques tours, il l'enlève d'un seul coup, le moteur démarre comme un grand ! Je remercie et salue tout le monde.

 

La route est de moins en moins empruntée, je reste souvent sans croiser une voiture durant des dizaines de kilomètres, je m'arrête dans les petits villages pour manger des plats sentant bon la coriandre, essentiellement des ragoûts de mouton aux lentilles ou haricots ; Le matin, du café au lait avec des petits pains ressemblant à nos pains au lait pris dans des estaminets et la route continue à défiler.

 

Voulant faire de l’essence, impossible d'ouvrir les fûts, le carburant a apparemment soudé les robinets de plastique rapportés sur le métal du bidon ; armé d'un fort couteau et d'une godasse, je pratique une ouverture dans le haut d'un tonneau en faisant une prière pour qu'il n'y ait pas d'étincelle ; l'opération se passe bien, en siphonnant, je régale mon réservoir.

 

Les barrages se font de plus en plus fréquents, toujours avec des herses repliables armées de longs pics acérés en travers de la route.

 

Goulimine, la ville est en pleine effervescence : automitrailleuses, chars, camions bourrés de soldats visiblement sur le pied de guerre, des véhicules militaires explosés, rapatriés sur le côté de la route.

Je ne m'attarde pas, à la sortie de la ville, re-barrage, mais là, gros problème, les bidasses ne veulent pas me laisser passer, les africains se rendant dans leur pays le peuvent à condition d'être en convois et encadrés de véhicules blindés ; en France, j'avais bien entendu parler de divergences de point de vue avec le front Polisario, sur le terrain c'est autre chose !

 

Je demande quand part le prochain convoi, il m'est répondu que de toutes façons les européens n'ont pas le droit de passer ; cela me paraissant extravagant, je demande à parler au chef de poste qui me confirme l’information ; j'ai beau insister, je me rends compte que les ordres viennent de beaucoup plus haut, les types obéissent aux consignes et vu le contexte de tension dans le coin, une dérogation ne peut pas venir du chef de poste.

Je reviens en ville, vais au quartier général, demande à parler au big chef, il est occupé, mais son secrétariat me confirme que les ordres viennent directement de Rabat et que l'autorisation ne peut être obtenue que là ; j'insiste, faisant comprendre que c'est un aller-retour de 1500 kilomètres, le type est désolé, mais visiblement, ce sauf-conduit ne peut être délivré qu'à la capitale ; le moral à zéro, je reprends la route dans l'autre sens.

 

Rabat, je commence les démarches pour me procurer le précieux document dans des bureaux qui me renvoient de l'un à l'autre.

 

Ne pouvant obtenir aucun renseignement de la part des bureaucrates marocains, je me pointe au consulat de France pour être éclairé de ce qu'il en est exactement de la situation.

Si vous n'aviez besoin de rien, il fallait aller  directement au consulat de France vous étiez vite servis (je ne pense pas que cela ait changé) ; pas la peine d'y aller, vous dérangiez ces messieurs-dames  qui ne connaissent rien de ce cas de figure et n'ont absolument pas l'intention  de s'en inquiéter.

 

Toutes ces démarches me prennent plus d’une semaine, je dors dans la voiture près d’une plage qui, dès 17 heures est complètement déserte ; je me fais des copains, des jeunes Marocains, puis un Français d'une cinquantaine d'années qui vient le matin s'y entraîner au lancer de boomerang, la solitude se fait moins sentir ; chaque jour à la fraîche, (car au fil du temps, l'air se fait de plus en plus froid le soir et le matin) il m’initie à son hobby.

 

Ma réserve de papier-cul est finie, dans les cafés, les chiottes sont souvent très sales, comportant une vasque à la turque ; à portée de main lorsqu’on est accroupi,  se trouve un robinet prolongé d’un tuyau dont l’usage est évident.

Je me dis que les gens du coin pratiquent de cette manière depuis des temps immémoriaux et n’ont pas l’air de s’en porter plus mal, il faut s’y mettre !

Comme dit l’autre, c’est le premier pas qui compte, c’est un peu dur, mais quand c’est fini, je trouve que ce système est bien plus efficace qu'avec le pécul.

 

Le midi, les bureaux étant fermés, je me promène sur les bords de mer, voyant des pêcheurs sur une jetée, je sors mon matériel de pêche et essaie sans résultat de prendre quelque bestiole dotée de nageoires ; cet exercice me permet de me faire un autre copain, un vieux Français, pêcheur acharné, il est là tous les jours, mais lui, il sort régulièrement d'assez belles pièces.

Appâtant avec ce qu'il appelle des « patates » ; je ne sais si cette chose à peu près ronde et abominablement puante quand on l'ouvre, est d'origine animale ou végétale, en tout cas morte, grosse comme un poing d'homme, échouée sur la plage et faisandant depuis longtemps au soleil ; quand nous les ouvrons, il en sort un peu de matière solide au milieu d'un jus nauséabond ; accroché à l'hameçon, cela constitue le secret d’un appât de premier ordre qui lui permet de faire ses pêches admirables.

 

Tous les jours, nous nous retrouvons sur la jetée, peu de temps après, il m'invite à manger chez lui, il est marié à une Marocaine d'une quarantaine d'années (lui, la soixante dizaines), très gentille, nous mangeons un excellent ragoût de mouton accompagné de vin rouge Marocain le « Chaud Soleil » que j'avais acheté dans une épicerie à côté de chez eux.

Le vin, bien que vendu avec autorisation, n’est délivré par le marchand qu'avec réticence, entouré d’un sac de papier.

 

Sûrement après en avoir délibéré avec sa femme, il m’invite à dormir, j’accepte.

 

Les jours passant, il devient évident que je n'aurai jamais l'autorisation de passer par la Mauritanie ; avisant ma carte, je trouve deux routes possibles pour le Sénégal, l’une passe par l’Algérie et le Sahara, il faut traverser le Tanezrouft « Pays de la soif », puis Gao, au Mali ; l’autre, beaucoup plus longue, passe par Tamanrasset, puis le Niger, j’opte pour Gao, après, on verra…….

 

J'écris à ma mère pour lui taper 1500 francs = 230 €, quelques jours plus tard, je reçois son mandat ; le seul problème est que l'on me le paie en dirhams, pour voyager en Algérie, on ne peut pas dire que ce soit ce qu'il y ait de mieux !

 

Mon copain au boomerang se propose de demander autour de lui afin de les changer, mais, parlant de mon affaire à mes potes marocains, ils me disent que dans le souk il y a des marchands qui sont payés en francs français dont ils voudraient bien se débarrasser ; nous nous y rendons illico, dix minutes plus tard, je me retrouve avec la somme équivalente à celle envoyée par ma mère, « tête-à-tête » comme ils disent, c'est à dire dix dirhams pour dix francs, zéro % de perte au change, c’est raisonnable. (aujourd'hui, avec l'expérience acquise, je me demande si ce n'était pas de faux billets).

 

Je repasse au consulat  de France pour demander les vaccins obligatoires pour entrer en Algérie, une espèce de grosse vache me répond avec un accent pied-noir à couper au couteau « j'en sais rien moi ! Je ne suis pas le gouvernement algérien », après lui avoir dit ma façon de penser (grossièrement, je le crains) je m'en vais en claquant la porte.

 

Le lendemain matin, je vais à la plage dire au revoir à mon ami au boomerang.

 

Puis je retourne chez mon copain pêcheur charger mes bagages, les jeunes marocains sont là pour me dire au revoir.

 

Il me revient que lorsque je dormais encore dans la voiture, un soir, l'un d'eux, bien que de famille très modeste m'avait apporté un bol de bonne soupe de légumes bien chaude, il habitait à côté de la plage où je garais ma voiture pour dormir, mais il lui fallut bien faire cinq cents mètres à pied pour venir jusqu'à moi.

 

Je promets d’écrire pour leur donner de mes nouvelles, mon hôte et sa femme sont inquiets de me voir partir pour l’Algérie.

 

En les voyant disparaître dans le rétroviseur, j'en ai gros sur la patate!

 

Pas de problème particulier sur la route ni à la sortie du territoire marocain, par contre, la douane algérienne, pardon ! Ambiance super sèche !!

 

Déclaration de devises, fouille en règle du véhicule, à côté de la bonhommie de la douane marocaine, rien à voir !

Après les contrôles, je me retrouve muni d'un carnet de devises énumérant non seulement les espèces, mais tout ce qui peut se vendre ou s'échanger, atmosphère de suspicion déprimante.

 

Enfin passé, je taille la route par Tlemcen, il y fait un froid de canard ; les gens sont sympas, dans de petits restaurants au long du trajet, on me demande régulièrement si j'ai quelque chose à vendre.

Apparemment il leur manque de tout et je commence à comprendre l’intérêt du carnet de devises, je regrette un peu ma bouteille de whisky, pas d’alcool ni de vin dans les épiceries, la bouteille d'anisette ou de whisky s'achète minimum 300 dinars au black, le litre d'essence est à 0,65 dinars, ce qui fait qu'une bouteille de whisky achetée 12 francs (moins de 2 €) en zone dédouanée et 65 francs en France ( 10 €), permet, après une vente rapide et facile, d'acheter près de 500 litres d'essence pour une mise initiale de 2 €...!!!!

 

Après Tlemcen, El Aricha, Aïn-Sefra, Beni-Ounif, Béchar, Taghit, à contrario du Maroc, aucun barrage ni flics sur les routes... Beni-Abbès, le paysage est de plus en plus désertique.

 

À Kerzaz, je discute avec le fils du patron d'un petit restaurant, il veut tout acheter et tout vendre ; n’ayant plus de bidons (j’ai dû tous les éventrer pour en sortir l’essence), je lui dis devoir traverser le Sahara et qu'il me faut un gros baril pour quintupler mon autonomie de carburant, il a çà en stock. M'étant restauré, il m'emmène dans une remise où se trouve l'objet, c'est exactement ce qu'il me faut car il contient 225 litres, nous faisons affaire, avec le plein du réservoir avant de partir, ça devrait suffire pour traverser le Sahara!

 

Depuis Beni-Abbès, entre les villes, plus de maisons, la route est par moment encadrée de dunes dont certaines très hautes, menaçant de submerger la route, des bandes de sable traversent la chaussée ; heureusement que je ne roule pas trop vite quand je passe sur la première de ces avancées, car une langue de sable sur le goudron est presque aussi dure que ce dernier.

 

La réverbération du soleil très cru dans le ciel sans nuages, la chaleur, les routes tirées au cordeau sur des dizaines de kilomètres portent à faire la sieste en conduisant ; j’ai tendance à avoir des pertes d’attention de plus en plus longues et répétées ; je trouve une combine qui me sauvera plusieurs fois la mise aussi bien en Afrique qu'en France : Ayant remarqué que quand on somnole le bras se relâche, la main tenant le volant descend et l’entraîne de côté, carton immédiat ! Mais si l'on tient le volant d’une main par le bas, cela permet de relâcher son attention plusieurs secondes, la voiture continue tout droit ; les chaussées rectilignes étant plus courantes que les virages, ça fait la différence.

 

Cela dit, quand j'aurai fait plusieurs fois la route, dès que je me sentirai l’œil vague, je m'arrêterai, les kilomètres que l'on gagne en souffrant à rester en éveil peuvent être faits plus tard, décontracté, après une bonne sieste, sans perdre de temps pour autant.

 

Siestes que je pris l'habitude, dès le début, de faire près de la route, portières verrouillées, vitres entrouvertes, la première engagée, sans frein à main, starter tiré, clé sur le contact, ce qui permet un démarrage foudroyant d'un simple coup de démarreur en cas de problème (précaution qui, heureusement, ne me servit jamais).

 

Roupillant à moitié, je crois avoir cassé la voiture : un fossé coupe le goudron à angle droit! Heureusement, je roulais assez vite, je pense que sinon le train avant y restait!

 

Adrar, dernier poste de ravitaillement, je parcours les rues sablonneuses, les maisons ne comportent qu'un étage avec terrasse, peu de fenêtres, des arcades protégent les entrées des maisons ou magasins du soleil, il faut dire qu'à Adrar celui-ci cogne dur !

 

Les phares des voitures sont enduits de graisse, cette protection est obligatoire, sans quoi, ils deviendraient opaques et inefficaces, dépolis par les vents de sable qui enlèvent la peinture des bas de caisse dont le métal est souvent à nu.

 

Dans une rue, je vois un type s’arrêter, se mettre à genoux, s’asseoir sur les talons, genoux écartés, même de dos, vu la manipulation à laquelle il se livre, visiblement, il se met à pisser ; je reverrais souvent la pratique se répéter dans l'extrême sud, une fois l’affaire terminée, en général, ils prennent une poignée de sable et se sèchent vigoureusement le pommeau avec....

 

Je cherche de la bouffe qui puisse être transportée, tous les magasins sont de petites échoppes, des panneaux précisant la spécialité de la boutique ; écrits en arabe, ils ne me renseignent pas beaucoup !

 

Un passant m'indique une boutique vendant un peu de tout, mais question ravitaillement, à part les boîtes de sardines et légumes, il n'y a pas grand-chose, j'en prends quelques-unes, puis cherche où casser la croûte et me renseigner sur les autres possibilités d’approvisionnement.

 

Je trouve un restaurant où je mange l'habituelle soupe épicée et un ragoût de mouton ; les clients partis, je m’informe auprès du patron devant un café ; petit homme maigre, intelligent et sympathique, il se nomme Ramdann, me confirme qu’à part les achats déjà effectués, je ne trouverai pratiquement rien d’autre à embarquer pour me sustenter durant ma traversée du Sahara, ce, jusqu'à Gao (Mali).

 

Le lendemain matin, je croise un groupe de cinq Belges dans trois 404, ils font le voyage moitié pour le plaisir, moitié pour le business, l’un d’eux, Philippe, en ayant déjà vendu deux au Mali, en a récemment fait son métier.

 

Il me propose de faire la descente avec eux, ils ont assez de provisions pour une bouche supplémentaire ; ça les arrange, car il faut former un convoi pour avoir l'autorisation de traverser le Sahara et quatre voitures est le minimum ; je ne me fais pas prier, tout le monde y gagne, car on peut attendre plusieurs jours le nombre de voitures ou camions requis.

 

Je leur dis que j'ai déjà une provision de boîtes de légumes et sardines à partager, ils tordent le nez ; Philippe me demande d'acheter des tomates séchées, (à cuire avec les nouilles, elles reviennent très bien pour faire des sauces), des légumes frais et du pain.

Je me rends au marché pour acheter de quoi améliorer la croque.

 

Le soir, chez Ramdann, Philippe m'explique les grandes lignes de la traversée, le repas terminé, nous nous écartons du centre et dormons dans nos voitures.

 

Le lendemain matin, nous nous retrouvons au petit déjeuner chez mon restaurateur préféré où nous nous approvisionnons en eau ; après lui avoir dit au revoir, nous allons faire les pleins d'essence.

 

Arrivé à la station, je choisis la pompe à gros débit, c'est un pistolet à essence trois fois plus gros que d'ordinaire, le pompiste me dit en rigolant de bien tenir l'appareil ; faisant attention, j'appuie sur la gâchette, heureusement qu'il m'avait prévenu ! Un énorme jet sort brusquement de l'instrument, provoquant un important recul, c'est impressionnant de voir l'essence sortir à une telle vitesse ; en deux coups de cuillère à pot, mon fut est plein, je m'aperçois alors que ça coule gaillardement dans la voiture : aux nervures du baril, j'ai une grosse et une petite fuite, qui plus est, opposées l’une à l’autre!

Je vais en vitesse régler le gars de la station et pars presto aveugler les entailles ; en frottant avec du savon j'arrive à colmater la petite, pour la grosse, c'est un autre problème : Je tourne le tonneau fuite vers le haut, puis, insérant en force de petits bouts de bois biseautés, j'obstrue du mieux que je peux la grosse fente, le bois gonflant en s'imbibant d’essence, il y a du mieux, après avoir arasé la réparation, je termine le boulot au savon.

 

Je replace mon fût, le gros bouchon en haut, sans le serrer, pour ne pas provoquer de pression ; la fuite se réduit à un goutte à goutte, l'essence algérienne ayant une odeur agréable (d’où le nom peut-être ?), le Sahara étant un espace dans lequel on ne roule pas les fenêtres fermées, ça ira très bien ainsi.

 

Je retourne faire mon complément d'essence et nous partons.

 

Après avoir vérifié que nous avons encore tout ce qui a été déclaré à l’entrée du territoire, la douane nous reprend les carnets de devises et nous gratifie d’un passavant valable pour faire Adrar/Bordj-Moktar, sortie du territoire.

 

Route goudronnée jusqu'à Reggane, refouille, plus pour tromper l'ennui, qu'autre chose, puis on nous lâche.

 

Aussitôt, c'est la piste, un panneau a, depuis, été installé, puis c'est le sable mou, le cul des voitures chargées d'essence frotte, il faut faire attention aux cailloux noyés dans le sable qui pointent le nez, chaque impact marque le dessous de la voiture, abîme les carters moteur, arrache les échappements, casse les ponts arrières, crève les réservoirs, (toutes ces calamités font les choux gras des petits garagistes de Gao et Niamey).

 

Après plusieurs dizaines de kilomètres, la piste, avec pour repères tous les cinq où six kilomètres, des fûts de 200 litres (éventrés afin qu’ils ne soient pas volés), devient un peu plus consistante, le sol plus ferme, forme des plaques d’ondulations successives plus ou moins régulières appelées « tôle ondulée » (comme les vaches), dans ces passages, tant que la voiture n’a pas acquis une vitesse suffisante pour ne toucher que les crêtes des ondes, vibre épouvantablement.

 

Les carcasses de bestiaux desséchées que nous verrons tout au long de la piste commencent à apparaître.

 

Philippe m’indique un truc auquel je n’avais pas pensé, quand l’aiguille de température d’eau entre dans la zone rouge, il faut mettre le chauffage à fond pour dissiper des calories et ainsi, aider le radiateur, bonjour le sauna !!!!!!!

 

Paysage de sable plat à l'infini ; le soir, nous nous arrêtons, dînons en regardant le soleil se coucher, il plonge derrière l'horizon à une vitesse étonnante, le froid descend aussitôt.

 

Après avoir discuté de la journée à venir, nous nous couchons.

 

Le lendemain matin, casse-croûte, niveaux d'huile et d’eau, départ.

 

À 600 bornes d’Adrar, Bordj-Moktar, sortie du territoire algérien, un panneau peint à la main figurant une vieille chambre photographique barrée d’une croix est assez explicite, paperasserie tranquille.

 

La route est bonne pendant une soixantaine de kilomètres, je vois même de petits brins d'herbe jaunâtre qui poussent quand le terrain est un peu creux, puis on commence à rouler dans la caillasse, plus nous gagnons en altitude, plus ça s'aggrave!

 

La piste est maintenant taillée dans un paysage lunaire de roche dentelée gris foncé pointant de biais vers le ciel, nous serpentons le long d'un chemin qui évite les pics, les suspensions sont très malmenées car nous roulons sur un tapis de pierres qui vont de la taille d'un poing à celle d'un ballon de football.

 

Enfin nous arrivons à Tessalit, frontière du Mali, cuvette de rocaille noirâtre dans les hauts de laquelle se trouve une forteresse.

 

La douane est à mi-pente à droite, à gauche, il y a une jolie petite construction, c'est le bureau du chef de police, en bas, à gauche, une construction rectangulaire plus grande, dans laquelle il y a un petit restaurant, une salle nue à disposition des voyageurs et la poste.

 

Les formalités sont bon enfant, nous sommes obligés de prendre une assurance automobile d'un prix raisonnable, après, nous allons nous désaltérer à la petite auberge, y cassons une croûte frugale et repartons dans la caillasse, puis c'est le sable ; cent bornes plus loin, nous arrivons à Aguelhok, arrêt police sympa, rapide ; encore cent bornes, la Markouba* : zone de sable mou d’une dizaine de kilomètres barrant la piste sans contournement possible, le seul passage régulier est ravagé de profondes ornières creusées par les camions qui passent bille en tête, misant tout sur l’incroyable couple moteur des Berliet.

 

Cette voie est infranchissable pour les voitures, la seule solution est de longer la piste par la droite après avoir dégonflé les pneus. Avant d’entamer ce morceau, il ne faut pas hésiter à prendre de l’élan et rouler vite car les portions de sable très mou sont longues, il faut éviter les touffes d’herbes sèches aussi dures que des pierres, ce qui n’est pas toujours possible, les amortisseurs dégustent salement !!!!

 

Cent quatre-vingt kilomètres après, Anéfis ; encore deux cent trente bornes et nous arrivons à Gao, ville presque totalement construite en banko*.

 

Il faut aller au commissariat avant de nous jeter une bière pourtant bien méritée après 1300 kilomètres de désert pliés en trois jours! Nous sommes dirigés vers une salle assez grande où un agent nous accueille. Après nous avoir invités à nous asseoir à des bureaux d’écoliers, donné une feuille blanche et prêté un stylo à bille, il nous dicte très professoral les questions classiques demandées aux touristes lors de leur entrée dans un pays, cet agent s'appelle Mamby et deviendra plus tard un ami et concurrent très sérieux à la pêche dans le Niger.

 

Les formalités accomplies, nous sortons, une ribambelle de gentils gamins nous entourent, l’un d’eux, Boubakar, se propose comme guide.

 

Nous allons à un « hôtel-restaurant », bâtisse de banko très sombre à l’intérieur, le patron de cet antre se nomme Yarga. Il s'occupe de vendre les automobiles et encaisse le prix de ses chambres (rares, chères) ou des places sur la terrasse (1000 francs maliens =10 francs français =1,50 € la nuit), une tripotée de margouillats (gros lézards de 50 à 60 centimètres de long) se promènent tranquillement à la verticale des murs, les mâles ont de superbes couleurs, jaune, rouge, vert et/ou bleu flamboyants, les femelles sont plus petites et ternes.

 

L’épouse du maître de céans s'occupe de préparer tous les jours un plat différent, souvent un ragoût à base de riz, c'est là que je sentirai pour la première fois le goût des charançons, ils sont aussi présents dans la farine, les pâtes...... on peut dire que chaque plat en est "parfumé", au début je sors du pain ces petits insectes un peu plus gros qu'une puce, puis mange sans faire de chichis, content que Yarga ne me compte pas un supplément viande.

 

Les chiottes sont un trou dans la terre avec 10 centimètres d’asticots surnageant et grouillant les uns sur les autres, le puits est à côté, trouvez l'erreur ...... On m'a raconté qu'un touriste teuton embompoinisé, se pointant en ces lieux, s'est retrouvé dans la fosse aux rejetons de mouches, les troncs de palmiers fendus en 4 sur leurs longueurs, constituant le sol, ayant cédé sous son poids.   

 

Quelques jours passent, des clients viennent régulièrement voir les voitures, en principe, on n'a pas le droit de les vendre, mais en passant par un "intermédiaire" soi-disant patenté, c’est possible, le problème est de savoir qui l'est.

 

Si une vente se fait, vous donnez une commission à l'intermédiaire, c'est quand les « affaires économiques » vous tombent dessus que vous vous apercevez que le type n'était pas autorisé à vendre, ou n’a pas assez « fait manger » les fonctionnaires ; de toutes façons, personne n'a de papiers, de registre de commerce ou autre statut, le mieux est de traiter, puis de riper les galoches au plus vite !!!!!!

 

Philippe vend rapidement son auto 900.000 francs maliens (9000 ff = 1370€), il faut dire qu’elle est en parfait état ; pour voir si le moteur de la voiture est bon, les africains ont une technique imparable : Ils donnent trois grands coups d’accélérateur et vont vite regarder les gaz d’échappement, si la fumée est bleue, l’auto consomme de l’huile ; blanc, le joint de culasse est flingué ; noir, le mélange air-essence est trop riche, (ce qui est le moindre mal).

 

Chez le père Yarga, je fais connaissance avec deux coopérants français instituteurs en Côte-d’Ivoire qui me demandent si je peux les redescendre, ils étaient venus passer quelques jours à Gao, mais les congés se finissant, ils doivent retourner à Bouaké, je leur réponds que je ne sais pas encore si je persiste à aller au Sénégal où si je continue vers le sud.

 

A tout hasard ils me donnent leur adresse pour que je passe les voir si je m'égare dans leur coin.

 

En face de l’hôtel Atlantide*, sous des arcades, il y a des marchands d’objets africains très intéressants : pointes de flèches et haches préhistoriques ; des pipes, poignards, takoubas*, cadenas et de splendides clés anciennes souvent cassées, tout cela de provenance Tamashek ; bien que je n’en aie pas les moyens, je craque.

 

Renseignements pris, il apparaît que pour aller au Sénégal, il faut obligatoirement faire une grande partie de la route en mettant voiture et passager sur un train, très cher, très lent et abominablement inconfortable, ça fait trop, surtout que mes fonds ont bien baissé depuis une petite semaine que je suis là !

 

Je décide de continuer vers le sud, les Belges restent à Gao pour vendre les deux autres voitures, on se dit au revoir.

 

Je m'entends avec un Français à la recherche de sa nana qui s'est tirée en Côte-d’Ivoire avec un mec, je lui prends le prix du taxi-brousse jusqu'à Niamey (capitale du Niger) en gros 450 kilomètres, c'est mieux que rien !

 

Gao-Labbezanga, passage de frontière, pas de problème particulier, nous nous arrêtons pour casser une croûte dans un petit boui-boui en planches, je vois sur l’ardoise du menu : « Poulet Maka », je demande à goûter cette spécialité locale, le cuistot m’amène un poulet avec des nouilles, je lui dis qu’il y a erreur, il me répond que non, « Maka » est l’abréviation africaine de macaronis.

 

Arrivée à Niamey, commissariat de police, avec ce coup-ci des imprimés à compléter, puis nous nous dirigeons vers la maison des jeunes où l'on peut dormir pas cher dans une grande salle commune sur des lits en ferraille type armée; lorsque je veux prendre une douche, cauchemar ! Des murs en parpaings noirs et gluants de crasse, des blocs de ciment épars pour rester au-dessus de l'eau stagnante, dur-dur!

 

Le porte monnaie sonnant creux et ne trébuchant plus, je décide de ne pas m’attarder et d’aller en Côte d’y-voir s'il y a des amateurs de 404 familiale ; les coopérants m'ayant dit que je trouverais sûrement preneur à Bouaké où ils sont résidants, je vais aller tâter le terrain dans le coin, en passant par Ouagadougou.

 

Traversée de la Haute-Volta, les pistes sont en latérite*, ce matériau a le défaut de former de longues bandes de "tôle ondulée", sur l’une d’elles, j’amorce un large virage, la voiture bringuebale de partout, manque d'adhérence, l'arrière fait la valise, je contre-braque et accélère, peau de balle, heureusement, la courbe se termine, j'en sors complètement en travers, chauds les marrons !!!!!

 

La piste, traversant une forêt clairsemée, je vois une douzaine de phacochères courir en file indienne droit devant eux en diagonale de la route, il est évident que s'ils ne changent pas de cap et ne ralentissent pas, ils croiseront ma trajectoire ; ils passent ignorant la voiture, je dois freiner, pour éviter le carton.

 

Ouagadougou, des vautours d’un bon mètre de haut se promènent dans les rues, qu’ils nettoient, tranquilles, tels d’énormes pigeons.

 

Bobo-Dioulasso, puis, passage tranquille de la frontière de Côte-d’Ivoire ; je suis étonné de constater que la base de la bouffe africaine est le riz, les panneaux affichant les menus ont une orthographe délirante.

 

Roulant de nuit le long d'une plantation, je crois être victime d'une illusion d'optique, je m'arrête et dirige les phares sur les cultures, les bananes poussent cul vers le haut !!!

 

Vanné, je rentre dans un petit hôtel histoire de roupiller et prendre une douche. Éclairages aux néons peints en bleu, jaune, rouge, vert ; raffut dantesque, radio pourrave à fond la caisse, gueulantes des putes ivres qui montent des clients toute la nuit, moustiques affamés malgré les serpentins d’herbes à brûler venant d’Asie, le matin, je ne suis pas beau à voir!

 

Ferkessédougou, retour sur le goudron, je démarre d'un stop, coup de sifflet, je tourne la tête et vois deux motards en uniforme, allongés à l’ombre d'un arbre sur leurs motos B.M.W, ils me font signe de m'approcher, je m’exécute, descends avec les papiers car ils n'ont pas l'air de vouloir changer de position ; je leur fais remarquer que j'ai marqué le stop, je ne vois pas pourquoi ils m'arrêtent, l'un d'eux, se redressant à califourchon me dit tranquillement que je n'avais pas mis la ceinture de sécurité, qu'il va falloir payer 7000 francs C.F.A d'amende ; je réponds que je ne peux pas payer une somme pareil car j'arrive de France et que je n'ai presque plus d'argent, je dois rejoindre des amis à Bouaké et il me reste juste de quoi payer l’essence, le type me regarde un long moment d'une drôle de façon, un peu au-dessus ou à travers moi et me dit, grand seigneur avec un signe de la main : "allez-y, c'est mon cadeau de Noël"; peut-être, le fait que j’arrive de si loin par la «route» a-t-il joué en ma faveur...

 

J'arrive à Bouaké sans plus d’incident, les coopérants me reçoivent en tirant un peu la tronche car ils m’y ont précédé de peu, ayant fait la route en taxi-brousse. Il faut dire que ce genre de transport n'est pas un pullman : 404 plateau avec une galerie hyper renforcée, sur celle-ci, mobylettes, chèvres, tous les bagages des passagers, régimes de bananes entiers, boîtes de cinq kilos de sauce tomate etc... 16 passagers à l'arrière, 2 places un peu plus chères à l'avant et le chauffeur.

 

Alain (le mieux loti des deux, car dépêché de France ; Sylvain a trouvé le job sur place) m’invite à poser mes pénates dans une chambre libre de sa maison et propose de me prêter de l'argent que je lui rendrai quand j'aurai vendu la voiture.

Renfloué, je leur propose d'aller boire l'apéro dans un boui-boui car on est en fin d'après-midi et qu'il commence à faire soif ; Nous nous dirigeons vers un petit bar, quelques autres Français coopérants ne tardent pas à nous rejoindre. Le soir tombant, les lucioles apparaissent, les moustiques nous bouffent les miches à travers les fauteuils tressés de gros fils en plastique et la toile de nos jeans, nous allons manger dans un petit restau, puis dodo.

 

Le lendemain, je vais acheter des pièces afin de retaper le moteur. Les Libanais vendent à peu près tout ce dont on peut avoir besoin pour entretenir et réparer les Peugeot ; je ressors de la boutique avec les segments, pochette de joints, coussinets de bielles, chaîne de distribution, indispensables pour redonner une nouvelle jeunesse à mon moteur, le tout à un prix raisonnable.

 

Je vais ensuite discuter avec le patron d'une station-service pour lui louer un bout de terrain et les outils qui me manquent, demande s'il ne connaît pas deux gaillards qui voudraient se faire un peu d'argent en me donnant un coup de main, car rien que pour sortir le moteur il faut de l'huile de coude.

 

Il me trouve deux costauds, je conviens avec eux de leur rémunération et nous nous donnons rendez-vous pour le lendemain matin.

 

La réfection du moteur demande deux petits jours de boulot tranquille, je paie la bouffe du midi et quelques rafraîchissements consistant en ananas bien mûrs épluchés devant vous a la machette et dont les feuilles élaguées servent de poignée, délicieux! A la fin de l'après-midi du deuxième jour, je suis obligé de les engueuler car j'ai eu le tort d'acheter de la bière (bouteilles de 75 centilitres) plus une bouteille d’alcool de palme avant la remontée du moteur et ils ne veulent rien savoir pour continuer, ils pensent sûrement me faire raquer une journée de plus si l'on ne termine pas ce soir ; je leur dis que la journée n'est pas finie et que s'ils me laissent tomber maintenant, je ne les paierais pas.

 

De toutes façons j'ai déjà refermé le moteur, il ne reste plus qu'à le mettre en place, ce qui est vite fait, j’engage les boulons tenant le moteur sur la boîte à vitesses et les paie, on se serre la main, moi un peu froidos, car je pense avoir été plus que correct et qu'ils ont un peu trop tiré sur la ficelle.

 

Je finis de remettre boulons et durits, règle le propriétaire du garage, à 20 heures, je suis de retour chez les copains pour prendre une bonne douche et retourner boire un coup.

 

Ils me disent que ma voiture intéresse deux ou trois gros marchands, c'est bon signe !

 

Les acheteurs ne pointant pas le museau de la journée, je décide d'aller le lendemain matin à Abidjan en taxi-brousse pour dire bonjour aux parents du copain de Dordogne.

 

Je suis très bien accueilli, invité à manger à midi ; au cours du repas, nous discutons de la vente de ma voiture ; je dis compter la vendre 700.000 Francs C.F.A, mon hôte me prévient que la spécialité libanaise du moment pour escroquer quelqu’un, est de lui faire un chèque (en bois bien sûr) car en Afrique il n'y a aucun recours, puis ajoute que si je n'ai pas vendu ma voiture il est preneur à 600.000 Francs C.F.A.

 

De retour à Bouaké, Alain me dit avoir appris par la bande que Sylvain a raconté à tous les acheteurs potentiels que je n'ai pas un rond et que je serai obligé d'accepter le prix que l'on me donnera pour rembourser mon emprunt, c'est le meilleur moyen de me scier les pattes, il n'y gagne rien, il avait l'air sympa, je ne comprends pas le procédé ni l'intérêt qu'il y trouve...

 

Je vais tout de même voir les quelques clients potentiels. Que des tordus ! Les africains, "je te donne 200.000 Francs CFA maintenant, le reste un peu plus tard ", tu parles Charles! Les Libanais eux me proposent 100.000 Francs CFA en liquide le reste en chèque……. heureusement que les gens d'Abidjan m'avaient prévenu, car à Bouaké, le coup n'est pas connu.

 

Après avoir perdu ma journée à commencer d'apprendre les grosses ficelles africaines, je téléphone à Abidjan pour dire que je marche à 600.000 Francs C.F.A, le monsieur me demande d'amener la voiture pour la faire examiner.

 

J'invite à manger Alain au restaurant et lui déballe la situation car je laissais chez lui l'auto (sans qu'il me l’ait demandé) pour le rassurer sur le prêt qu'il m'avait consenti. Il assure me faire confiance et qu'il n'y a aucun problème pour que j'aille à Abidjan réaliser la vente.

 

Après le déjeuner, je retéléphone à la capitale, mon acheteur me dit de venir le lendemain matin, de ne pas me casser la tête pour l'hôtel, ils ont une chambre d'ami où me loger le temps de régler la transaction.

 

Le lendemain, j’embarque chien et bagages dans la voiture.

 

Aussitôt arrivé, visite du véhicule, le monsieur me dit qu'il lui convient ; puisque nous sommes d’accord, je lui demande tout de suite une partie de l'argent afin de régler mes dettes, il n'est pas surpris car je n'avais pas fait mystère que le copain de Bouaké m'avait dépanné en ce sens.

 

C’est la saison des pluies, à quatre heures pile de l’après-midi, il pleut à seaux. Dès que la nuit commence à tomber, les moustiques attaquent tel des stukas, j’entends zzz…. toc, ils ne finassent pas en tournant autour de la cible, ils arrivent en ligne droite direct sur l’objectif et tapent plus qu’ils ne piquent, tellement la charge est brutale.

 

Le gardien de la maison a les dents taillées en pointe, çà fait un effet bœuf !!! Il est armé d’un arc, de flèches et de deux machettes.

 

Après une nuit de repos, je repars dans le Nord en taxi-brousse.

 

Bamboula à Bouaké (je devrais pouvoir vendre ce titre à une série de romans d'aventures célèbre), règlement de mes dettes, pas rancunier je rince aussi le connard qui m'avait chié dans les bottes ; cuite, dormir chez le copain, petit déjeuner, adieux.

 

Retour à Abidjan avec la gueule de bois et une forte fièvre, dans le taxi-brousse 404 familiale (pareille à celle que j'ai laissé à Abidjan, mais avec 5 années de pistes africaines dans les rotules), 9 personnes serrées comme des sardines, je suis assis à côté d'une adolescente qui prend un malin plaisir à frotter ses nénés sur mon bras, avec la chaleur moite et cette saloperie de fièvre qui me donne la chair de poule, des frissons dans le dos et des suées au front, je suis dans un état lamentable, la petite pétasse doit penser qu'elle me fait un effet terrible !

 

Arrivé chez mes acheteurs, je suis en vrac ; mon acquéreur me dit que c’est le paludisme, si une telle crise ne guérit pas avec l'énorme cachet que je suis allé chercher à la pharmacie, il ne reste plus que les piquouses ; heureusement, la fièvre et la gueule de bois passent dans la foulée. Il paraît que la Nivaquine prise régulièrement prévient le palu.

 

Au cours d’un repas, mes hôtes me racontent le déboire arrivé à une voisine française : La brave femme avant de partir au boulot, demande au boy de ne pas oublier de faire la soupe au chien ; le soir, elle s’étonne d’avoir du consommé, le domestique répond « c’est la soupe au chien que tu m’avais demandée patronne !! ».

 

Entretemps, mon acheteur a fait examiner la voiture par son garagiste ; verdict : il faut refaire le moteur ; je ne sais pas si c'est une entourloupe pour me gruger, si le mécano veut se mettre les pièces neuves dans la fouille, si c’est un incapable, ou quoi, pas moyen de lui faire entendre raison ; hébergé gratos, je n'insiste pas.

 

Finalement mon hôte me rabat 100.000 francs C.F.A et je ferme ma tronche ; avec ce que m'auront coûté la descente et le retour, il ne va pas me rester lourd ! Enfin, je rentre en partie dans mes fonds et ai acquis une expérience non négligeable, vu le prix des billets d’avion sur la France et mon chien payant plein pot, je décide de rentrer par la piste.

 

Adieu à mes hôtes, on promet de se revoir en Dordogne lors de leurs prochaines vacances.

 

Je me pointe à la station des taxis-brousse, le prochain en partance pour Ouagadougou est un Saviem SG.2 tôlé, dont les côtés ont été découpés, le problème est qu'il est vide et que les transports ne partent qu’une fois fait le plein de passagers ; je me dis que si l'on monte à 19 dans une 404 plateau, dans un engin pareil on doit tenir à 35.

 

J'attends toute la matinée, deux autres clients sont sur les rangs, à ce train là il va falloir une semaine pour remplir la camionnette !

 

Je me renseigne à droite et à gauche pour savoir s'il n'y a pas un autre moyen de se rendre en Haute-Volta, un mec finit par m'aiguiller sur un camionneur qui doit partir pour Ouagadougou dans l'heure qui suit.

 

Je trouve le type, nous tombons d'accord sur 10.000 Francs C.F.A pour moi et le chien, tout va bien, sauf que, comme un bleu que je suis en Afrique, je paie d'avance.....

 

Le chauffeur m’invite à l'attendre dans sa piaule qui donne sur la cour d’un quartier sordide le temps qu'il règle quelques formalités ; notre accord ayant été passé en début d'après-midi, je l'attends jusqu'au soir sans revoir sa bobine, les boules !

 

Je passe la nuit dans un petit hôtel à proximité, aux aurores je retourne à la turne du lascar, attends encore la matinée, toujours personne ; en début d'après-midi je me rends au commissariat du quartier. Je casse le coup au flic de service qui me dirige vers un collègue plus gradé ; bien sûr, j'ai eu tort de payer d'avance (ce dont je conviens volontiers), il me demande le nom et l’adresse du chauffeur pour le convoquer, comme je n'ai aucun renseignement à lui fournir, il me demande d'apprendre au moins le nom du type, donc je retourne là-bas et mène ma petite enquête ; pas moyen de tirer le moindre tuyau, d'autant plus que la cour n’est louée que par des ghanéens patoisophones ; je me rends compte que le mot « police » leur fiche une trouille bleue.

 

Je retourne bredouille au commissariat, retrouve le flic qui me rassure, prenant un imprimé, il rédige une convocation pour « le chauffeur du camion », devant mon air sceptique, il me dit que je vais être surpris du résultat, je n'ai qu'à laisser la convocation bien en vue dans la chambre et revenir plus tard, le téléphone arabe devrait faire le reste ; O.K je fais confiance à la cuisine locale.

 

La cour est pleine de monde et d'agitation, je me dirige vers une matrone qui a l’air d’être la cheftaine du lieu et lui tends la convocation, elle se met à pousser des cris hystériques en reculant les bras au ciel et les yeux exorbités, je me retourne et vais poser ostensiblement le papier sur le lit du camionneur, quitte la cour dans un brouhaha croissant de seconde en seconde.

 

Le soir tombant, j'y retourne, émeute devant l'entrée de la cour!

 

On commence à discuter ferme (toujours sans la présence du chauffeur qui doit être en train de faire ripaille et baisaille sur le dos du pigeon), ça commence même à franchement gueuler, je braille aussi fort qu'eux ; subitement, un costaud commence à me tirer par le devant de ma salopette, je me dégage et me rends compte que la nuit est tombée (dans le feu de l'action, je n’y ai pas fait attention), je suis entouré par une cinquantaine d’excités écumants, prêts à me faire la peau.

Pour les déstabiliser, je gueule encore un bon coup et en siffle un autre à l'adresse de mon chien qui se pointe dans la foulée ; sur le passage de mon clebs, se crée instantanément un chemin dans la foule (il faut dire qu’à part les sloughis à Gao, je n’ai pratiquement pas vu de clébard en Afrique, un gros chien noir comme lui les impressionne énormément), criant comme un sourd que la police va venir et les menaçant de tout ce qui me passe par la tête, je profite de la trouée pour m'arracher, je suis encore persuadé que j'étais à deux doigts de me faire écharper, sans Athos, j'y passais !

 

Du coup je prends un taxi et, pas trop fier, je retourne chez mes hébergeurs qui me confirment, quand je leur conte l'affaire, que j'ai eu beaucoup de chance.

 

Dernière nuit chez eux et le lendemain matin, de bonne heure, je prends le train Abidjan-Ouagadougou (en gros 1000 bornes).

 

Les wagons de ce train ont dû être climatisés, heureusement que les fenêtres ne sont pas bloquées! Aux arrêts, les mamas se pressent aux fenêtres pour vendre divers mets, j’achète, pour trois francs, six sous, des morceaux de viande rôtis, de l’igname* cuit comme des frites et des petites bananes roses ; la viande est absolument délicieuse, je demande à mes voisins quel est l'animal fournisseur, c'est de l'agouti*, (d’après ce que j’en ai vu, une sorte de mi ragondin / mi castor aux dents orangeâtres) ; quant aux bananes, elles sont mûres au point que leur peau semble près d’éclater, cueillies quelques heures auparavant, un régal !

 

Arrivé à Ouaga, je vais directement à la station de taxi-brousse et repars dans l'heure qui suit pour Koupéla, puis Niamey, là, je vais louer un lit à la maison des jeunes ; un Français y est déjà, sympa, vingt cinq ans, maigrichon, barbiche, il me dit qu'au Bénin la vente de voiture est autorisée et facile contrairement aux autres pays d'Afrique de l'Ouest, mais qu’il y a connu une mauvaise embrouille : Arrivant à un carrefour, une voiture était arrêtée, quand il en fut à une dizaine de mètres, son conducteur fait une marche arrière fulgurante, provoquant un carton, ameute la police et prétend que c'est le français qui n'avait pas freiné, coup fourré par excellence ! Du coup, le pauvre est reparti une main devant une main derrière, ayant dû vendre son auto pour payer les réparations béninoises.

 

Le lendemain, deux nanas se pointent, mignonnes, la trentaine, elles sont descendues avec un type qu'elles ont perdu en route, la blonde envisage de remonter par la piste, nous décidons de faire un bout de chemin ensembles.

 

Le jour suivant, en fin d'après-midi, après avoir discuté le prix du voyage, nous montons dans un camion de marchandises, direction Gao.

 

Chez Yarga, plusieurs personnes attendent depuis plusieurs jours, car il y a embargo du gouvernement algérien sur l'importation de moutons.

 

Le système consiste, pour les transporteurs maliens et algériens, à charger des denrées vendues peu chères dans les magasins d'état en Algérie : Riz, semoule, sucre etc….et de les vendre plein pot à Gao ; acheter une poignée de cerises des moutons au Mali et les fourguer un max en Algérie, je m'explique maintenant le nombre de carcasses de moutons séchant au doux soleil du Sahara.

 

Un qui se frotte les mains, c'est le père Yarga, tous les jours d'autres personnes viennent se planter dans le cul-de-sac qu'est devenu Gao.

 

Après une semaine de ce régime, je commence à contacter divers camionneurs, mais nous sommes trop peu pour pouvoir affréter un Berliet à vide de Gao à Adrar ; le temps passant, les coincés se font plus nombreux, les camions immobilisés ne rapportent plus, autant de paramètres qui rendent de jour en jour la traversée plus négociable.

 

Une fois comptés les amateurs pour la croisière, on se retrouve 17, la plupart français, il y a même un américain.

 

L’un des convoyeurs pressentis, ayant des affaires à régler en Algérie, nous demande 30.000 francs maliens (300 francs français = 45€) par personne pour nous emmener à Adrar, ce qui est plus que correct ; pour que nous soyons moins tassés, ce délicat personnage fait installer une sorte de mezzanine de bastaings posés sur la moitié avant des rebords de la benne du camion.

 

De bon matin, nous partons, il fait frisquet.

 

Quarante kilomètres après le départ, la blondinette me montre une petite butte à droite de la piste quand on remonte vers le nord ; elle me dit que le type avec lequel, elle et sa copine étaient descendues, s'était arrêté là et qu'il y avait trouvé des tessons de poteries et des morceaux de silex taillés, je me promets, si je repasse là un jour, de faire une halte pour voir de quoi il retourne. En attendant, j'ai mal au cœur et je m'accroche à la porte arrière de la benne pour tirer une gerbe.

 

La conduite des camions au Sahara est très technique, quand il attaque un banc de sable, le conducteur passe en force sans jamais changer de vitesse, ce qui fait qu'à la sortie des longs passages mous, le moteur doit tourner entre deux cent et quatre cent tours minutes, accélérateur à fond, on sent chaque coup de piston, je suis éberlué qu’il tienne le coup! Le Berliet est un camion fabuleux, entre les mains habiles des chauffeurs indigènes, on le croirait étudié spécialement pour ce genre de contrées.

 

Lors d'un arrêt, l’Américain qui revenait de faire son service militaire en Sierra Léone dans les « Peace Corps», trouve à ses pieds une magnifique pointe de lance en silex très finement taillée, tout le monde se met à chercher de droite et gauche, mais malgré le ratissage ce fût la seule trouvaille faite.

 

Monté à l’avant, je remarque un panneau que je n'avais pas vu à l'aller, il est tout rouillé, on peut lire à moitié effacé "tropique du Cancer" ; le chauffeur du camion me dit que seuls les gens qui sont passés par cet axe ont le droit de porter le « chèche », cette longue bande de coton que l'on met moitié sur la tête, moitié sur le nez et la bouche pour ne pas se déshydrater ou filtrer l'air durant les vents de sable, se protéger du soleil, s'essuyer les mains etc.....

 

La nuit, il fait carrément froid, au bout des deux jours et nuits non-stop, nous arrivons à Adrar complètement moulus.

Après avoir salué nos transporteurs, j’amène tout ce monde chez l'ami Ramdann, il nous dit qu’un bus fait quotidiennement Adrar-Béchard, (500 bornes), il part le lendemain avant l’aube, sur son invitation, tout le monde dort sur les bancs de son restaurant.

 

Après avoir pris le café et remercié notre hôte, nous embarquons dans le car.

 

On ne me fait pas payer pour mon chien, mais comme il n'a pas le droit de voyager en haut avec les passagers, le chauffeur suggère de le faire monter dans les coffres à bagages s’ouvrant par l’extérieur du car, à mon invite, il y monte de bon cœur et à part quelques jappements au début il n'y eut aucun problème ; de temps en temps, le chauffeur s'arrête en pleine campagne dans des petites bicoques où l'on peut manger une bonne soupe bien chaude parfumée à la coriandre et au laurier appelée « loubia » ou « chorba » selon qu'elle est à base de fayots ou de lentilles, j'en profite pour laisser Athos se dégourdir les pattes et manger avec moi, depuis qu'il sait me retrouver à chaque pause il ne se manifeste plus.

 

Le car s'arrête à Kerzaz pour permettre à tout le monde de manger un plat plus consistant, je retourne directement chez le restaurateur qui m'avait fait marron sur le fût, comme par hasard, le jeune type n'est pas là, une fois terminé mon plat je dis au serveur que pour la note, il aille se faire voir chez Plumeau, bien que visiblement au courant de l'histoire, il fait l’outragé et gueule aux petits pois (ce qui est normal, vu son métier), comme je me lève pour sortir, il me menace de la police sans conviction, au moment où je sors, mon escroc pointe le museau, ce qui ne me fait pas frémir de terreur, je lui dis que j'ai bien mangé mais que je ne compte pas le payer, qu'il sait très bien pourquoi, lui aussi me menace des flics, c'est ennuyeux car si l'embrouille s'envenime, le car (qui klaxonne déjà) partira sans moi, je fais le mec parfaitement serein et m'arrache sans que personne ne se mette en travers de ma route.

 

Nous arrivons tard le soir à Béchar, dînons dans un petit restaurant dont le patron est aimable comme une porte de prison ; à la fin du repas, nous demandons au gargotier où dormir pour pas cher ; il propose, si cela nous convient, de rester dans son établissement, surpris, nous acceptons en regrettant aussitôt nos considérations sur sa physionomie ; il nous passe les clés et s'en va après nous avoir dit que l’autocar pour Oran part tôt le matin et qu'il viendra nous réveiller de bonne heure pour nous faire le café.

 

Quand il se pointe, il est bien loin de faire jour, nous prenons un petit déjeuner, puis notre hôte nous explique où prendre le bus.

 

Le remerciant chaleureusement pour son hospitalité, nous partons dans la nuit froide et trouvons facilement l'arrêt du bus où nous faisons la queue ; le copain américain étant un peu en dehors de la file, se prend un petit coup de matraque sur la tronche administré par un flic qui passait par là, on se met tous à protester en chœur ; l’agent nous dit ingénument qu'il n'avait pas vu que nous étions étrangers! Devant son air consterné, nous comprenons que c'est pratique courante de mettre un coup de bâton sur une tête qui n’est pas alignée !

 

Oran, les autres s'étant égaillés au fil de la route, nous allons, un couple de français et moi, prendre nos billets pour la France, quelques temps plus tard, nous montons dans un énorme ferry-boat, le navire ne fera quasiment la traversée que pour nous, car, à part deux arabes, personne d'autre n’a embarqué ; malgré cela, le navire part à l'heure ; à cause d'une tempête, nous mettons un jour de plus pour arriver à Marseille, plutôt chiffonnés.

 

Nous prenons le train ensemble ; durant la remontée du désert, ils m'ont vanté le passage par Tamanrasset, je leur dis que très probablement, je vais refaire rapidement une descente sur le Bénin, ils me répondent que c'est aussi leur projet ; d’ailleurs, ils seront hébergés chez des copains pas très loin du coin de Dordogne où j'habite ; nous convenons de nous tenir au courant de nos recherches respectives d’automobiles. Ils quittent le train un peu avant Bergerac, nous pensons sûrement tous sans le dire que ça fait bizarre de se quitter, alors que, depuis Gao nous ne nous sommes pas éloignés les uns des autres de plus de dix mètres.

 

_Deuxième chapitre_

 

 

Aussitôt arrivé, recherche d'un carrosse, je n'ai pas beaucoup à tourner, passant devant une station-service je vois l'objet de ma quête! Je demande au patron si la voiture est à vendre et combien, il me répond que le propriétaire en veut 2000 francs, bien qu'elle ait 180.000 kilomètres, selon lui, elle est irréprochable ; nous faisons un tour, elle est nickel, les Maliens, m’ayant appris à reconnaître un moteur lavé, je ne risque plus de me faire avoir.

 

Je me rends chez le propriétaire, demande comme si je ne savais pas, le prix de la merveilleuse machine, il me répète le chiffre précédemment indiqué, je dis que je ne peux mettre que 1500 francs, nous tombons d'accord sur 1700 francs.

 

Dix minutes plus tard, je suis l’heureux possesseur d'une berline que je sens exceptionnelle, après l'avoir assurée pour un mois, je cours téléphoner aux potos ; ils me demandent si je peux venir les voir, deux heures après, je suis chez leurs hébergeurs.

 

Chez les amis en question, ambiance phacochère, visiblement, le studio est trop petit pour 4 personnes, il y a de l'électricité dans l'air!

 

Nous allons visiter les voitures qu'ils comptent acheter, à côté de la mienne, ce sont des poubelles et je ne leur cache pas mon point de vue ; ils me répondent que vu l'atmosphère, ils doivent faire vite, je leur propose de tourner dans la région avec la mienne pour essayer de trouver mieux, d'autant plus que les 404 courent les rues, en y consacrant une journée, on peut leur en trouver deux en bon état avant le soir ; mais non, ils ne veulent rien savoir, il y a des raisonnements que je ne comprendrais jamais !

 

Selon eux, il est préférable de poser des plaques de blindage sous les voitures (c’est là que j’aurai dû me méfier….), nous convenons de nous recontacter quand tout sera prêt.

 

Je les quitte, contrarié de faire la route en compagnie de moitiés d'épaves, achetées plus chères que la mienne qui plus est.

 

Chez des amis garagistes, je pose une plaque d'acier de 4 millimètres d'épaisseur sous le carter moteur, deux jours après avoir quitté mes co-voyageurs, je leur retéléphone.

 

Ils me disent qu'ils ne disposent pas du matériel pour mettre la plaque, de demander à mes copains s'ils peuvent venir l’ajuster dans leur garage, un peu gêné, je transmets la demande ; çà marche.

 

Deux jours après, c'est le départ, Eric, un copain au chômage, chanteur de rock dans les soirées des villages alentour, me demande s'il peut venir avec moi car il a envie d’aller au soleil, comme c'est un type décontract et sympa, je suis d'accord, il n'aura que sa bouffe et son billet de retour à payer.

 

Nous retrouvons les copains, il est temps qu'ils partent, ça sent le coup de couteau à brève échéance, la nana a quand même le temps de tordre le nez parce que j’embarque un passager ; je lui fais tout de suite comprendre que si çà ne lui plaît pas, c'est pareil, je ne me sens absolument pas tenu de voyager avec eux, ni de passer par Tamanrasset, çà radoucit de suite ; rapides adieux à leurs hôtes qui se retiennent à deux mains pour ne pas leur balancer les valises par la fenêtre.

 

Leurs deux voitures se révèlent aussi gourmandes en huile que l’était celle de ma précédente traversée, je les rassure en leur disant que sur les autos rustiques comme les 404 ce n'est pas très embêtant, je n'en suis pas si sûr, mais ma Maman m'a appris que plus tard on apprend une mauvaise nouvelle, mieux on se porte ; je leur mets du baume au cœur pour pas cher.

 

Traversée de l'Espagne au Maroc ; Eric a acheté du shit aussitôt passé la frontière marocaine pour agrémenter son voyage, ça ne me botte pas des masses, car se faire coincer avec cette came en Algérie, c’est l’embrouille grave pour pas grand chose, je lui demande de bien la planquer.  

 

En Algérie, nous cherchons le premier marché venu pour changer des francs au black, les commerçants sont faciles à brancher pour ce genre de transaction ; suivant le couple de copains, j'aperçois qu'un gamin les colle, tenant en équilibre un plateau d’œufs à ras du coude de la copine ; il est évident qu'au premier mouvement un peu brusque de sa part, il balancera le colis par terre pour leur faire payer la casse au prix fort, je lui tape sur l'épaule en lui faisant signe de dégager, il obtempère sans demander son reste.

 

Nous changeons autant de francs français que nous pensons en avoir besoin (2 dinars pour 1 franc au lieu de 1 dinar pour 1,80 franc au cours officiel) et nous voilà partis.

 

La chaussée est correcte jusqu’à El-Goléa, puis le goudron devient impraticable, la "route" n'est qu'un nivellement recouvert de 5 centimètres de macadam, un bruit court que la date de l'inauguration par le président avait été fixée bien longtemps à l'avance et que pour être dans l'étang, les derniers 500 kilomètres furent bâclés, l'inauguration eut lieu en temps et en heure, trois jours après, la route était à peu près dans l’état lamentable dans lequel nous la trouvons.

 

Du coup, il nous faut emprunter un chemin qui la longe, les trous dans le goudron étant plus durs à supporter pour les suspensions que les creux plus arrondis de la piste. Nous voyons régulièrement des carcasses d'automobiles, la plupart calcinées.

 

Je commence à regretter d'être passé par là plutôt que par Gao, même l'esprit des gens est différent, la route de Tam n'étant pas dangereuse, depuis de longue date, elle est très courue, ce n'est qu'un défilé de touristes avec leur cortège de cochonnes venant croquer de l'exotique ; les restaurants chers et pas aimables, touristiques, alors que peu de gens passent par le Tanezrouft et quasiment que des pros du business ; nous allons boire un coup dans un restaurant « typique », le patron, vautré dans un fauteuil, joue les hommes bleus avec la panoplie complète de colifichets touaregs, takouba* comprise, ce clown est entouré de teutonnes en pâmoison !!!!!

 

Les autos des copains commencent à donner des signes de fatigue de plus en plus importants, les moteurs ne tirent plus, les ensablements sont de plus en plus fréquents, mes amortisseurs n’ont pas résisté, mettant la gomme pour passer une plaque de fech-fech*, après plusieurs rebonds, l'avant de ma voiture se vautre sur une grosse pierre fichée au milieu du chemin sablonneux, heureusement que j'ai suivi le conseil de poser la plaque de blindage, celle-ci est complètement défoncée, le carter moteur est tordu mais pas percé, la traverse avant du châssis est complètement écrasée et remontée de 10 centimètres, au point que le radiateur m’empêche de refermer le capot qui s’est ouvert sous le choc, je vire la protection désormais inutile.

 

Tamanrasset, nous allons visiter une source au fond d'une grotte très fraîche, on y puise l'eau à même une grande cuvette apparemment naturelle creusée dans le sol, une dizaine de vieux sont assis autour et bavardent tranquillement, cette caverne est à tout le monde, nul n'a tenté de la monopoliser comme on pourrait s’y attendre en France ; Nous nous envoyons deux ou trois rasades de cette eau naturellement fraîche et gazeuse, puis, après avoir salué l’assistance nous sortons, coup de bambou du soleil ! (J'irai plusieurs années plus tard visiter l'ermitage du Père de Foucauld).

 

La copine branche un couple de Français à pied qui va à Niamey, ils se mettent d'accord pour payer leur participation au prix du taxi-brousse, le lendemain, nous repartons direction le Niger.

 

Le soir, nous tombons sur un spectacle dantesque ! Deux énormes autocars sont ensablés jusqu'à l'os, des tous-terrains 6x6* monstrueux essayent de les dégager avec des câbles et des plaques de désensablement type terrain d’aviation américain de la dernière guerre ; ces cars ont des compartiments donnant sur l’extérieur comme des boîtes de 80 x 80 centimètres sous l’espace des sièges, visiblement ce sont les couchettes ; rugissements de moteurs, gueulantes, le tout éclairé par de puissants projecteurs ; prudemment, nous prenons quelques distances car si un câble de cette taille se rompt, il vous tue sur le coup !

 

Nous nous arrêtons à côté d'autres personnes et regardons le spectacle en mangeant tranquillement, dans le lot il y a une fille dotée d’un léger strabisme convergeant (mon faible) (accompagnée), ce qui ne nous empêche pas de bavarder tout le repas, elle me dit avoir entendu un bruit selon lequel, pour rentrer à tarif préférentiel (pour le moins), il faut prendre par Air-Afrique, un billet d’avion Ouagadougou-Niamey, faire semblant de dormir à Niamey, la station d'après est Paris!

 

Bien que n’y croyant pas, je retiens la combine ; le lendemain matin, la nana me donne son adresse, puis, au revoir tout le monde, direction In-Guezzam, sortie d'Algérie.

 

Les autorités conseillant avec insistance de s’accompagner d’un guide pour ne pas s’égarer, je prends un touareg qui descend vers le Sud.

Ce bougre, ayant l'habitude de voyager sur un chameau, en me guidant par signes me fait ensabler à plusieurs reprises, rouler sur des branches armées d'énormes épines, me conduit dans des culs-de-sac pour voitures, je finis par lui faire comprendre que je vais me passer de ses conseils, de plus, quand on est ensablés, sa seigneurie ne daigne pas donner un coup de main. Nous marchons dans les cramcrams* qui se mettent partout et nous piquent, ils sont très durs à désincruster des vêtements.

 

Plusieurs fois, nous manquons nous entrecartonner car le terrain est couvert de buissons de plus en plus hauts et que, pour ne pas bouffer le sable du véhicule précédent, nous ne nous suivons pas : roulant de front à 60 à l'heure à cause du sol mou, cachés par ces buissons, nous nous croisons plusieurs fois au sortir d'un fourré, malgré plusieurs frôlements nous arrivons sans plus d’incidents à Arlit où commence le bitume.

 

Arlit-Agadez, revêtement correct, arrivés en ville, le copain et sa femme décident de faire refaire le moteur d'une des voitures, je leur dis que probablement à Niamey ils auront des garagistes moins chers et une meilleure disponibilité de pièces détachées, rien à faire, ils se sont fait embobiner par un type qui dispose d'une cour et d'un seau d'outils, une journée passe, je vais visiter le copain pour voir où çà en est, le moteur est en morceaux ; ce qui n'est pas gênant en soi, mais par terre, dans la poussière, ce qui est plus embêtant, le "mécano", s’appuyant sur une pierre, est en train de mettre des coups de pointeau dans les coussinets de bielles, je lui demande l'intérêt de cette modification, il se lance dans une théorie fumeuse à laquelle je ne comprends que dalle, je lui dis que si les ingénieurs de la maison Peugeot ne jugent pas utile cette pratique, c'est qu'elle ne sert à rien et que je la pense plus nuisible qu'autre chose, le lascar se met à fulminer, je m'esbigne en me disant, que les copains se sont emmanchés dans une histoire d'où ils ne sont pas prêts de sortir.

 

Retournant au campement où nous avons installé nos pénates, je casse l'histoire à Eric, nous décidons de continuer seuls, car le camping coûteux est obligatoire, les restaus chers et nous ne sommes pas trop ferrés.

 

Le soir, j'annonce la couleur aux autres, ils tirent une tronche de quinze mètres de long, je leur dis qu’avant de commencer cette réparation, ils auraient pu m'en parler, leur explique notre prochain dénuement et leur fait comprendre que de toutes façons, la décision est prise et que nous partons au matin prochain.

 

Leurs passagers proposent de continuer avec nous, je suis d'accord, à condition qu’ils règlent çà avec leurs convoyeurs actuels.

 

Départ le lendemain avec deux passagers en plus (comme l'ours), les copains font la gueule, ce qui ne me dérange pas plus que ça, car je n'ai pas le choix.

 

J’ai convenu avec nos passagers de partager les frais d'essence, ils sont gagnants car c'est moins cher et plus confortable que le taxi-brousse.

 

Les pneus commencent à crever régulièrement car les épines dans lesquelles j'avais roulé sous la conduite de mon fumeux touareg passent petit à petit à travers l'enveloppe du pneu, à ce rythme mes provisions de rustines fondent à vue d’œil, nous nous relayons, Éric et moi pour regonfler les pneus à la pompe à main, à la fin, j'en ai vraiment ras le bol, je finis par déchirer une couverture en quatre bandes que je plie entre la chambre à air et chaque pneu, il y a du mieux. Voir ici une vidéo contant les méfaits de ces épines à la 11ème minute de la vidéo...

 

Tahoua, Birnin-Konni, puis Dogondoutchi, Dosso, mon pote me dit qu’ici eut lieu un fameux concert l’année précédente, nous continuons de crever régulièrement….

 

Niamey, nous allons nous déclarer au commissariat central.

 

Il faut que je trouve un garagiste susceptible de me redresser la traverse avant, car ma voiture a vraiment une sale tronche, il vaut mieux régler ce problème avant d’arriver au Bénin.

 

Je lâche donc les copains à la maison des jeunes et vais vadrouiller pour trouver le carrossier d'élite qui pourra me réparer le malheur ; un quart d’heure plus tard, j'ai trouvé l’homme qu’il me faut, nous nous entendons sur le prix, il est censé se mettre au travail immédiatement, me demande de payer d'avance, mais fort de mon expérience ivoirienne, je refuse tout net mais lui accorde une avance, lui laisse l'auto sans les clés, le Neiman position « Parking » (qui laisse le volant libre, mais ne permet pas de démarrer la voiture), je rejoins les copains et me prends une bonne douche.

 

2 heures après, je vais, avec les amis, voir où en est l'affaire, le soir est tombé et nous projetons de casser une croûte dans l’un des petits restaurants indigènes qui pullulent dans le secteur.

 

Arrivé au garage, surprise, depuis que je suis parti, rien n'a avancé, aussitôt que j'ai tourné le dos, le type a lâché les outils et s'est éclipsé faire la fiesta avec mon oseille, je dis aux alentours que je vais dîner et que s'il n'a pas repris le boulot quand je reviendrai, j'irai à la police et demanderai à récupérer mon pognon.

 

Petit repas sympa, je retourne voir où en est mon affaire, la traverse déposée, mon loustic tape dessus gaillardement pour la redresser, je lui fais livrer une bière par un gamin pour l’encourager.

 

Le lendemain, petit déjeuner dans la rue, puis, je me pointe chez mon réparateur d'élite qui est en train de souder les pièces retapées.

 

A midi, la réparation est finie, je règle le solde, retourne à la maison de jeunes, mes covoituriers décident de continuer avec nous sur le Bénin.

 

Route tranquille, la frontière nigéro-béninoise est matérialisée par le fleuve Niger ; entre les deux frontières, il y a de grands singes genre rapides à canines de fauves le long de la piste, sales tronches, après avoir fermé les fenêtres, nous passons juste à côté, ils nous reluquent sans bouger, ce n'est pas très rassurant.

 

Arrivée au poste de douane béninois, corrida !

 

Les douaniers fouillent la voiture, plus pour faire leur marché, que pour réprimer les introductions illicites.

 

Faisant la sourde oreille à leurs sollicitations à peine voilées, je laisse mes passagers se faire taxer, une fois que tous les douaniers ont tous eu un petit quelque chose, nous pouvons repartir.

 

Bonne route jusqu’à Parakou, nous nous arrêtons dans un petit hôtel-restaurant dont Nestor, le patron (petit, front bombé, pète-sec) a vécu pas mal de temps en France et tient solidement son établissement, les chambres sont chères, nous prenons l’option de dormir sur la terrasse pour 1000 francs CFA (20 francs français = 3€).

 

Le soir, nous allons en ville pour manger chez les mamas, un flic veut me mettre une prune car un feu rouge arrière ne fonctionne plus, je remplace l’ampoule, mais il persiste à vouloir me ponctionner ; avant de payer, j’exige un reçu, le flic n’insiste pas et me dit, une note admirative dans la voix, et qui plus est, devant ses copains « vous, vous êtes trop fort ! ».

 

La piste reprend à la sortie de Parakou, dans chaque ville ou village dans lesquels nous nous arrêtons, les enfants nous saluent en scandant « Yovo, yovo, bonsoir, çà va bien, merci…. » à maintes reprises et sur tous les tons.

 

Savé, nous discutons avec le patron d’un boui-boui en buvant une « Béninoise », bière nationale faite avec ce que la brasserie locale a sous la main, maïs, sorgo, mil, farine de blé, riz, enfin, tout ce qui fermente, ce qui fait qu’elle n’a jamais le même goût.

 

Le bistrotier et ses potes nous disent qu’un Écossais est parti dans les collines sacrées interdites, que l’on voit à gauche en face de sa buvette et qu’on ne l’a jamais revu, je pense en mon for intérieur que des lascars ont dû lui faire la peau. Reprise du goudron à la sortie de ce gros village.

 

Bohicon, qui est le carrefour de l’igname car la route et la ligne de chemin de fer s'y croisent, ainsi que des pistes menant au Togo et au Nigéria, nous y cassons la croûte.

 

Entrée de Cotonou, un panneau géant au-dessus de la route principale, en lettres énormes : "MORT AUX TRAITRES".

Pas besoin de se déclarer au commissariat de police.

 

Nous renseignant pour savoir où loger à un prix raisonnable, nous atterrissons à l’hôtel "Babo", énorme bloc de béton de cinq étages (sans ascenseur bien sûr), avec une dizaine de chambres chacun, nous en prenons une pour quatre personnes, renseignement pris, les transactions automobiles se font au « Bénin palace », je m'y rends après la douche.

 

Les ventes de voitures se font légalement au Bénin, mais le racket local rend quasiment obligatoire une "commission" à des "intermédiaires" qui se trouvent sur place. Les clients potentiels se pointent au Bénin palace, ils sont aussitôt pris en main par les "intermédiaires" qui organisent la visite, toutes les autos (pour la plupart françaises) sont là pour ça.

 

Nous restons trois jours sans que j’aie de touche sérieuse, nous décidons d’aller au Togo voir s'il y a des acheteurs intéressés par les Peugeot.

 

Lomé, nous allons nous déclarer au commissariat. Les hôtels sont affreusement chers ; le coin est trop européanisé, pas d’hôtel Babo.

 

A la recherche d’un gîte abordable, nous tournons un peu dans la périphérie, pas mèche !!

 

De nuit, en pleine pampa, nous crevons encore une fois.

 

Nous ne pouvons pas dormir sur place à cause des moustiques à percussion.

Nous frappons à la porte d’une maison isolée, un boy nous ouvre, une anglaise arrive, je n’ai pas le temps d’en placer une qu’elle nous supplie de partir tout de suite car son mari va rentrer, visiblement, il la terrorise ; le boy ne parlant pas français, j’en profite pour demander si elle a besoin d’un coup de main ou un message à faire parvenir à quelqu’un, elle ne veut que nous voir disparaître, après tout, c’est son affaire…

 

A la lueur des phares, bouffé par les insectes, je retape la chambre à air, bientôt, elle sera trois fois plus lourde qu'à l'origine!!!

 

Dans une banlieue, nous demandons à louer une chambre chez l'habitant, nous trouvons rapidement ; nous n’avons pas fini de nous installer que déboule une voiture bourrée de flics armes à la main, embarquement immédiat au commissariat principal de Lomé sans que nos loueurs nous proposent de remboursement.

 

Nous y restons toute la nuit sur des bancs en bois.

 

Le lendemain, le commissaire arrive (pas de bonne heure, bien sûr), heureusement que nous nous étions signalés, la populace nous ayant dénoncés comme mercenaires, sans cette précaution, c’était la tôle directe, et en Afrique, on sait quand on y entre, pour en sortir, c’est une autre paire de manches !!

 

Sortis, nous allons déguster d’excellentes salades, servies sur des tables et bancs de bois dans la rue, elles nous filent une chiasse carabinée.

 

Puis je décide de retourner au Bénin, car il n’y a pas moyen de vendre la brouette par ici.    

 

Je lâche tout le monde à l’hôtel Babo, puis retourne au Bénin Palace.

 

Tous les midis, l’électricité est coupée à deux reprises, pour faire sauter les parties de flippers en cours et que l’assistance puisse se régaler de l’Internationale qui précède l’un des magnifiques discours enregistrés de Matthieu Kérékou*, le soir, même topo, ce sont toujours les mêmes harangues (de la Baltique) qui reviennent.

 

Je vends rapidement la carriole sans donner une trop forte commission, me restent 420.000 francs C.F.A (8400 francs français = 1280€).

 

Il était temps de conclure !! J’ai dû céder mon appareil photo et taper du pèze à mes passagers pour finir la route et le mec (c'est lui qui argente) tord le nez.

 

Aussitôt de retour à l’hôtel, je rends illico son flouze à mon créancier, et, avec Eric, on va se taper une bonne cuite ; il se fait draguer par une petite ghanéenne craquante comme tout, ils roucoulent durant les trois jours que nous « durons » encore à Cotonou, vu l'argent qu'il me demande de lui prêter pour les adieux, il est content de ses services, ce sont ses oignons, touchant ses allocations chômage en France, il me remboursera plus tard.

 

Nous tenons toujours la colique rapide qui tord le ventre, Eric, se rendant à une pharmacie achète sans ordonnance de l’élixir parégorique (interdit à la vente libre en France), l’effet est radical.

 

Nous allons, le soir, déguster de petites soles éclatées dans l'huile de palme bouillante, de l’igname avec de la sauce, quelques fruits, tout cela à la lueur de petites lampes à pétrole faites dans des canettes de bière artistement découpées dont le dessus, soudé à l'étain, est doté dun petit tube pour tenir la mèche, il fait doux, je suis riche, les gens sont cools, la vie est belle.....

 

J’achète un chouette fauteuil de bois massif 15.000 francs CFA (45 €), le faire expédier en avion me coûte 45.000 CFA (137 €).

 

Le lendemain, vers le port, je vois une librairie dont la vitrine est principalement réservée aux petits livres rouges de Mao Tsé Toung, ainsi qu’à de petites broches émaillées représentant Lénine, Staline et toute la clique.

 

Réfléchissant sur le moyen de remonter en France, je me dis que je n'ai aucune envie de me retaper la piste pour le retour ; Cotonou-Paris par Aéroflot coûtant entre 5 et 6000 ff (900 €), la conversation avec la petite nana de Tamanrasset me revient en mémoire, j'en parle aux copains, personne ne croit à l'histoire, mais Eric me dit que si je risque le coup, il le tente avec moi.

 

Nos passagers n'ont pas l'air de vouloir nous lâcher, le mec a des connaissances à Ouagadougou ; depuis Tamanrasset il nous rebat les oreilles d'une fameuse recette culinaire dont il se propose de nous faire profiter, ce sera l’occase ; Nous nous rendons à Jonquet, énorme station de taxis-brousse qui en partent à toutes heures pour toutes les destinations, nous prenons un Cotonou-Lomé, car pour aller à Ouagadougou, le plus directe est de faire Lomé-Ouaga (voir la carte).

 

Lomé, nous allons boire un coup à l'Abreuvoir, l'un des bars où se retrouvent les touristes ; des balançoires pendues au plafond remplacent les tabourets de comptoir, nous éclusons une excellente bière allemande, la «Eku», les petites putes ghanéennes (toutes princesses Achanti "authentiques") sont fidèles au poste, il faut dire qu'à la frontière Togo/Ghana, les changeurs donnent entre quinze et vingt fois le cours officiel C.F.A/Cedi, je soupçonne mon copain d'avoir donné pour trois jours de Nirvana, l'équivalent de deux ans d'émoluments d’un fonctionnaire ghanéen.

 

Lomé-Ouagadougou, à peu près huit cent bornes en 404 plateau, toujours 16 personnes derrière et 3 devant.

 

Arrivés à Ouaga, Eric et moi, trouvons un petit hôtel pas cher et sympa en rez-de-chaussée avec une petite cour au centre, style atrium sur laquelle donnent toutes les portes des chambres, nous gardons les bagages de nos coéquipiers qui partent en taxi chez leur copain, ils doivent revenir nous chercher pour les agapes promises depuis Tam.

 

En fin d'après-midi, arrivée en trombe du passager qui vient récupérer leurs affaires, il n'a pas le temps de nous en dire plus ; en fait, il file comme un pet sur une toile cirée se taper le ragoût sans nous, nous ne les reverrons ni l’un ni l’autre, quelle bande de hyènes !!!!!!!!

 

Le lendemain, je passe chez madame Air-Afrique prendre des billets Ouagadougou-Niamey ; 32400 francs C.F.A les deux, soit 324 francs français (50 €) par tête de pipe, si ça marche, c’est raisonnable !!!!

 

Nous attendons deux jours en bronzant dans la cour pour éblouir les copines de Dordogne car là-bas c'est encore l’hiver.

 

Le soir d'embarquement, il fait une chaleur épouvantablement moite, l'aéroport est un tohu-bohu indescriptible, nous attendons, Artaban ne craint pas de concurrence de notre part !!!!!

 

Au guichet, premier écueil : le mec veut mettre ma valise en soute, j'aurais dû y penser !! Si celle-ci débarque à Niamey, elle est perdue ; j’y tiens car elle contient des pointes de flèches de silex taillé, bracelets anciens, poignards et autres matériels et souvenirs achetées aux Touaregs croisés sur la piste ou aux marchands de souvenirs de Gao; je dis à l'employé que j'ai oublié de confier un objet à quelqu'un, retourne avec mon pote sur le parking, jette la valise, des vêtements, sac de couchage et tout ce qui n'est pas achats typiques de ce voyage ; quand je reviens, je ressemble à Bibendum, malgré la température infâme, j'ai passé deux pulls et des chemises auxquels je tenais particulièrement, des bracelets de bronze-argent énormes autour des poignets, malgré mes manœuvres pour y échapper, je retombe sur le même type à l’enregistrement, il ne me reconnaît pas!

 

Nous embarquons, trouvons deux places côte à côte, je suis côté hublot, l'avion décolle.

 

Le plan prévoyant de faire semblant de dormir, nous nous y employons avec infiniment de conviction. Vingt minutes plus tard, les hôtesses se penchent sur chaque passager et lui demandent quelque chose que nous ne parvenons pas à saisir, arrive notre tour, la fille essaie de réveiller Eric, bien sûr, peine perdue ; il devient vite évident à son ton insistant, qu'il lui faut absolument une réponse.

Faisant semblant de me réveiller péniblement, je lui dis pour justifier notre profond sommeil que nous sommes malades et lui demande ce qu'elle veut, elle désire savoir si nous descendons à Niamey où Paris, je remarque qu'elle tient une planchette avec des papiers tenus par une pince, supposant qu'elle pointe les billets, je lui réponds que nous descendons à Niamey, sur quoi elle nous tend deux fiches à remplir par personne, l’une pour la douane l’autre pour la police nigérienne.

 

Consternation à Landerneau ! Dès qu'elle est passée, mon pote revient à la vie et s’inquiète de la suite des opérations, je lui dis « tant qu'on ne nous vire pas à coups de pompe au train, nous restons dans l'avion, le plan continue » ; à tout hasard nous remplissons les papiers puis les glissons dans les poches devant nous, l'avion pique maintenant sérieusement du nez, ça sent l'atterrissage imminent, nous reprenons notre somme en serrant furieusement les miches.

 

Atterrissage, les portes s'ouvrent, les gens sortent, une chaleur torride envahit la carlingue; quelques temps après, il n'y a plus de passagers devant nous, dix minutes plus tard, bien que nous ayons coulé dans nos sièges au maximum, l'hôtesse revient et commence à nous secouer l'un après l'autre de plus en plus fort, inutile de dire que nous ne bronchons pas! Finalement elle se lasse, dit « tant pis » et s'en va.

 

Nous restons ainsi pendant une bonne heure, situation inconfortable s'il en est ! Puis de nouveaux passagers commencent à monter ; apparemment, les places que nous occupons ne sont pas louées car il n'y a pas de réclamation, les portes se ferment, l'avion se met en bout de piste et roulez petits bolides !!!

 

Malgré la tension, nous parvenons à dormir pour de bon.

 

Le lendemain matin, l'hôtesse (toujours la même) un plateau de petit déjeuner à la main, nous réveille beaucoup plus facilement, nous mangeons comme des gorets, les émotions çà creuse !

 

L'avion descend sur la France.

 

Après avoir atterri, nou avançons petit à petit derrière les gens dans la travée pour sortir, Eric me tape discrètement dans le dos et me fait signe de regarder derrière lui, je vois un type, genre P.D.G qui me regarde, il lève le pouce, une lueur amusée dans le regard ; derrière nous dans l'avion, il avait assisté à notre prestation, d'un air faussement modeste je lui fais « Hé!».

 

Nous sortons de l'appareil, passons douane et police, c’est seulement à ce moment qu’on peut dire que l'affaire est réussie, nous poussons un grand ouf, mais nous avons eu chaud et je me promets de ne plus recommencer qu’en dernière extrémité !

 

 

_Troisième chapitre_

 

De retour en Dordogne, j’envoie une carte postale à la petite nana de Tam pour lui dire que le système d’Air-Afrique fonctionne bien.

 

Recherche d'un appareil à brouter du bitume, un prétendu copain connaît une 404 en parfait état, pas chère, mais je dois lui rétribuer le renseignement, je l’envoie se faire téter les yeux.

 

Dans un camp de gitans, on me propose une 404 commerciale blanche, la caisse un peu rouillée, la mécanique en excellent état, depuis les déboires de mon premier voyage, j'inspecte soigneusement l'outil à traverser le désert ! La différence entre la version commerciale, très frugale, et le break, tient en ce que ce dernier est mieux équipé en options, peut emmener 9 personnes et comporte, pour les nouveaux modèles, un tableau de bord trois compteurs qui plaît beaucoup aux Africains.

 

1000 francs demandés, je fais baisser à 600 (92 €), baluchon, départ ; curieuse impression d'être une flèche tendue vers l'Afrique, ce coup-ci, je ferai Alméria-Mélilla, Mélilla est une enclave espagnole au Maroc, l’anisette et le whisky y sont cinq fois moins chers qu'en France ; j’avais remarqué qu'une fois défait la garniture de portière, une bouteille de whisky carrée entourée de journaux se coince parfaitement au fond de cet espace, d’où la dizaine de vieilles publications glanées sur ma route.

 

M'arrêtant pour dormir en Espagne, je me réveille par un froid de canard 4 heures plus tard, il y a une couche de glace sur les vitres à l’intérieur de la voiture, je démarre le moteur, mets le chauffage, gratte une meurtrière pour voir une portion de route, et pars, toujours emmitouflé dans le sac de couchage ; quelques kilomètres après, je m’aperçois que la température d’eau du moteur attaque la zone rouge et que le chauffage n’évacue pas de calories, j’en déduis que toutes les canalisations, et sûrement le radiateur, sont gelés, je me gare.

 

Un quart d’heure plus tard, je remets le contact, l’aiguille de température est descendue, je continue, rebelote, m’arrête à nouveau, je ne regrette pas d’être resté dans mon cocon !

 

J’arrive à rouler ainsi jusqu’à un restaurant qui, malgré l’heure tardive est toujours ouvert, je m’extirpe et entre dans l’établissement à assouvir les faims et soifs, commande un casse-croûte, un verre de rouge et un café.

 

Une heure plus tard, le chauffage est de nouveau opérationnel, apparemment, pas de dégâts à la mécanique.

 

Mélilla, attendant le bateau, je croise un Français grand, brun, corse, que j’ai déjà entrevu à Cotonou, visiblement, il s'apprête à faire la traversée, on se salue, il passe par Gao, c’est un bon, nous décidons de faire un bout de route ensemble.

 

On se retrouve sur le pont le lendemain matin ; pendant la nuit, il a trouvé moyen de tringler une grosse allemande. Nous faisons nos provisions de route et d'alcool à Mélilla, au passage je lui montre le truc des bouteilles de whisky dans les portières, du coup, il en prend trois de plus.

 

Passage de la frontière marocaine toujours aussi tranquille, mais à la sortie, problo pour moi, je n'ai pas changé la carte grise par économie et le douanier me cherche des poux dans la tête car je n'ai qu'un acte de vente pour justifier que je suis propriétaire du véhicule.

C'est le soir, le big-chef ne viendra que le lendemain matin, lui seul pourra prendre une décision ; le copain lui, n'est pas emmerdé car il a pris la précaution de faire légaliser la signature de l'acte de vente à la mairie du secteur d'achat.

 

Le processus de légalisation consiste à accompagner le vendeur à la mairie, qui, après avoir prouvé son identité, signe l'acte de vente devant la personne habilitée qui appose tampon et signature certifiant que l'acte a été signé devant elle par le propriétaire ; en y réfléchissant, je trouve logique que le douanier m'ait arrêté, mais je n'ai pas l'intention de retourner en Dordogne pour réparer la bévue, je dis au copain qu'il ne m'attende pas, mais il préfère rester pour voir ce que ça va donner, je n'insiste pas outre mesure !

 

Le petit matin arrive, le chef itou ; bref conciliabule entre douaniers, le gradé vient me voir, je lui dis avoir appris seulement cette nuit l’existence de la légalisation de document ; il est sympa, après avoir discuté un peu, il me tend mes papiers en nous souhaitant bonne route. Plusieurs fois par la suite je me rendrai compte que les affaires bancales se règlent en Afrique par le dialogue et le contact humain (on pourrait prendre modèle en France!).

 

Passage de la douane Algérienne toujours aussi rigide, nous nous séparons à Tlemcen où mon compatriote a des affaires en cours.

 

Pas de pompe à essence ouverte ou approvisionnée sur la route, je pense en trouver plus tard, hélas, à Sebdou, la pompe est à sec, 40 bornes avant El Aricha, l’horizon est totalement désertique et enneigé, alors qu’en Dordogne, il faisait doux ; l’aiguille d’essence bloquée sur le zéro depuis longtemps, je vois enfin une maison isolée, je vais taper à la porte et demande au type qui vient de m’ouvrir s’il peut me vendre de l’essence, il me dit « bouge pas » ; il revient peu de temps après avec un bidon d’une dizaine de litres à moitié plein, je fais une transfusion à mon réservoir, rends la consigne à mon sauveur, lui demande combien je lui dois, il me dit « rien du tout », je lui serre la main en remerciant énergiquement.

 

Je cède mes bouteilles au fil de la route, notamment dans les stations d’essence, car les pompistes demandent systématiquement si l’on a quelque chose à vendre. Les mecs sont sympas, n’ayant pas besoin de beaucoup de dinars, je vends les bouteilles 200 dinars en faisant remarquer que je leur fais une fleur et que la prochaine fois, ce sera le tarif syndical, soit 300 dinars, la rareté du produit fait que l’on peut demander beaucoup plus en étant chien.

 

L’accélérateur s’enfonce très facilement sur les 404, c’est pénible, car je ne peux pas reposer le pied dessus, je palie le désagrément à l’aide d’un sandow accroché sous la pédale.

 

Adrar, je vais manger un ragoût chez Ramdann, il me remplit 2 bidons d'eau de 10 litres, puis je vais à la station charger 250 litres d'essence.

 

Reggane, il n’y a pas de gens en attente d’un convoi, j’y vais au flanc comme si je ne savais pas qu’il fallait passer en groupe, les douaniers à la vue des tampons de mes différents passages me laissent partir seul.

 

300 bornes plus loin, je m’arrête pour alimenter le réservoir, je suis surpris d’entendre du bruit en ouvrant le bouchon, je tends l’oreille, l’essence est en train de bouillir, je ne sais pas si la cause en est la chaleur ambiante ou le frottement du fond du réservoir sur le sable brûlant, je me fais du souci, ayant peur que cette évaporation ne diminue mon autonomie en combustible. Il est difficile, vu les différents terrains traversés, de faire un calcul de consommation, au résultat, à l'usage, je ne pense pas que la perte par évaporation soit très importante.

 

Passage de la frontière malienne cool, 30 ou 40 bornes après Anéfis, crevaison, je suis en train de resserrer la roue, quand, derrière moi, j’entends « bonjour », lorsque je me suis arrêté, il n’y avait rien à tous les horizons dans un paysage plat comme la main, et maintenant, un Peul* qui traverse d’Est en Ouest me salue, je lui rends son salut en essayant de ne pas avoir l’air trop estomaqué ; il est vêtu d’une courte tunique, d’un saroual (large pantalon) et porte une guerba* moitié plate sur le dos, il ne s’arrête pas pour discuter et continue son chemin d’un pas allègre.

 

Aux alentours de la Markouba*, des Tamasheks me font signe de m’arrêter, (ce que tout le monde fait systématiquement dans ces régions désolées), plus pour faire la manche qu'autre chose, je leur donne de l'eau sans que cela ait l'air de leur faire très plaisir, mais je n’ai que du matos de première nécessité dont je ne peux me défaire.....

 

40 bornes avant Gao, je retrouve facilement le petit monticule aux vestiges archéologiques, bien qu’il soit peu surélevé, dans la platitude du panorama, il est parfaitement repérable, je trouve des tessons de poteries décorés de dessins géométriques réguliers, la tranche de la cassure est brun clair avec une épaisseur gris foncé au milieu, je ramasse un morceau d’os, il offre au toucher deux parties, une froide et l’autre chaude, tapant dessus avec la lame d’un couteau, je m’aperçois qu’une moitié est fossilisée, l’autre pas. Je ne m’attarde pas, car ces trouvailles ne sont pas extraordinaires.

 

Gao, Niamey, 20 bornes après la sortie de la ville, un caillou me pète le pare-brise qui se casse en milliers de petits morceaux qui restent en place, je fais demi-tour pour aller au marché des pièces d’occasion changer la pièce, à l’entrée de l’agglomération, les flics m’arrêtent et commencent à dire :

_ « Vous allez payer car vous roulez avec le pare-brise cassé. »

_Moi : « Chut….écoutez, ça vient d’arriver ! », je tends le doigt vers le pare-brise, on l’entend encore craquer, les flics doivent en convenir et me laissent passer.

 

Après la pose à la ficelle d’un pare-brise d’occase, je reprends ma route.

 

De nuit, un troupeau de moutons ou chèvres dont je ne vois que les yeux phosphorescents s’est approché de la piste, ce défilé de lumignons dans l’obscurité totale est impressionnant.

 

Je dors au camping de Kandi dont les chambres sont absolument immondes, des animaux de toutes sortes et de toutes tailles sortent de la brousse proche et viennent patrouiller le secteur, de plus, l’ampoule de 25 watts pendue au plafond ne permet pas de faire l’inspection des lieux, je mets mon sac de couchage sur le matelas crade et sans draps, écarte du mur le lit en ferraille pour m’éviter des visites intempestives, et en écrase comme un sonneur.

 

Cotonou, le Bénin-palace, l’un des intermédiaires m’emmène chez une mama-Benz*qui fait du business de tissus. Nous tombons rapidement d’accord sur le prix et convenons d’un rendez-vous dans l’après-midi au Q.G pour régler l’affaire.

 

L’après-midi passe, personne, au soir, un type me demande, l’air de se prendre très au sérieux, me tend une carte de visite, se disant le frère de la mama attendue, il l’excuse car elle ne peut venir, il faut que je me présente à son bureau le lendemain matin pour conclure la vente.

 

Le lendemain, je me pointe, sa seigneurie me fait patienter, au bout de dix minutes, je dis à la secrétaire que je m’en vais, comme par hasard, il devient disponible, me fait entrer dans son bureau et asseoir, demande la carte grise pour faire rédiger l’acte de vente par son employée puis m’explique que le prix convenu avec sa sœur n’est plus de mise, me tend le dit acte de vente à signer, la somme convenue amputée de 150.000 francs C.F.A (461 €).

 

Je me lève, ôte le trombone qui tient la feuille dactylographiée et la carte grise ; empoche cette dernière, déchire de haut en bas le bel acte de vente tout neuf, en lui disant qu’il ne sera jamais un homme d’affaire, que, quand on se met d’accord sur un prix, on s’y tient, que dans les temps anciens, les chevaliers retournaient volontairement chez l’ennemi quand ils n’avaient pu réunir la totalité de leurs rançons pour se faire couper la tête et respecter ainsi la parole donnée ; sur ces bons mots, je sors en claquant la porte.

 

Comme tous les passeurs un peu secs, je vais au petit restaurant malien situé de l'autre côté de la rue, en face du Bénin palace, ce n’est qu'’une cahute de planche  dans laquelle, pour trois fois rien, on peut manger un plat. La bouffe y a toujours un fort goût de détergeant, au début, je suppose que, faute d’eau courante, les assiettes sont mal rincées; j’apprendrai bien plus tard que les mamas, pour évacuer les œufs de mouches, lavent la viande à la lessive...

 

C’est pas tout ça, il faut que je largue vite fait mon os.  

 

Je branche Doudou, intermédiaire au Bénin palace, nettement plus intelligent que la moyenne de cette engeance, lui dis que j’ai l’intention d’aller prospecter à Porto-Novo, distant d’une soixantaine de kilomètres vers le Nigeria, cette ville étant moins saturée de voitures à vendre ; je préfère emmener le petit malien sympa et être tranquille, lui filer une commission sur laquelle nous nous entendons au préalable, plutôt qu’avoir des embrouilles avec les mecs du cru et, en suivant, la police de Porto-Novo.

 

Une demi-heure après être arrivé, la voiture est vendue 450.000 C.F.A, nous nous arrachons illico en taxi-brousse dans lequel je file sa com’ à Doudou, ce dernier s’arrête avant Cotonou car il a une copine dans le coin.

 

Un habitué du Bénin-palace me dit qu’il a fourgué sa 504 break complètement destroy 600.000 CFA, vérolée jusqu'à l'os au « frère » de la mama-Benz, le connard n’a rien vu ! Je suis désolé pour la gentille mama, car le frangin a dû vouloir jouer au plus malin pour s’en mettre au passage une poignée dans les fouilles à son détriment.

 

A l’hôtel Babo, je fais la connaissance de deux Hollandais, Hans et Jöss, pour ce dernier, c’est la première traversée, il a déjà fourgué sa caisse en route, nous sommes en train de discuter en buvant une B.B (bonne Béninoise), quand un des fils du Babo’s hôtel dit à Hans qu’il y a des nigérians intéressés par sa 504, nous descendons, trois mecs entourent une noire mince et élancée dans un extraordinaire habit vert et jaune de grande prêtresse, elle est coiffée d’une mitre comme en portent les évêques, des mêmes couleurs ; Hans, parlant parfaitement anglais, attaque la discussion. J’observe l’Eminence Noire, elle a un charisme fabuleux, deux types s’occupent de la palabre, la vestale devise tranquillement avec le troisième, les problèmes bassement matériels n’ont pas l’air de la concerner.

 

Quelques instants plus tard, Hans et ses interlocuteurs se mettent d’accord, l’argent change de main, les types enlèvent les plaque minéralogiques hollandaises, sortent d’un sac des plaques nigérianes et les fixent sur les pare-chocs, tout le monde se salue ; après avoir acheté une bouteille de whisky et de la glace, nous remontons dans nos piaules arroser la transaction.

 

La combine du moment pour rentrer à un prix raisonnable en France consiste à acheter de la monnaie nigériane, à Jonquet ou à la frontière, moitié moins cher que la cote officielle et prendre une ligne régulière à Lagos avec donc 50% de réduction, ce qui donne (avec le taxi-brousse à 10.000 C.F.A par tête pour aller à l'aéroport) un retour entre 384 et 461 € selon le cours, ce qui reste raisonnable.

 

Il faut un visa pour passer au Nigeria, deux jours de délai.

 

Après avoir récupéré les passeports, nous louons un taxi, un français, Hans, Jöss et moi, nous changeons ensemble notre argent pour avoir un meilleur taux.

 

A la frontière béninoise, le chauffeur du taxi engage un peu le capot de la voiture sous la barrière, un gendarme arrive, furieux, gueulant comme un porc qu'on égorge, le conducteur semble terrorisé, discuter n'y fait rien, le militaire se penche à la portière et nous intime l'ordre de descendre, car «le véhicule est saisi par la gendarmerie».

 

De la main, le chauffeur nous fait discrètement signe de ne pas bouger, ce geste tranquille contraste étonnamment avec l'air affolé qu'il affiche, il descend de la voiture, la polémique s'engage ; bakchich, le gendarme avec un sérieux extraordinaire nous annonce officiellement que « le véhicule est dessaisi par la gendarmerie».

 

Aussitôt après, la douane nigériane : « high speed », des gens passent à pied sur le côté de la route du matériel de toute nature du Bénin vers le Nigéria et inversement ; cela à cinq ou dix mètres des douaniers sans qu’ils ne semblent s'en apercevoir, un type tente de passer avec un énorme rouleau de tissus sur la tête, juste après la douane, côté nigérian, il est encadré par cinq gus qui commencent à tirer sur le rouleau pour lui chouraver, ils opèrent avec un naturel déroutant, tout se passe sans bruit, sans une parole, le type résiste, alors, ils commencent à le tabasser avec des bâtons, dix secondes plus tard, le mec est en sang, détroussé, personne n'est intervenu, il repart vers le Bénin, sans se plaindre, son fatalisme est saisissant ! Les formalités accomplies, nous repartons, barrages partout, les militaires ont des mitraillettes Thomson de calibre 45 à camembert comme au temps de la Prohibition, de grands boucliers de lames de bois tressées et des lances type Massaï.

 

Aéroport de Lagos, le chauffeur nous avait prévenus qu'il fallait sortir à toute vitesse de la voiture car si elle stationne plus de trente secondes, les flics qui pullulent devant l’entrée matraquent le capot, nous nous extirpons de l'auto rapidos, prenons les bagages dans le coffre, il démarre plein pot sans même dire au revoir.

 

Dans le hall, nous attendons l'affichage des destinations qui nous intéressent ; prenons des billets sans problème, le cash est le seul mode de paiement accepté, ayant des destinations différentes, les Hollandais sont les premiers à partir.

 

Puis c'est le passage police-douane, il y a des coups de gueule pour un rien, l'atmosphère est chargée d'électricité, les passagers sont pressés et bousculés, les douaniers refouillent les voyageurs avant la rampe conduisant à l’avion, plus pour leur soutirer quelque chose que pour découvrir d'éventuelles armes, l'ambiance est vraiment craignos !

 

Nous survolons le Sahara durant deux heures, je me dis qu’il faut être branque d'avoir traversé cette immensité, seul, dans une bagnole à 600 balles.

 

Arrivée à Paris, ouf ! Un petit bonjour à la famille, puis retour en Dordogne.

 

 

_Quatrième chapitre_

 

 

Je trouve une 404 berline nouveau modèle, boîte en H, tableau de bord trois compteurs, légalisation de l'acte de vente, descente.

 

Adrar, le soir, je mange chez le père Ramdann, j’y fais connaissance avec un Français étrange, la cinquantaine, il connaît bien les mœurs autochtones et furète un peu partout en Algérie durant sa descente, il me montre des petits papiers qu’il a été glaner à l’écart de la ville, ce sont des formules magiques écrites en arabe exprimant des vœux et enterrées dans des tessons de poteries à un endroit susceptible de faire se réaliser les souhaits.

Comme il est trop tard pour passer la douane, nous nous écartons un peu de la ville afin de dormir dans nos voitures, cette agglomération sans éclairage et absolument déserte la nuit, est sinistre.

 

Le lendemain, je vais remplir le fût de 200 litres que j'ai mis à la place du siège arrière, deux vieux pneus en guise de berceau.

 

Le douanier chargé de la fouille de sortie (toujours le même depuis mes premières incursions) ne visite plus que symboliquement ce que j’ai dans l’auto, il me demande, l’air de pas y toucher, des «revues», doux euphémisme pour désigner des livres et revues pornographiques, comme il n’est plus regardant sur les pièces inscrites au carnet de devises, je lui dis que la prochaine fois, je penserai à lui.

 

Reggane, trois voitures attendent une quatrième pour faire convoi, nous partons ensemble, pas d’incidents notables jusqu’à 90 bornes avant Anéfis, là, des convoyeurs algériens sont en train de désosser fiévreusement une 404 immatriculée en France, il n’y a déjà plus de phares, portières, feux arrières, pare-brise, etc…. tout le monde s’y met, les sièges sont enlevés, pour ma part, je prends le bloc portant les pédales avec le servofrein ; les Algériens mettent la voiture sur le flanc pour sortir plus vite moteur et boîte à vitesses, l’un d’eux me dit qu’ils se dépêchent car les proprios comptent vendre la voiture aux policiers d’Anéfis.

 

Apparemment, les transporteurs étaient là quand la Peugeot d’un convoi est tombée en rade, les Français ont fermé leur voiture à clé comme sur les Champs Elysées, empruntant le reste du convoi. Une fois tout ce beau monde disparu à l’horizon, les Algériens se mirent à la besogne. Après quelques menues autres ponctions, je dis aux copains qu’il vaut mieux abandonner vite fait la curée car les indigènes connaissant bien le terrain, vont contourner le poste d’Anéfis, par contre, nous, nous sommes obligés d’y passer pour avoir le tampon prouvant notre passage à ce gros village Touareg.

 

Anéfis, les flics sont avec les Français, des jeunots, tous sur le point de repartir avec des véhicules restants du convoi pour aller chercher la voiture laissée en arrière, l’agent en poste nous dit que ses collègues ont déjà acheté la 404 abandonnée sur la piste, la tronche qu’ils vont faire !!!

 

Vingt kilomètres avant Gao, nous croisons un vieux en scooter qui nous fait signe d’arrêter, il remonte vers le Nord, un peu épaté, je m’arrête, les autres continuent ; le type me demande de l’eau, entre deux gorgées, il dit remonter en France à travers le Sahara par ce moyen hors du commun.

 

Il est couvert de furoncles et conduit son engin sur une fesse, ayant une énorme pustule sur l’autre, son short est collé par le pus.

Je lui explique qu’il n’a aucune chance d’y parvenir avec son tromblon italien, que bientôt, il va attaquer le sable mou, il ne veut rien savoir, dit être un ancien légionnaire, que rien ne peut arrêter.

Il n’a qu’une besace de vivres, un petit jerrycan d’essence, j’insiste, lui redis qu’il a 1200 bornes à s’appuyer avant la prochaine pompe, qu’il lui va falloir continuer avec sa Vespa sur le dos 100 kilomètres plus loin car il n’aura plus d’essence, lui montre la carte, rien à faire, ce barjot est indécrottable... et ces bières bien fraîches qui m'attendent à l’Atlantide…!!! Finalement, je lui laisse mes bidons de 10 litres d’eau à peine entamés et continue sur Gao.

 

Je retrouve les copains au commissariat de police, salue Mamby, remplis ma copie comme un grand, puis je vais m’en jeter deux de 75 centilitres glacées dans le cornet.

 

Sur le marché aux « souvenirs », après avoir marchandé des pointes de flèches et haches préhistoriques de silex, je m’interroge devant l’hésitation du marchand à prendre la monnaie, je saurai plus tard la raison de cette circonspection : je tendais mon argent de la main gauche, celle utilisée en Afrique pour les ablutions anales.

 

Gao, Niamey, frontière béninoise, les douaniers toujours aussi speed, mais maintenant, je les connais, ils font leur cinéma derrière leurs lunettes miroir tels des tontons macoutes, quand ils ont « mangé un peu », ils redeviennent calmes, ne pas se laisser impressionner et ça passe.

 

À deux reprises, j’aperçois deux caméléons qui  finissent de traverser la route,  je n’ai pas le temps de les chopper.

 

Après avoir dormi à l’infâme « camping » de Kandi, de bonne heure, je vais prendre un petit déjeuner sur la place où s’arrêtent les taxis-brousse, café au lait, tartine de confiture et margarine.

 

Étape à Parakou, cuite avec quelques passeurs de voitures que j’ai pour la plupart déjà aperçu au Bénin-palace.

 

De nuit après Kokoro, un python de deux mètres venant de la droite traverse la piste juste devant la voiture, je braque à droite en freinant sec, tire le frein à main, il a déjà la tronche dans les herbes du côté gauche de la route, quand, lui sautant sur le râble, je l’attrape derrière la tête, ma voiture s’arrête un peu plus loin. Les pythons que l’on voit en Europe sont mous ; quand ils sortent de brousse, c’est un autre genre d’outil !

Celui-ci se roule instantanément sur lui-même, je me retrouve avec une énorme boule dure comme du boa, un peu comme une balle de tennis géante, la tête et la queue à l’intérieur, pas moyen de le dénouer, ni de le lever, il pèse un âne mort, je le caresse, ses écailles sont douces hélices, rien à faire, il ne bronche pas, à croire qu’il n’a pas confiance !

Finalement, je le roule dans la végétation qui borde la piste car je ne sais pas quand il sortira de sa position stratégique et je ne voudrais pas qu’il se fasse cartonner.

 

Il faut dire qu’au fil du parcours, à partir de 50 bornes après Bordj-Moktar, la végétation recommence à pointer le museau, d’abord de petites touffes éparses d’herbe sèche et jaunâtre, un épineux rabougri par-ci, puis deux par-là, le Niger est un intermédiaire sahel-brousse ; à partir de la frontière Béninoise, la végétation est souvent luxuriante.

 

Passant à Bohicon, je me dis qu’un petit crochet par Abomey* serait peut-être intéressant, car les passeurs, près d’arriver à Cotonou, ne pensent pas à essayer un autre débouché si près du Bénin-palace.

 

Je m'y fais un copain qui tient un petit restaurant près du marché, Johnny, jovial, trapu, une grosse bille ronde, c’est un spécialiste en omelettes de toutes sortes, il a un affreux roquet de chien rusé comme un fennec appelé Pilate, quand il me regarde, je ne résiste pas au plaisir de lui demander « à quoi tu penses, Pilate ? » ou quand il court, « où tu fonces, Pilate ? », le soir, avec un autre français rencontré en cours de route, nous faisons une belote africaine contre Johnny et un pote à lui ; la belote africaine, c'est la belote française, à part qu'on a le droit de tricher, mais pas de se faire prendre, l'enjeu : la bouteille de whisky qui est sur la table et qui est déjà bien entamée, on est tous bourrés à la clé, car avant de manger les fameuses omelettes, on a largement pris l'apéro et bu du rosé portugais pour pousser tout çà, il faut dire qu’au Bénin l'alcool est trois ou quatre fois moins cher qu'en France, il n'y a pratiquement pas de taxes sur les importations, pas d'impôts à payer, quand vous ouvrez une boutique, vous ne devez rien à personne, tout ce qui tombe dans la caisse est pour vous ; nous sortons de chez Johnny tard dans la nuit.

 

Nous avons élu domicile à la maison des jeunes travailleurs, la journée de piaule (propre) est à 500 C.F.A (10 francs = 1,53 €), j'en sors le lendemain matin avec la bouche en fond de cage à perroquet, passe voir le père Johnny qui se porte comme un charme, il a déjà fait son marché et est en train de nous mitonner un ragoût de derrière les fagots.

Le temps qu'il me prépare le café au lait avec des tartines, je vais au marché pour acheter de l'aspirine fabriquée au Nigeria, m'en enfile deux avec le petit déjeuner, puis repars sur la place, histoire de me dégourdir les jambes, toutes les mamas proposent leur articles en souriant, les odeurs sont très fortes, les mouches sur la viande ne dérangent personne, (au bout de quelque temps je n'y ferai plus attention non plus); un marchand de grigris présente un étalage incroyable d'animaux séchés, caméléons, têtes et mains de singes, peaux de serpents, bottes d’épines de porc-épic, amulettes de toutes sortes, pots contenant des mixtures de toutes les couleurs ; de l’ensemble, se dégage une puanteur insupportable! Je lui achète une botte d'aiguilles de porcs-épics après un sérieux marchandage, le soleil est haut, je recommence à avoir faim, le mal de tête s’est un peu estompé, je retourne chez Johnny casser la graine.

 

Pendant que nous grignotons avec un doigt de rosé, un Béninois costaud, la trentaine, se pointe, il est habillé d'un boubou de cotonnade imprimée, aux couleurs vives, avec chapeau tronconique du même métal, il me demande si je désire vendre le véhicule, je lui dis que si nous tombons d'accord sur le prix, ça peut se faire, lui paie un coup de pinard pour que nous puissions discuter à égalité.

 

Nous allons faire un tour pour qu’il puisse juger de l'état de la voiture, c'est pas pour vanter la camelote, mais il faut dire qu'elle fonctionne aussi bien qu’à sa sortie des chaînes de montage de monsieur Peugeot 200.000 kilomètres auparavant ; la chaîne de distribution nous fait un petit solo, mais pour l'instant ce n'est qu'un léger gratouillement ; en partant de France, elle me chuchotait déjà à l'oreille, et, des fois qu'elle se soit mise en colère en cours de route, j'ai préféré en prendre une autre de secours, d'occase soit, mais pas trop usée.

 

Nous tombons d'accord sur le prix, le type l'achète pour faire le taxi en ville, il faut que j'attende jusqu’au lendemain pour qu'il puisse réunir le pognon, l'hôtel n'étant pas cher, le restaurant de Johnny pas ruineux, l'ambiance bonne, rien ne presse, banco.

 

Le lendemain matin, pas de nouvelles, ce n'est pas bon car j'ai dit à d'autres clients que la voiture était vendue, la parole en Afrique ne valant pas grand-chose, je me demande si mon acheteur ne veut pas me faire un coup à l'envers !

 

L’après-midi, il se pointe, mais accompagné, ce qui ne m'inspire pas confiance…

 

J'ai eu le nez fin, le type en question est un mécano, et, bien que jeune, un fameux ; il connaît les Peugeot sur le bout des doigts ! Bien qu'il ne la ramène pas, je sens tout de suite qu’il va me contrarier, car, bien évidemment, le client l'a amené pour trouver l’argument qui fera baisser du prix convenu, il demande à faire un essai, je m'exécute, nous faisons un petit tour de ville, revenons, il appuie sur les ailes pour juger des suspensions, passe sous la voiture et tapote la caisse pour voir si elle n'est pas pourrie ou rafistolée au mastic, j’ouvre le capot, fais tourner le moteur, il s’exprime sur le cliquettement de la chaîne de distribution, je lui dis que j'en ai une de rechange, il demande à voir, la secoue à son oreille pour juger de son état (je pense que si elle cliquette c'est qu'elle est usée), il donne les trois coups d'accélérateur rituels et va voir la couleur des gaz d'échappement, je ne crains rien et suis bien placé pour savoir qu'elle ne consomme pas d'huile.

 

Le mécano fait son rapport à mon client en dialecte pour que je ne puisse pas comprendre, malgré cela je saisis "dynamo plus (+) de sûreté», je fais celui qui n'a rien compris, mais retiens ce renseignement comme argument d’une vente future, j'attends le verdict, le client se tourne vers moi et me dit que la chaîne de distribution est foutue, qu'il faut la remplacer, gnagnagna et gnagnagna......ce à quoi je réponds que : pour la chaîne, je lui en fournis une, la voiture est irréprochable, d’ailleurs, nous avons déjà décidé du prix, que s'il n'en veut plus, qu’il le dise, ce ne sont pas les clients qui manquent, il est visiblement contrarié de ma fermeté, il voulait me la faire à l'africaine, mais maintenant, je connais les cordages, je sais que je tiens le bon bout; j'ai fais 5000 kilomètres dont plus de 2000 de désert et de piste pour amener ce magnifique engin en parfait état de marche, ce n'est pas le moment de mollir!

 

Je lui dis courtoisement, mais fermement que je n'ai pas l'habitude de discuter trois fois le prix, c'est oui ou non, verrouille les portes et retourne boire une "béninoise" bien fraîche.

 

Après quelques palabres avec son auxiliaire, il revient chez Johnny pour me payer, je tends la main, il sort un gros paquet de billets, je recompte, empoche les coupures, paie une tournée générale, il s'en va au volant de mon ex-berline ; bon, me voilà riche et piéton, je finis l'après-midi à me torcher avec Johnny et le collègue, le copain me demande ce que je compte faire, je lui explique comment remonter par Lagos, que c'est actuellement le meilleur moyen de retourner en France, comme il n'a pas eu de clients sérieux et que sa voiture commence à être un peu trop connue ici, nous décidons de descendre sur Cotonou.

 

Au Bénin palace, une histoire cocasse circule : une grande forêt située entre Porto-Novo et le Nigeria est appelée « la forêt des voleurs » car elle sert de passage à tous les trafics illicites entre ces deux pays et des types s’y sont fait prendre à essayer de passer un réacteur d’avion volé!!!

 

Je vais à l’ambassade du Nigeria ; hélas, il faut une page vierge sur le passeport pour y mettre le placard qu’est le visa, j’essaye d’insister, mais le mien est gavé, rien à faire, de plus, se faire refaire un passeport au consulat français prendrait trop longtemps.

 

Au Bénin Palace, je confie mon embarras à un descendeur pratiquant depuis plusieurs années, il me dit qu’il suffit de prendre les nairas à Jonquet, d’acheter à l’aéroport de Cotonou un billet Cotonou-Lagos. À la descente de l’avion à Lagos, on vous demande « transit ou Lagos », dire « transit », aller dans la salle à gauche qui se trouve au bas des escaliers, attendre qu’il n’y ait plus d’affichage de partances, à ce moment, les douaniers et policiers s’esbignent de leurs guitounes, on passe en zone nigériane prendre le billet, puis on revient en transit, le tour est joué.

 

O.K, va pour le plan, j’achète un magnum de Chivas pour arroser ma prochaine visite à Paris, puis des nairas à Jonquet, le billet à l’aéroport de Cotonou et pars pour Lagos

 

Lagos, premier problo, un cordon sanitaire demande les carnets de vaccination, sur le mien, le choléra est périmé!

 

Je ne parle pas trop bien anglais, là, je ne m’exprime qu’en français, en désespoir de cause, ils me font accompagner par un loustic vers le chef de police, nous descendons un escalier, traversons un hall que je pense être la salle de transit, car s'y trouve l’affichage des départs, à la sortie à droite, un large couloir, le cerbère me dit d’aller taper à la porte d’un bureau où deux de ses collègues fonctionnent et me lâche les baskets.

 

À trois mètres du bureau, je me baisse, fais semblant de regarder dans mon sac, me retourne, mon ange gardien repart au cordon sanitaire sans me reluquer, demi-tour, direction la salle de transit, le coup est rattrapé.

 

J’attends, les affichages n’indiquant pas de départs avant quelques temps, comme prévu, les douaniers et policiers ripent les galoches, je passe les guichets ; dans la zone nigériane j’attends en sirotant une « Trois Couronnes », une demi-heure plus tard, toujours pas de départ annoncé sur la France, un Européen pointe se désaltérer, nous engageons la conversation avec mon anglais approximatif car mon interlocuteur est Écossais.

 

Il travaille sur une plate-forme pétrolière et retourne chez lui, de fil en aiguille, nous étant mutuellement offert le liquide brassé qui réjouit les cœurs, je lui révèle ma combine, je le vois brusquement soucieux pour ma pomme, quand je lui demande la raison de son tracas, il me désigne un black qui attend à l’écart et me dit « je suis en situation régulière et ce type est payé par ma compagnie, uniquement pour faciliter mon embarquement ».

 

Il me propose d’en parler à son lubrificateur de passage, je demande s’il est sûr de lui, il m’assure qu’il n’y a pas de problème, c’est son métier, et s’il me balance, cela se saura et il sera viré, je lui donne le feu vert ; l’Écossais appelle le black et lui casse le coup en anglais, au fur et à mesure que ce dernier comprend la situation, il vire au gris, je commence à m’inquiéter !

 

Le passeur se lance dans une longue et vigoureuse explication que me rapporte le copain car je n’ai rien pigé. Le vaselineur de situation préconise, pour que je m'en sorte, qu'entre la couverture du passeport et la première page, je mette une liasse de nairas pour la police, et, après la dernière, la même somme pour la douane, le tout correspondant à un peu plus que le prix d’un billet d’avion, cela sans garantie que ces messieurs daignent accepter mon offrande !

 

Je réfléchis un peu, demande à l’Écossais s’il peut garder quelques minutes mon sac.

 

J’ai décidé de traiter le problème bille en tête : Je prépare plusieurs paquets de CFA de divers montants dans mes diverses poches, puis me pointe au guichet de police, montrant le bureau du chef situé plus loin derrière, je dis au fonctionnaire que je dois aller parler au responsable, le type un peu surpris me donne le feu vert, les douaniers n’émettent pas plus d’objection à mon passage, je fais un crochet de façon à ce que, si le chef me voit arriver par la vitre qui donne vers le hall principal,croit que je viens de la zone de transit international.

 

Je tape à la porte, salue, explique que j’arrive de Cotonou, que je dois aller rendre visite à mon frère qui travaille à l’ambassade de France à Lagos, que je n’ai pu obtenir de visa car mon passeport est saturé ; que faut-il faire pour sortir ?

 

Le chef en civil, assis derrière son bureau, après avoir examiné mon passeport, dit quelques mots à voix basse à un type en uniforme debout derrière lui, ce dernier me fait signe avec sa british badine de venir discuter dans un angle du bureau : je dois donner 25.000 C.F.A, je réponds qu’il ne m’en reste que 15000, il faut que j’en garde un peu pour le taxi qui me conduira à l’Ambassade, on finit par tomber d’accord sur 6500 C.F.A (130 ff = 20 €), je sors l’oseille de la poche à 15.000, en compte 6.500 qui sont dirigés, ainsi que mon passeport vers le chef, qui, y trouvant un espace à peu près libre à la dernière page, y met un bon coup de tampon, marque quelque chose dessus et me rend le passeport, je lis « transit pass 48 h Cotonou », le problème est résolu.

 

Repassant les guichets, avec mon visa tout neuf, je retourne voir l’Écossais et son bras cassé de pilote, présente mon autorisation temporaire et leur dit : « and this, it is chicken ? », je crois que l’Écossais n’est pas encore revenu du coup. Je paie une tournée pour fêter l’évènement, le copain, ayant son avion annoncé s’arrache en me souhaitant bon voyage, je lui retourne son souhait.

 

Attendant mon avion, un Nigérian me demande si je veux acheter un billet à tarif réduit pour Paris, je demande à voir l’objet, il me tend le retour d’un Paris-Lagos/Lagos-Paris au nom de « Herpin », je lui dis que ce n’est pas mon nom, il répond qu’il n’y a pas de problème, qu’il s’occupe de tout, le prix étant des deux tiers du tarif normal, je suis d’accord, mais ne paierai qu’une fois passées police et douane, dans la zone de transit, il accepte.

Il n’y a pas d’avion pour Paris avant le lendemain après-midi, on se donne rencard avant l’heure d’embarquement.

 

A plusieurs reprises, on m’aborde pour me proposer l’hospitalité à l’extérieur de l’aérogare, probablement pour me dépouiller ; montrant mon visa à la police et à la douane, je demande à me replier dans la zone de transit, ce qui m’est accordé, j’y serai tranquille.

 

Le soir, j’en sors, et ayant du coup des nairas de rab, je vais au restaurant de l’aéroport ; superbes couverts, mais la bouffe pas géniale.

 

Le lendemain, en fin de matinée, un colonel de légionnaires à la retraite, 45 ans à vue d'œil, se pointe au comptoir, nous discutons pour passer le temps ; il me raconte que, du temps où il opérait en Mauritanie, il est tombé sur des sites extraordinaires, notamment des forêts entières d’arbres fossilisés, des secteurs couverts de silex taillés ; lors d’une halte prolongée, ses hommes, pour se distraire, ont fait des dessins au charbon de bois sur les parois de grottes dans lesquelles ils s'abritaient ; bien plus tard, il en a retrouvé des reproductions dans des livres traitant de préhistoire qui donnaient pour authentiques ces délires légionnairo-rupestres. Vers 13 heures, il embarque.

 

Un peu plus tard, comme convenu, mon type se pointe, enregistre le billet, me fait passer avec mon sac ; une fois dans la salle de transit, il devient nerveux, je lui dis de me suivre dans les chiottes, nous nous y enfermons, je sors l’argent de mon calbar, ce qui ne le choque pas outre mesure, compte le prix convenu, il me demande un supplément pour la taxe d’aéroport, je l’envoie chez Plumeau. A Paris je sors de l’aéroport sans anicroches.

 

Ma mère n'étant pas à Paris, je prends le train pour Bergerac dans la foulée.

 

 

_Cinquième chapitre_

 

 

Lalinde, à la gendarmerie, je déclare mon passeport perdu afin de le garder en souvenir et m’en fait établir un autre.

 

Après quelques orgies périgourdines, je décide de passer voir la Mama en banlieue parisienne, un copain me demande de l’emmener, je prends le magnum de Chivas acheté à Cotonou conservé pour l'occasion ; à Épinay, je gare la voiture au pied de l’immeuble, prends mon sac, au quatrième, je pose le bagage devant la porte, sonne, ma mère ouvre, j’avance pour l’embrasser, le copain prend le sac, lui fait faire 50 centimètres, le pose……. et casse la bouteille.

 

Le nouvel appareil à dévorer du kilomètre à qui je me propose de faire voir du pays est encore une 404, un vieux modèle avec un seul compteur et vieille boîte, mais comme on me la donne, je ne demande pas la monnaie.

 

Ce coup-ci, comptant sur mon douanier algérien lubrique, je vais descendre un maximum de matériel : je charge des crémaillères de direction, des démarreurs, des dynamos, enfin, toutes les pièces détachées de 404 sur lesquelles je peux mettre la main.

 

Je trouve une combine dont je ne suis pas peu fier, pour éviter la corvée de transvaser l’essence du fût au réservoir en siphonnant, je perce un gros bouchon fermant les futs de 200 litres, fais passer et braser à travers un petit tube de métal, le but du jeu est qu’une fois le réservoir de la voiture vide, je relie avec un tuyau souple la pompe à essence directement au tonneau, je prolonge le bout de tube en fer donnant à l’intérieur du baril par un tuyau de plastique lesté d’un boulon pour aller au fond, ainsi mon deuxième réservoir sera de 200 litres, pas de siphonage, de manipulations ni d’évaporation……. la perfection.

 

Regardant le prix des bouquins pornos, je suis horrifié par le coût exorbitant de la luxure, je fais l’impasse.

 

Une fois parti, quand je traverse les villes, je reluque sur les poubelles des paquets de revues style « Jours de France, Elle, Paris-Match etc….», les  bourgeoi s  en font souvent des piles soigneusement ficelées, je n’ai qu’à descendre de la voiture et les balancer dans le coffre arrière, mon plan est qu’arrivé à la douane d’Adrar, je tendrai quelques revues à mon douanier libidineux d’un air innocent, sachant qu'il ne pourra pas mettre les choses à plat en me disant qu’il voulait des bouquins pornos.

 

Plutôt que faire Algesiras-Ceuta, je continue de passer par Alméria-Mélilla, l’économie kilométrique de trois cent bornes et d’une demi-journée de conduite compensent largement la différence de prix du billet ; de plus, je peux prendre des douches et me raser, ce que je ne peux refaire en principe qu’à Tessalit avec un seau d’eau douteuse.

 

A la douane algérienne, il me faut tout déclarer comme d’habitude, je ne me fais pas de soucis de ce côté, un douanier me demandant l’air de rien si j’ai des « revues », pour rigoler, je lui réponds par l'affirmative, son œil s’allume, je ne sais pas si c’est la joie de coincer un passeur d’ouvrages illicites, ou celle de mettre la main sur cette si rare littérature ; avec le plus grand sérieux du monde, je lui montre les lectures récoltées en France, consternation, comme je ne bronche pas et garde mon air tranquille, il me dit « c’est bon», bon prince, je lui en donne deux ou trois, ce qui est tout de même un beau cadeau, car ces publications sont rares et chères dans le secteur....

 

Tlemcen, je m’arrête sur la place principale, je suis immédiatement abordé par des amateurs de pièces d'automobiles, je vends tout en deux coups de cuillère à pot ; pour voir si les gens du coin sont honnêtes, je laisse un type partir avec un démarreur afin qu’il l’essaie et revienne me payer ou le rendre, dix minutes plus tard, il est de retour avec les 300 dinars convenus.

 

Aïn-Sefra, je m’arrête chez un restaurateur où je mange régulièrement, l’après-midi est bien avancée, il m’invite à prendre l’apéro dans son appart dans l’arrière boutique, nous tortillons les trois-quarts d’une bouteille de Ricard qui me restait, je lui vends du Whisky mais lui laisse l’argent en dépôt car, ayant vendu les pièces, j’ai bien assez de dinars.

 

C’est un pète-sec, mais visiblement, il est content que je passe le voir, des fois, on se prend de bec, mais on se respecte.

 

En partant, il insiste pour me laisser son numéro de téléphone, pour lui faire plaisir, je prends le bout de papier qu’il me tend et le met dans la boîte à gants.

 

J’arrive à Adrar sans une seule des pièces de rechange marquées dans le carnet de devises, j’en fais un peu exprès pour savoir jusqu’où je peux mouiller le douanier.

 

Bonjour à Ramdann, pleins d’eau et d’essence, et, décontracté, je me pointe à la douane.

 

Déception, je ne vois pas mon douanier, première fois qu’il n’est pas à son poste !

 

C’est un type en civil qui me demande le carnet de devises, avant d’y jeter un œil, il m’explique qu’il a été déplacé de Oran à Adrar pour faire cesser tous les trafics, apparemment, il n’est pas ravi de cette promotion et ça le rend teigneux, le bougre!

 

Quand il voit le grand vide dans le coffre et les cinq lignes de matos inscrit sur le carnet de devises, il fait les pieds au mur !

 

Nous revenons au poste, il me pique passeport, carte grise, pognon, clés de voiture, me gratifie d’une amende de mille dinars, plus l’estimation à venir des pièces vendues multipliée par deux ( il m’en indique le montant, je n’ai pas vendu cher !!!!), le tout assorti de la feuille de change certifiant que la prune a été payée avec des francs changés officiellement, la voiture est également saisie ; Ayant changé officiellement 200 francs (30 €) à l’entrée du territoire, il est plus qu’évident que j’ai trafiqué, j’ai traversé l’Algérie, mangé, chargé trois cent litres d’essence et il me reste 500 dinars en poche pour le prochain passage.

 

Il me confisque tout mon bon pognon, je sollicite de quoi manger, payer l’hôtel et téléphoner pour pouvoir appeler en France et me faire ainsi envoyer de l’argent, royal, il me vote 20 de mes dinars. Le reste de mes diverses espèces est mis au coffre, dans une enveloppe fermée et tamponnée, il m’en donne un reçu.

 

Je demande à prendre des affaires personnelles, il m’accompagne, m’ouvre la portière de la voiture en me surveillant étroitement, la seule chose qui m’intéresse vraiment est ce petit bout de papier jeté négligemment dans la boîte à gants à Aïn-Sefra, je parviens à l’attraper discrètement, prends quelques affaires de toilettes pour donner le change, remercie ; le lascar est sec, mais correct, c’est moi qui ai fait le con, il n’y a pas de doutes !

 

Je quitte la douane pas trop fiérot, vais directement à la poste, les guichets sont fermés, mais dans le Sud, comme il n’y a rien à faire, les gens ne sont pas chiens sur les horaires, je tape au carreau, dis au préposé que je dois absolument téléphoner à Aïn-Sefra, il m’ouvre la porte, me désigne une cabine, retourne à ses occupations sans plus s'occuper de moi.

 

Aussitôt que mon pote reconnaît ma voix, il s’exclame : « toi, tu as encore fait le con ! » je lui conte le topo, il me recommande : «vas voir de ma part un certain X qui tient telle boutique à Adrar, et raconte-lui tout, si la chose est faisable, il te sortira de l’embrouille », je le remercie et pars chercher le certain X.

 

Ce n’est pas une chose très difficile que de le trouver vu son commerce. Je lui résume l’histoire, il me dit de le suivre, ferme la boutique et nous allons chez lui.

 

Moi, plutôt tendu, je le prie d’agir rapidement avant que le rapport ne sorte de la douane d’Adrar, il me répond que l’on ne peut pas aller sur-le-champ chez la personne susceptible d’intervenir, il faut être très discret car l’affaire est chaude! Il me propose de commencer par manger un bon couscous en attendant l’heure idoine, ce que nous faisons en discutant de choses et d’autres.

 

Tard dans la nuit, nous allons dans son auto par les rues sombres et totalement désertes, il s’arrête, je dois l’attendre dans sa voiture. Une bonne demi-heure passe, il revient, le type qu’il a contacté est bien placé et a eu un rapport détaillé de mon coup d’éclat.

Il embraie d’entrée : « tes bières, tu fais une croix dessus (deux packs de 24) il faudrait que tu trouves deux bouteilles de whisky, je demande « c’est tout ? », il me dit que de toutes façons, le type me sort de l’embrouille car je viens de la part de mon pote d’Aïn-Sefra et de la sienne, ce qu’il me demande n’est qu'un geste de remerciement, pas un bakchich, je réponds que cela ne doit pas poser de problème, il est un peu étonné car le whisky est une denrée très rare dans l’extrême Sud algérien.

 

Nous retournons chez lui, je file à pince directement chez le père Ramdann, il est très tard, mais je sais qu'il habite au-dessus de son restaurant, à force de tambouriner à la porte, il finit par ouvrir, je lui raconte le coup de la douane et lui demande s’il peut me prêter deux bouteilles de Johnny Walker, il me fait entrer, cinq minutes après, il redescend avec les deux clés de ma désincarcération.

 

_ «Je ne pourrais te les rendre qu’à ma prochaine descente », « te casses pas la tête », je lui dis qu’il me sauve la mise et lui serrant la main, «à bientôt».

 

Retour chez mon avocat, il est étonné de voir les deux biberons arriver si rapidement et satisfait du bon déroulement de la première partie de l’opération.

 

Nous retournons à l’adresse de mon sauveur inconnu, X se fond dans le noir avec les deux boutanches de distillat. Une dizaine de minutes plus tard, il est de retour. 

Dans la voiture, il me dit : « demain, tu vas à la douane, tu te fais engueuler, tu ne la ramènes pas, tu laisses : 1° passer l’orage, 2° tes bouteilles de bière, le reste ira tout seul ».

 

Je dors chez lui, le lendemain matin, café au lait puis il me souhaite bonne chance, je le remercie, lui demande de faire de même pour moi au copain d’Aïn-Sefra, puis je trisse.

 

Je fais un détour pour saluer Ramdann et lui dire que s’il ne me revoit pas, c’est que les choses se sont bien passées, salut mon frère !

 

Le petit douanier en civil est là, je n’ai pas besoin de me forcer beaucoup pour avoir l’air penaud ! Il est furax, à sa place, je le serai aussi, il me dit qu’exceptionnellement, la douane me fait une fleur, mais que la prochaine fois, même s’il ne manque qu’une boîte d’allumettes je n’y couperai pas.

Il me rend les papiers, le peu d’argent français qui me reste, me dit que les devises algériennes ne devant pas quitter le territoire, il les garde au coffre, à mon prochain passage, je devrais présenter le reçu dont il me gratifie, on me restituera mon pécule, je lui réponds que je n’en doute pas un instant (ce qui est vrai), demande où je dois mettre les bières, il me désigne du bout des lèvres un recoin, je fais la livraison, et…je… m’arrache........................... !!!!!

 

L’homme est ainsi fait qu’il n’est jamais satisfait, aussitôt délivré, je regrette de ne pas avoir une petite douzaine de bières pour traverser le Sahara ; j’ai à ce propos trouvé une combine : emmailloter une 25cl dans un chiffon mouillé, la coincer, goulot en bas dans une banane du pare-chocs avant, avec l’évaporation hors du commun dans le secteur, dix minutes plus tard, la bouteille est quasiment glacée, le chiffon tout sec, prêt à resservir, les plus forts bonds de la voiture n’ont jamais fait sortir les canettes de leur logement et j’en ai pourtant traité un sacré paquet !

 

Aussitôt que le moteur hoquette par manque d’essence, je stoppe, débranche et bouche la durit provenant du réservoir avec un boulon de diamètre approprié pour que le sable n’entre pas à l’intérieur, dispose le gros bouchon percé du tuyau de fer sur le fût de 200 litres, installe le tuyau souple prévu pour relier le bidon et la pompe à essence, avec la chaleur, le carburant est toujours sous pression dans les réservoirs, le système fonctionne parfaitement !!!

 

Au milieu du désert, faisant une halte, je tombe sur une vipère à cornes morte, elle a été butée il n’y a pas longtemps, le sang est encore frais, ce n’est vraiment pas un animal sympathique, 80 centimètres de long, la queue qui se termine en boudin, deux excroissances derrière une grosse tête (d’où son nom), elle se planque dans la sable, ce qui la rend d'autant plus dangereuse, car quasiment invisible.

 

J’ai entendu une histoire à Gao à propos d’un serpent de cette espèce : Un patron de camion transsaharien se fait mordre par l’une d’elles ; en principe, on en meurt dans les heures qui suivent, le mec le sait, ne s’affole pas, dit à ses graisseurs de lui préparer du thé, et, sur une natte, s’adosse à une roue du camion et boit tranquillement ce qu’il pense être son dernier verre, un jour passe, puis deux (pendant lesquels il est malade comme un chien), à la fin du troisième jour, il commence à émerger et s’en sort définitivement.

 

La boîte à vitesses ancien modèle n’est pas pratique, surtout quand il faut rétrograder en catastrophe dans les plaques de fech-fech.

 

Vingt bornes après Aguelhok, un type à pied en uniforme me demande de l’emmener un peu plus loin, c’est un garde-chasse armé d’un vieux 12 Simplex de la manufacture de St Etienne, chemin faisant, il me propose des dents d’hippopotame, je lui réponds que je n’ai pas une tune à investir dans ce genre d’objet, comme il n’en veut que 5000 francs maliens (50 ff = 7,5€), je demande à voir, quelques dizaine de kilomètres après, il me demande de tourner à droite, il n’y a plus de piste, plus de traces, mais le terrain est assez consistant, nous roulons un peu, et arrivons à une cabane esseulée, dans laquelle vivent ses femmes et enfants, après avoir dit bonjour à tous, il me montre les objets, nous faisons affaire.

 

Roulant de nuit sur une portion surélevée permettant de circuler quand la piste est inondée, je vois sur la droite, une fusée rouge monter dans le ciel, aussitôt, je m'arrête, tourne la voiture dans la direction d'où venait ce qui doit être un appel "au secours", et fais des appels de phares, rien, pas un signe, j’attends une dizaine de minutes, laissant les phares allumés, pas de réactions ; me vient soudain une très mauvaise sensation, j'ai les poils qui se hérissent, je réalise que le coin est complètement paumé, idéal pour un traquenard, je repars rapidos.

 

Gao, Niamey, puis le Bénin, je suis encore à sec d’argent, je décide de passer à Abomey pour dire bonjour au père Johnny et renifler la température.

 

Bohicon, je croise Cécile, garçon sympa et intelligent, toujours en costard marron, avec qui j’avais déjà discuté de vente d’autos plus au Nord ,à Glazoué où il réside, lors d’une précédente descente ; Cécile est intermédiaire, il a 25 ou 30 ans, grand, mince, les yeux proéminents, il me présente Bernard qui doit avoir 10 ans de plus comme son « second », c’est à dire apprenti ou lieutenant, celui-ci a l’air franc comme un âne qui recule !

 

Nous discutons de sa commission éventuelle, il est beaucoup moins gourmand que ses collègues de Cotonou qui demandent jusqu’à 10 %, quand ils vous amènent directement chez un client qui achète bien et vite ; vu ce que coûte l’hôtel, c’est rentable, mais souvent, ce sont des branleurs qui se font balader à l’œil et cherchent des clients au hasard de pérégrinations.

 

Intermédiaire est un vrai boulot, il faut se faire une clientèle d’acheteurs sérieux, ayant du cash en permanence à la maison, quand ils amènent un vendeur, l’affaire ne doit pas traîner : visite de l’objet, entente sur le prix, papier de vente ou pas, compter oseille, donner carte grise et au revoir. Souvent, il doit bousculer l’acheteur car celui-ci a du mal à sortir l’artiche. Il risque également de se faire court-circuiter par un propriétaire de voiture indélicat, qui, faisant semblant de ne pas accepter le prix, revient plus tard en douce chez le client; d’autres fois, l’affaire conclue, les vendeurs se font tirer l’oreille pour régler la commission, les Africains ne sont pas les seuls à faire des embrouilles !

 

Nous entamons la tournée d’éventuels acheteurs ; aux coins des rues, il y a souvent des fétiches, sortes de masses tronconiques aux sommets arrondis sur lesquelles des plumes, morceaux de tissus, et d’autres choses indéfinissables sont englués par le sang des poulets égorgés au cours des divers sacrifices, une tôle ondulée protège souvent l’idole des outrages de la pluie.

Bernard me demande de le laisser chez sa femme, il y reste 2 minutes, nous repartons en prospection, me tournant vers l’arrière pour effectuer une manœuvre, je croise le regard fuyant du « second », je me dis « cet emplâtré m’a fait un coup à l’envers », je réfléchis à ce que je trimbale derrière, un sac en peau de chameau avec des affaires minables, mon couchage, les dents d’hippo, quelques souvenirs, ce doit être ça….. J’arrête la voiture, fouille mon bagage dans lequel manque un joli petit éléphant en "ébène presque véritable" acheté à Niamey.

 

Je remonte dans la voiture et dis à Cécile : « ton second m’a volé une statuette».

 

Il se retourne vers le Bernard, celui-ci nie tout ce qu’il peut, mais ne trompe personne.

 

Je demande à Cécile ce qu’on fait, il est visiblement enquiquiné, je dis « bon, on va à la police », je prends un chemin un peu long pour y aller, car moins on voit les flics en Afrique, mieux on se porte.

Ce con de Bernard ne bronche pas, merde !

 

Pour ralentir le mouvement et laisser à Cécile le temps de le convaincre car je ne vais pas lâcher le morceau, quoi qu'il m'en coûte, je m’arrête à une station-service prendre de l’essence (dont je n’ai pas un besoin urgent), j’en prends pour 1000 francs  C.F.A (3€, ce qui ne choque personne en Afrique), il ne me reste plus en poche que 2000 francs CFA (6 €), même pas de quoi aller à Cotonou !

Une fois l’essence réglée, je redémarre, Bernard me dit « toi, tu es trop fort », mais je n’ai pas envie de rigoler, je lui réponds : « et toi tu es un adjoton (voleur en béninois) », je retourne chez sa femme, il descend, revient avec l’éléphant, je le lui arrache des mains, _ « Tu ne remonteras plus jamais dans une de mes voitures », et le plante là.

 

Nous repartons avec le père Cécile draguer l’acheteur, deux adresses plus tard, nous faisons affaire, je demande à l’acquéreur de nous laisser chez Johnny.

 

Je paie la tournée générale, donne son dû à Cécile qui ne tarde pas à riper les galoches sur Glazoué, me laissant avec mon restaurateur aboméyen préféré, le soir nous cassons la croûte, puis une bonne belote africaine (perdant ou gagnant, c'est toujours l'Européen qui paie), cuite, dormir à la maison des jeunes travailleurs.

 

Après un petit déjeuner chez lou Johnny, je vais visiter le musée d’Abomey qui est le palais du grand roi Béhanzin dont les murs sont ocre rouge, le guide indique que cette couleur provient du liant utilisé : le sang des ennemis vaincus et sacrifiés, pour moi, c’est dû à ce qu’il doit être fait en latérite, mais laissons la légende impressionner les foules ébahies……. Le siège du roi est posé sur les crânes de 4 chefs ennemis vaincus. Des artisans vendent des « Toiles d’Abomey » faites de découpes de tissus aux couleurs vives figurant les phases importantes de l’empire des rois du royaume d’Abomey, notamment, de l’arrivée des premiers portugais sur de grands voiliers.

 

Après la visite, je dis au revoir à Johnny, retour à Bohicon, train pour Cotonou, ambassade du Nigeria pour le visa, le surlendemain, départ en taxi pour prendre l’avion à Lagos avec un couple de Hollandais et un compatriote, changer des nairas au marché noir, passage des frontières, aéroport.

 

Au dernier contrôle avant de pénétrer dans l’avion, un douanier, avec un geste d’une rapidité inouïe, tire sur le cordon de la petite sacoche touareg que je porte autour du cou, et dans laquelle j’ai placé mon argent, (je la croyais invisible car très plate), et commence à extirper ma fortune !

 

Je couvre aussitôt sa main de la mienne pour coincer les billets, il appelle ses collègues à la rescousse, 4 de ceux-ci me saisissent par les ailes, me soulèvent, et veulent m’écarter des autres passagers pour pouvoir me soulager à l'écart.

 

Heureusement, je suis au milieu d’un groupe de mama-Benz*dépassant largement le quintal (appelées ainsi pour leur côté confortable, selon les critères africains) partant acheter du tissu en Hollande, elles bloquent le groupe de rapteurs et commencent à les assaisonner à coups de sacs à main vociférant « It’s his money », chaque mama pesant minimum le double d’un gabelou, ceux-ci ne tardent pas à me lâcher, nous repartons rapidement vers l’avion, moi, les remerciant vigoureusement.

 

Discutant un jour avec un type ayant vécu la situation, l’affaire se règle ainsi : une fois le billet enregistré, si les douaniers vous choppent avec de l’argent, ils vous retiennent sous un prétexte quelconque : vérification des billets, des feuilles  de déclaration de devises (que personne ne remplit avec la somme réelle qu’il possède de peur de se faire dépouiller par les fonctionnaires), que sais-je….., le principal étant de vous retarder, au bout d’un certain temps, l’avion part sans vous, vous avez perdu votre billet, vos bagages qui sont dans la soute de l'appareil qui est déjà loin, s'ils consentent à vous relâcher, c'est seulement moyennant une large ponction monétaire, il faut alors repasser douane et police, revenir dans la zone internationale, changer des nairas pour reprendre un autre billet, et ces chiens gabe/leux jouent là dessus. De plus, vous n’avez plus d’argent acheté au black et il faut changer plein pot, c’est la galère intégrale !

 

En général, l’affaire est vite bâclée, le voyageur reprend ce qu’on veut bien lui laisser, et repart la queue entre les jambes. Le Nigeria est le pays des braquages à tous les étages.

 

Au Bénin-Palace, un Africain m’a raconté que, se trouvant dans un taxi-brousse un peu tard le soir sur la route de Lagos-Cotonou, son taxi s’était fait coincer à la mode nigériane. Cela consiste, le soir tombant, (la nuit, au Nigeria, en principe, personne ne se hasarde sur les routes) à tendre en travers de la voie un câble d’acier entre deux camions dont les freins ne sont pas trop serrés, le taxi roulant trop vite pour apercevoir à temps l’obstacle, se prend dedans, les camions absorbant le choc jusqu’à l’arrêt total du véhicule. Aussitôt, les bandits sautent sur les passagers, les tuent ou les dépouillent intégralement, ne leur laissant que leurs sous-vêtements quand ils en ont ; lui, s’étant retrouvé dans ce cas et en slip, demanda à l’un de ses détrousseurs de lui laisser 5000 francs C.F.A ( 15 €) pour pouvoir rejoindre Cotonou, ce que l’autre, grand seigneur, lui accorda.

 

 

_Sixième chapitre_

 

 

J’achète un break 404 bronze métallisé nouveau modèle à des Hollandais qui habitent une vieille maison dans un village proche de chez moi, 2000 francs après discussion, çà me va, nous allons à la mairie du patelin faire certifier la vente, vu la tête de la secrétaire, c'est une formalité qui n'est pas souvent sollicitée!

 

Je charge trois fûts de 200 litres car l’essence se vend très bien à Gao, plus des pièces Peugeot.

 

Un nouveau crayon à bille magique est apparu sur le marché, il est prodigieux en ce sens qu’il dispose d’une gomme qui efface l’encre, je décide d’en faire bénéficier le carnet de devises algériennes.

 

En Espagne, j’achète des melons et des pastèques, au fur et à mesure de mes consommations, j’en garde les pépins, car, ayant repéré une petite zone d’herbe pelée avec des coloquintes rachitiques entre Bordj-Moktar et la frontière Malienne, je projette d’y semer ces graines, si ça marche, tant mieux, sinon, le coût de l’opération n’aura pas été excessif !

 

Alméria-Mélilla, je case 4 bouteilles de Whisky dans les portières comme d’hab, plus deux bouteilles d’anisette, j’en mets une devant, une dans le coffre, on verra bien si çà passe !

 

Oujda, douane algérienne sitôt passée, j’entreprends d’effacer les pièces mécaniques que j’avais inscrites sur le carnet de devises avant que l’encre ne sèche trop, consternation, le papier, de très mauvaise qualité, s’arrache à l’endroit où je passe la gomme, de plus, le document teinté en jaune, devient beaucoup plus clair à l'endroit où l'écriture à été effacée, je fais au mieux en limitant les dégâts au maximum mais le résultat est lamentable.

 

En cours de route, je vends une bouteille de whisky et une bouteille de Ricard 300 dinars chacune, il me faut des ronds pour inaugurer l'achat de pièces neuves Peugeot et Berliet que je larguerai à Gao.

 

Je vends des pièces dans un garage, en demande d’autres de rebut, je reconstitue ainsi le stock écoulé que je couche dans le carnet de devises.

 

Le joint de culasse doit avoir un coup dans l’aile car j’ai de l’huile dans l’eau du radiateur, j’achète un joint neuf.

 

Arrêt à Aïn-Sefra chez le copain pour le remercier de son coup de piston à la douane d'Adrar et lui narrer mes tribulations de la traversée précédente ; arrive le soir, il m’invite à manger avec ses amis dans l’arrière boutique, la soirée est dédiée au football, c’est la demi-finale de Coupe du Monde entre l’Allemagne et la France, une bouteille de whisky est sacrifiée à cet événement, elle ne suffit pas, une bouteille de Ricard prend le relais ; je m’aperçois lors de ce match que les Algériens sont de parti pris éhonté pour la France qui perd le match. Déchiré, je dors sur une banquette du restaurant.

Le lendemain matin, un raffut terrible provenant de la cour arrière du restau me réveille, je vais voir, un mouflon balèze fait son exercice qui consiste à prendre son élan et à courir à l'horizontale sur trois murs.

 

Adrar, je vais rembourser ma dette en whiskys et manger chez Ramdann, il vient de poser le genou sur un scorpion en réparant un frigo, voyant que je m’inquiète à la vue de la taille de l’engin, il me dit de ne pas m’en faire, il a l’habitude, "ça fait juste un peu plus mal qu’une piqûre de guêpe" !

 

A quelques petites phrases entendues çà et là, je me suis rendu compte que tous les gens qui habitent aux portes du désert n'y vont jamais et en ont une trouille bleue.

 

Je vais à la douane chercher mes sous pour faire les pleins, retrouve l’abominable, toujours aussi sec, un peu étonné de me revoir si rapidement ; contre mon reçu, il me restitue scrupuleusement les dinars confisqués.

 

Je passe saluer le Monsieur qui m’avait aidé lors de l’embrouille du voyage précédent, puis, vais patrouiller en ville afin de trouver un garage où pouvoir changer le joint de culasse.

 

J’en trouve un sans problo, déchargeant la voiture pour atteindre mes outils, je vois le garagiste loucher sur les pièces détachées ; considérées comme mortes au nord, elles ne le sont pas forcément au sud, moins bien achalandé.

 

Je lui dis de se servir, mais qu’il me remette l’exact équivalent en pièces nazes car j’ai rempli le carnet de devises avec des pièces fichues récupérées lors des ventes, puis mets illico les pattes dans le cambouis, je me presse, car la douane ferme à 16 heures et je compte arriver au dernier moment pour bousculer les formalités.

 

La réparation effectuée, les pleins faits, je glisse ma carte grise dans le passeport, ayant soigneusement sali mes mains sur le bas moteur et prenant ma feuille de déclaration de devises, je laisse des traces de doigts cambouissées à tous les endroits où le papier est abîmé pour camoufler les écorchures faites par la gomme.

 

A la douane, mon tyran m’y attend, l’œil en tire-bouchon. Je présente mes papiers et la feuille de devises, j’ai tartiné allègrement la couverture en plastique de mon passeport de gadoue, j’explique que, voulant partir le soir même, j’ai fait aussi vite que j’ai possible.

 

_Voyant le carnage, le douanier ne se sent plus de joie,

_Il ouvre un large bec et gueule aux petits pois.

 

Traiter ainsi un sacro saint carnet de devises est un procédé qu’il a du mal à assimiler!

 

Frisant l’apoplexie, il fulmine comme j’ai rarement vu quelqu’un le faire, il me prend pour le dernier mécréant de la terre!

Après divers échanges de points de vue, nous allons visiter la voiture.

 

Une pompe à essence manque à l’appel, je lui baratine que je suis tombé en panne de cet organe avant Adrar, et qu’après l’avoir remplacée par une pièce de secours, je l’ai balancée sur le bas-côté.

 

Avec un plaisir non dissimulé, il me dit qu’une pompe à essence vaut une fortune, et, que pour passer la douane, il me faudra la retrouver. O.K, partant sans mes papiers, je prends la direction du Nord, fais un grand détour pour revenir en douce au garage dans lequel j’avais effectué ma réparation, je demande au patron s’il n’a pas une pompe à essence foutue, il me répond de fouiller dans le tas de ferraille, je trouve l’objet précieux entre tous, le roule dans le sable, et repointe à la douane.

 

Le douanier ne me fait pas le coup du « il est trop tard », et continue son inspection, je dois sortir tout ce que contient la voiture, après pointage, il manque une culasse (très gros poisson), comme dans un film, je revois le mécano la prendre, le bougre ne l’a pas remplacée par une autre foutue comme je lui ai demandé...!!!!

 

Le coup de sang me prend, j’avais si bien calculé mon affaire, que me faire poisser à cause de ce con de garagiste me fait sortir de mes gonds, le douanier est surpris, un doute lui venant, il m’en accorde le bénéfice et décide de vérifier si je l’ai bien oubliée au garage (ce qui est un peu vrai).

 

_« Vous allez chercher la culasse au garage, accompagné d’un agent », je ne biche pas trop !

 

Il appelle, mon douanier lubrique sort, monte à côté de moi, je démarre, je lui tends bas le poignet (j’ai toujours les mains crado) pour le saluer sans que le teigneux voie le geste, il le serre, c’est bon signe !

 

Me vient alors une idée méphistophélique, je lui dis : «vous savez, je me suis fait prendre à la frontière d’entrée d’Algérie avec vos « revues », ils m’ont gardé trois jours! », il devient tout pâle, « vous n’avez pas dit que c’était pour moi ? » moi, grand seigneur : « mais non, ne craignez rien ».

 

Arrivé chez le garagiste, je pourris celui-ci d’importance en lui désignant mon passager, il comprend le problo et me trouve une culasse flinguée dans la seconde qui suit, le douanier devenu sourd et aveugle, j’aurais pu maquiller ce que je voulais.

 

Le reste n’est que formalités.

 

Reggane, les douaniers me laissent partir seul, ça commence à devenir une habitude.

 

Avec l’essence (+ de 600 litres en futs, + des jerrycans et le plein), la voiture est très chargée, l’arrière frotte souvent, mais finalement, passés les premiers bancs de sable, je pense que c'est jouable.

 

La nuit tombant, les ombres rasantes faussent la notion que l'on peut avoir des reliefs, je m’arrête pour becqueter jusqu'à ce que la nuit soit bien noire.

 

Je repars, il faut être attentif car la piste est faite de milliers de traces qui se croisent les unes les autres dans tous les sens, y compris par le travers, pour ne pas me tromper, je dérive sciemment légèrement sur la droite, puis sur la gauche quand les traces se font plus rares, ainsi, en faisant ces longs zigzags, je peux garder le cap.

 

Les phares de la 404 ne sont pas très puissants, après quelques tâtonnements, je pallie ce défaut : en jouant sur le commodo code-phare, j'arrive à laisser la manette entre les deux, les codes et pleins phares fonctionnent ensemble, je bénéficie ainsi d'un somptueux éclairage, durant quelques minutes, j'ai peur que les filaments ne crament, mais non, ça tient ; j’évite au maximum les gerboises qui viennent se jeter sous les roues, attirées par la lumière des phares, j'abats ainsi un bon bout de désert, puis m'arrête pour dormir, avant de couper le moteur, je le laisse tourner un moment au ralentit accéléré pour recharger la batterie ; voulant me lever un peu tard le matin je me couche à droite de la voiture, ainsi le soleil levant ne me réveillera pas.

 

Je me glisse dans mon sac de couchage, mon blouson comme oreiller calé contre la roue avant, j’écoute le silence uniquement troublé par les craquements du moteur et de l’échappement qui refroidissent. Le ciel est d'une pureté fabuleuse, on dirait que l'on a fait plein de trous d'épingle dans un papier noir et mis un projecteur derrière, on voit même passer les satellites artificiels, quelle paix !

 

J'ai pris la précaution de m'écarter de la piste, car bien que l'horizon porte à l'infini, je me méfie ; peu de temps auparavant, il y a eu un carton terrible, deux camions maliens s'apercevant au loin se prennent en ligne de mire pour pouvoir se dire bonjour en passant, mais au moment de se croiser, tournent du même côté, face à face à cinquante ou soixante kilomètre-heure chacun, une dizaine de personnes par véhicule, carnage! Le comble est que les deux camions appartenaient au même transporteur.

 

Les camions sahariens sont de véritables navires, avec mécanicien, graisseur, chauffeur, grouillots, outillage complet, pièces de rechange, provisions de bouche, charbon de bois pour la bouffe et le thé, marchandises diverses et passagers ; sur les côtés sont pendues les plaques de désensablement, de grosses chambres à air pleines d'eau pour le camion et les ablutions, des guerbas pour boire, quatre à six fûts de deux cent litres de gas-oil, de la bouffe, bref, absolument tout ce dont on peut avoir besoin dans ces coins déshérités.

 

Dès que le camion stoppe, chacun descend et s'attelle à sa tâche, en général le patron et le chauffeur font descendre les nattes et se mettent à l'ombre sous le véhicule qui tourne toujours au ralenti pour laisser gentiment retomber la température du moteur, l’un sort un réchaud à charbon de bois, et fait le thé, certains se mettent à préparer le repas pour tous, les autres font leurs ablutions avant la prière, çà s'active de tous côtés.

 

Le lendemain, je laisse chauffer le moteur en cassant la croûte car je peux être obligé de lui demander tout ce qu'il a dans le ventre vingt mètres après avoir démarré.

 

Sur la piste, je rattrape un convoi de plusieurs voitures descendant de France, l’une est plantée jusqu’à l’os, je dépasse le point mou et reviens à pied en arrière pour aider.

 

Une petite boulotte félliniesque dans une robe rose avec des volants, s’abritant sous une ombrelle, encourage les mecs qui s’échinent.

 

Une fois la caisse sortie, on discute un peu, puis, je les largue, car je leur sens d’autres ensablements à venir et que  je n’ai pas que ça à faire.

 

Anéfis, un Bedford bourré de nigérians qui remontent vers Reggane est en rade depuis une semaine ; dans le poste de police, un flic, réprobateur, me montre l’un des passeports ; Nom : Rasta ; Prénom : Rasta ; Adresse : Rasta, tout le reste à l’avenant, il me dit qu’il ne peut rien faire car le passeport a l’air authentique. Pour le rasséréner, je lui dis qu’arrivé en Algérie, le possesseur du document humoristique va regretter son manque d’imagination.

 

J'arrive à Gao lors d'une pénurie d’essence raisonnable, je vends les pièces détachées, 450 litres d'essence à 500 francs maliens (5 francs français, 0,77 €) le litre tout en gardant le plein pour aller jusqu'à Tillabéri au Niger qui est le prochain point sûr de ravitaillement, je ne suis pas mécontent de l'opération, d'autant que je n'ai pas profité de la conjoncture, car le litre d'essence aux temps d'abondance, coûte aux alentours de 600 francs maliens, 0,90€ et en cas de manque, au dessus de 1000 francs maliens = 1,5€ ; par moments, même à 2000 francs maliens = 3€, il est impossible d'en trouver, de plus elle est souvent allongée de kérosène, je suis soulagé du problème pécuniaire, ce n'est pas souvent le cas !

 

Chez Yarga, parmi d’autres touristes, il y a une petite anglaise super craquante accompagnée de son copain français, quand elle le cherche, elle demande avec un accent à couper au couteau « t’as pas vu mon frog ? ».

 

Discutant de paludisme avec un Français habitué aux descentes, je lui dis que je ne prends plus de Nivaquine car cela me laisse la tête lourde et des vertiges en permanence comme un début de crise, il me dit avoir résolu le problème : quand il sent venir la crise, deux Quinimax, une bière de 75 centilitres (ou deux) et l’affaire est réglée, je me promets d'appliquer cette thérapie dès que possible...

 

Niamey, Parakou, je m’arrête pour manger au restaurant de Bohicon, le patron me dit qu’un ami à lui cherche une auto, mais qu’il « a voyazé », si je peux attendre trois jours…

 

Arrivé à Cotonou je trouve le parking du Bénin Palace bondé de Peugeot, ça va être dur de larguer rapidement la caisse !

 

En cas d’abondance, il faut savoir jongler, car si l'on attend trop, l’écart entre une mauvaise vente rapide et d’une bonne vente qui tarde est largement absorbé par le coût de la chambre d'hôtel, sans compter que les intermédiaires mangent à tous les râteliers et surveillent si l'on prend encore des bières, si l'on va au petit restaurant malien situé en face du Bénin Palace dix fois moins cher que celui-ci, ils peuvent ainsi renseigner les clients qui veulent vous prendre à la gorge que tel ou tel n'a plus une tune, et qu'il est mûr pour vendre à prix minimum.

 

Les Français que j’ai rencontrés sur la piste passent au Bénin palace, on s’en jette plein pour arroser les retrouvailles ; voulant rester quelques temps, ils décident de louer une maison plutôt que d’aller à l’hôtel.

 

Trois-quatre jours plus tard, je n’ai toujours pas dérouillé, je décide de retourner à Bohicon voir si le copain du restaurateur est revenu de «voyazer».

 

L’un des types croisés dans le Tanezrouft, (petit brun sec, moustache à la Zapata) et retrouvés au Bénin-palace demande à m’accompagner.

 

Tout le long du voyage, il fume l’herbe locale, je suis obligé de laisser les fenêtres fermées car c’est la saison des pluies, dès Ajohoun, nous sommes déchirés, on se marre comme des bossus ; les crapauds sortent sur la route, j’essaie de les éviter, mais, à force de faire des zigzags sur la route mouillée, je manque me planter, je renonce à faire des écarts importants, puis, l’herbe commençant à nous taper furieusement sur la calbombe, on se met à les écraser volontairement, souvent, ils collent à la roue et viennent cogner dans les ailes avant, c’est le délire !!

 

Bohicon, le restaurateur ne me rebranche pas, je lui demande si son client est revenu, réponse négative, merde !!

 

Nous n’avons aucune envie de moisir dans le secteur, si nous allons à Abomey voir Johnny, il faudra y passer la nuit, ça ne nous tente guère, aussi, après une tripotée de "bonnes béninoise" selon l'expression consacrée au Bénin, nous repartons.

 

Nous faisons un bout de route de jour, les crapauds sont partis, il pleut toujours, la nuit descend, sortent alors les crabes de cocotiers, cette fois-ci, ce sont eux qui dégustent !!

 

Je ramène le copain à la maison qu’ils ont louée près de la place de l’Étoile Rouge, on se donne rencart pour prendre le petit déjeuner.

 

Le lendemain matin, patacaisse, quelqu’un les a dénoncés comme espions ou mercenaires, descente de police ; des types en civil aux mines patibulaires, lunettes miroir, fouillent partout, je demande aux copains ce que  je peux faire pour les aider, « rien », je ripe presto...

 

Avec deux habitués du Bénin-palace, nous allons sur une plage jouxtant la capitale, un adolescent tente de me racketter contre l’assurance que personne ne touchera la voiture, je lui réponds que si elle est intacte à mon retour, je lui donnerai 200 francs CFA, puis nous allons nous baigner ; il y a cinq ou six épaves de gros cargos rouillés pas loin au large.

Je décide d'aller tenter de vendre mon os à Porto-Novo, auparavant, je fais un rinçage du radiateur à la lessive africaine car de l’huile vient toujours se mélanger à l’eau, apparemment, le joint de culasse n’était pas déficient, ce doit être la culasse qui est légèrement fendue.

 

Porto-Novo, je m’arrête dans un petit restaurant pour prendre un café, comme prévu, le patron me branche, je lui dis que si je trouve un acheteur correct je suis vendeur, il envoie un gamin prévenir un type qui se pointe quelques temps plus tard, je lui fais faire un tour, chemin faisant, le pékin se présente comme chef douanier, à tous les coups, il va essayer de trouver un moyen de me faire une embrouille pour avoir la voiture moins cher que le prix (gonflé) annoncé, çà ne loupe pas, le tour terminé, il me demande si le numéro du moteur correspond à celui du châssis, je lui réponds que le moteur a très bien pu être changé, nous regardons et je vois avec soulagement qu’il est d’origine et que les numéros moteur-châssis sont les mêmes. Je suis bien content de refourguer à cette emplâtré une voiture avec la culasse flinguée, si le moteur n’avait pas eu les mêmes numéros que ceux de la plaque du châssis, il m’aurait emmerdé en faisant usage de sa fonction pour que je lui fasse pratiquement cadeau de mon carrosse, trois quarts d’heure après, je retourne à Cotonou en taxi-brousse, lesté de 550.000 C.F.A (1692 €).

 

Je passe deux jours à attendre le visa pour embarquer du Nigeria ; au Bénin-palace, des françouses se plaignent : ils ont visité les maisons sur pilotis des pêcheurs du lac de Ganvié et les femmes leur ont balancé des poissons pourris ; en aparté, je me dis que c’est tout ce qu’ils ne méritent, car aller regarder sous le nez des gens pendant qu’ils bossent ou vivent est d’une incorrection hors du commun !!!

 

Aéroport de Lagos, douane-police, au dernier barrage avant d'entrer dans l’avion, fouille, j'ai planqué mon oseille dans mes Clark en daim souple, un douanier me fouille, descend, arrive aux chaussures, les presse légèrement, les billets craquent, le type, comme lors de ma première descente, me regarde avec des yeux bizarrement flous, comme à travers moi, refait craquer les billets, tout en continuant de me reluquer de cette curieuse façon, je ne bronche pas, il se relève et me dit doucement d'y aller avec un petit signe de la main...

 

 

_Septième chapitre_

 

 

Lalinde, le pharmacien se fait tirer l’oreille pour me vendre du Quinimax je suis obligé d’expliquer que j’en besoin lors de mes voyages africains, mon passeport avec ses multiples tampons fait le reste.

 

J’achète une 504 berline bleue, le vendeur, pensant que le pont arrière, qui fait du bruit, est mort, la vend 6000 F.F (923 €), je tente le coup, au pire, si cette pièce est vraiment défectueuse, on la trouve facilement d’occase.

 

Finalement, seuls les silentblocs sont cassés, après les avoir changés, tout rentre dans l’ordre, on ne peut pas dire que la réparation m’ait donné beaucoup de mal!

 

Je déplace le siège arrière pour y loger un fut de 200 litres, le gros bouchon de transvasement d’essence récupéré lors du voyage précédent est prêt à reprendre du service.

 

Sur la route, c’est un régal, 11cv, de super reprises, sans consommer plus qu’une 404 ; ayant des ratés en cours de route, je dois gratter les vis platinées avec un petit caillou plat, elles ne m’embêteront plus ; j’arrive à Alméria sans m’en rendre compte.

 

L’embarquement se fait le soir, il y a toujours les arabes guettant les retardataires pour vendre les pesetas beaucoup plus chères que le cours normal, car les banques sont fermées.

 

Douane algérienne, un couple de jeunes italiens est déjà à la fouille des bagages, le douanier en dévissant le cul d’une bouteille thermos trouve des francs français planqués, quand je repars des bureaux, ils y sont encore ; je ne pense pas que cette histoire ira bien loin, mais les fonctionnaires vont les emmerder un bon moment.

 

Je distribue des revues glanées sur les poubelles de France, je fais plaisir avec tout au long de la route, j’en garde quelques-unes pour la douane béninoise.

 

Arrêt habituel à Aïn-Sefra.

 

Adrar, un algérien me demande de le prendre en stop pour traverser le Tanezrouft, il est habillé en tenue de ville, petites chaussures de cuir, petit sac contenant quelques affaires, je lui réponds que le stop n’existe pas, que je lui prends 250 ff (38 €), il prétend ne pas avoir cet argent, nous transigeons à 300 dinars que je planque pour la prochaine fois dans le caoutchouc du pare-brise.

 

Passage à la douane, les fonctionnaires l’entraînent dans une pièce close pour une fouille poussée (ce qui ne m’est jamais arrivé), il sort peu de temps après, visiblement contrarié.

 

Nous partons, il me raconte que les douaniers ont trouvé 500 francs français dans son portefeuille, je lui reproche de m’avoir bourré le mou à propos des ses disponibilités à me payer en francs français, pas gêné, il continue de râler : les douaniers ont fouillé son portefeuille, ils n’avaient pas le droit, c’est une honte, et gnagnagna, et gnagnagna...

En boule, je lui explique :

_1° Qu’il avait des francs français non déclarés sur lui, donc trafic.

_2° Que les douaniers lui ont laissé ses sous et qu’ils ont été gentils.

_ 3° Qu’il s’en tire bien, car ils auraient pu l'embastiller pour lui faire les pieds.

 

Reggane, les douaniers ne me parlent plus d'attendre un convoi pour traverser le Tanezrouft.

 

Aussitôt le réservoir de la voiture vide, je branche le fût de 200 litres.

 

Comme d’hab, je roule une bonne partie de la nuit, mon passager râle car je freine et fais des écarts pour éviter les petites gerboises, il me dit « pourquoi tu freines, ce n’est rien »; ça commence à faire beaucoup, sur une suggestion de ma part, il finit par la fermer.

 

Dans le sable, la voiture est un vrai tapis volant, la largeur des pneus et la puissance font que je ne m’ensable qu’une fois ; comme je n’ai pas de pelle ni de plaques pour désensabler, je prends les tapis de sol de l’auto pour nous en sortir.

 

Sur les passages de tôle ondulée, les 11 chevaux alimentés par le carburateur Weber double corps me permettent d’atteindre rapidement la vitesse qui me maintient sur le haut des ondes, ainsi la voiture n’est pas trop secouée.

 

Le commodo de phares ne peut se mettre en double alimentation codes-phares, ça me manque.

 

Après Borj-Moktar, j’emmanche par erreur la piste de Timiaouine, je m'en aperçois rapidement à la faible largeur de la piste, à mon avis, il doit y avoir pas mal de types qui prennent cet axe pour faire du trafic, car les traces sont nombreuses alors qu’on ne peut pas dire que Timiaouine soit une station balnéaire !

Faisant demi-tour, je me remets dans la bonne direction.

 

50 bornes après, la piste tourne à 90° vers la droite, je vois un objet au loin, me dirige dessus, ce sont quatre demis cylindres en acier d’à peu près quatre vingt dix centimètres de large sur un mètre vingt de haut, avec des plaques soudées en travers des extérieurs ; cela semble être un système qui une fois deux parties réunies autour des roues motrices des camions, leur donnait un profil de roues à aubes ; pour passer les bancs de sable, ce devait être redoutable, mais mortel pour les boîtes à vitesses et ponts arrière !

 

Anéfis, un convoi est aux formalités, les choses tardent car l’un des chauffeurs, s’étant engueulé avec sa passagère (celle-ci  a payé son voyage 2000 balles (300 €) après avoir répondu à une petite annonce d’un canard français réputé pour ce genre de contacts), l’a larguée en plein désert ; heureusement un autre de l’expédition, à la suite, l’a aperçue et récupérée.

Le chef de poste, un colosse en uniforme impeccable est en train de sermonner le coupable en un Français suranné d’une grande pureté ; avec un calme impressionnant, il développe la faute inexcusable commise ; explique que si le suiveur n’avait pas été dans les traces de la voiture précédente, il aurait pu manquer l'abandonnée, avec les conséquences presque à coup sûr mortelles que cela implique dans ces régions désertiques.

 

Contournant le groupe, je vais faire tamponner mon passeport par un adjoint et trisse.

 

Une centaine de bornes avant Gao, je rétrograde dans une plaque de fech-fech, ce sable pourri entre dans l’embrayage qui se met à patiner ferme, je me dis que ça va passer, petit à petit, effectivement, à force de tourner à vide, l’embrayage élimine le sable qui s’était vitrifié en frottant sur le disque.

 

Gao, je passe au commissariat, Mamby me dit qu’il a déjà assez de fiches me concernant dans ses placards, je dois juste laisser mon passeport pour le tampon, je largue définitivement le connard qui lui, doit remplir sa feuille d’entrée et file chez Yarga.

 

Ce dernier a déménagé, Boubakar me guide, il n’y a pas un chat, je casse la croûte et, le soir tombant, je loue un bout de terrasse pour dormir, je n’ai pas commencé à fermer le quart de la moitié du dixième d’un tiers d’œil, que des escadrilles de moustiques m’attaquent, j’ai l’impression que ma tronche s’appelle Pearl Harbour !

 

Fatigué, malgré la chaleur, je me mets dans le sac de couchage pour limiter les dégâts, et m’endors.

 

Le soleil, les coqs et les aboiements de clébards me réveillent, je suis piqué de partout, mais curieusement, c’est surtout mon bras droit qui a morflé, celui-ci devient très enflé et dur sous les grattements que j’essaie pourtant de réfréner.

Je comprends pourquoi il n’y avait personne dans ce piège!

 

Comme par hasard, le tenancier n’est pas là, l’enfoiré doit dormir en ville.

 

Je dis à sa femme ce que je pense de l’auberge et file acheter une moustiquaire.

 

Cet article n’existe pas tout fait, mon guide préféré me mène au marché couvert où un couturier officie sur une Singer à pédale dont le modèle, frisant la perfection n’a pratiquement pas changé durant un siècle.

Je lui demande s’il est capable de me faire une moustiquaire, « bien sûr », nous discutons du coût de la réalisation d’un modèle assez large, puis, nous allons acheter sur le marché les éléments nécessaires à l’élaboration de l’objet.

Je reviens deux heures plus tard, ce couturier est le Cardin de la moustiquaire, je lui règle son dû, avec un supplément pour montrer ma satisfaction, je plie mon armure anti-moustiques, vais boire une bibine, puis décarre sur Niamey.

 

Dans la campagne, les ânes sont entravés avec des liens qui relient les deux pattes avant avec un écart d’une trentaine de centimètres pour limiter leurs escapades, une variante consiste à leur passer un large collier fait d’une corde tenant un bois horizontal venant cogner les pattes avant lors des déplacements. Pour se reposer, ils se mettent, debout, l’un en face de l’autre et posent chacun leurs têtes sur le cou de son vis-à-vis, j’ai observé que cette combine asinienne est également pratiquée par les zèbres.            

 

Niamey, attroupement de curieux à l’entrée de la ville, je ralentis pour voir la cause de l’émoi, les flics sont en train d’installer un radar, on aura tout vu...!!!!

 

Moins rigolo, le « grand marché » a entièrement brûlé, il y a eu beaucoup de morts, car les commerçants, pour protéger leurs boutiques de bois armées de tôles de bidons y enferment les gardiens à clé la nuit et les pauvres types n’ont, pour la plupart, pas pu sortir.

 

Je m'installe au « camping », un français vient me voir, il a des ennuis avec le moteur de sa 404, il a tout essayé pour la régler, sans résultat, je jette un œil sans rien voir d’extraordinaire, après avoir réfléchi, je lui demande s’il a acheté de l’essence de contrebande provenant du Nigeria comme on en voit sur le bord des routes, sur sa réponse positive, je lui dis de vidanger son réservoir, car les marchands successifs, pour augmenter le bénef ajoutent chacun du kérosène moins cher que l’essence. Peu de temps après, il revient le sourire jusqu’aux oreilles.

 

Le lendemain, le pauvre type se retrouve sans son portefeuille contenant tous ses papiers et argent ; tu parles, il n’y a qu’à voir la tronche du gardien, quand il vient se faire payer, il a les yeux montés sur cardan pour pister où est remisé le pognon et quand les gens dorment sous la tente, la nuit, lui ou des comparses, sachant exactement où se trouve le magot, coupent silencieusement le tissu de l’abri pour s’en emparer.

 

Comme d’habitude, inutile de compter sur l’ambassade ou le consulat, quand vous êtes dans la mouise, vous n’avez aucune aide à en attendre, que ce soit pour des papiers provisoires, argent, coup de fil en France ou autre service, Wouallllou !!!!!

 

Le bruit court qu’un français ayant voulu récemment dormir en brousse aux alentours de Niamey s’est pris plusieurs coups de machettes et a été complètement dépouillé ; allez donc savoir si ce sont des ragots ou pas ! Il faut dire que des nigérians passent souvent la frontière pour couper quelques têtes et organes génitaux masculins à fin de faire des sacrifices ou grigris, (en principe, les Européens ne sont pas concernés par ces prélèvements, la magie africaine ne fonctionnant pas avec cette engeance incrédule) et se font des suppléments en braquant les voitures isolées...

 

Vente rapide de la voiture à Porto-Novo 650.000 CFA nets (2000 €), retour à Cotonou où je vais prendre un visa pour le Nigeria.

 

A l’aéroport, je demande un Lagos-Bergerac, évidemment ça n'existe pas, mais j’arrive à sortir un Lagos-Paris/Paris-Bordeaux ce qui me permet d'aller voir mes parents en banlieue parisienne, et, avec l’équivalent des 100 ff = 15€ que j'ai mis de mieux dans le billet, faire plus tard Paris-Bordeaux dans un petit avion, ce qui me semble très abordable.

 

 

_Huitième chapitre_

 

 

Je vais faire les vendanges près de Bergerac, les viticulteurs chez qui je travaille sont adorables, ce doit être de génération en génération, car les ancêtres ont pensé aux transpireurs en plantant régulièrement un pied de muscat, afin qu’ils y fassent une petite halte et s’en désaltèrent.

 

La récolte finie, les patrons enjolivent la paie de 6 bouteilles de vin blanc et 6 de rouge d’années précédentes ces dernières ne font pas long feu, me restent cinq bouteilles de blancs, je décide de les emporter à ma prochaine traversée, car, en ayant goûté une, elle se révèle un excellent anti-roupillon.

 

Recherche d’un appareil à transporter l’homme, je trouve une 404 break bronze métallisé exactement comme celle achetée aux Hollandais, à part qu’elle a été cartonnée, tout l’avant est très enfoncé, les deux longerons avant sont tordus, 55.000 kilomètres d’origine ; hormis le carton, elle est comme neuve.

 

J’en parle au copain garagiste et carrossier chez qui je bricolais mes charrettes, après avoir vu les dommages, il me dit qu’il y a beaucoup de boulot, mais que c’est du classique : Il faut démonter toute la mécanique, couper tout l’avant au marteau et au burin, longerons compris, faire la même chose sur une autre non accidentée, présenter la nouvelle pièce et souder l’ensemble sur un marbre (forme qui permettra à la voiture de ne pas sortir en vrille), remonter, repeindre. J’achète la bête 600 francs.

 

Découper des voitures à la hache, destination la ferraille, afin qu’elles prennent moins de place, j’avais déjà pratiqué, c’est beaucoup plus facile qu’il n’y paraît.

 

Un copain artiste peintre, costaud, m’aide à couper l’avant d’une 404 repérée à la décharge, cela nous prend, nous relayant, trois heures un après-midi. Puis je découpe proprement au burin tout l’avant de mon acquisition juste sous le pare-brise, longerons compris.

 

Après avoir ajusté les deux parties sur le marbre, le copain carrossier soude le tout au chalumeau, puis, je remonte la mécanique. Son frère, grand spécialiste en peinture automobile transforme ma citrouille en carrosse (d’où le nom de carrossier, je suppose).

 

Frontière algérienne, un gros 4 x 4 militaire kaki me précède, récemment repeint, avec des pèpelles attachées précieusement sur les flancs par des petites courroies toutes neuves, des plaques de désensablement en aluminium rutilantes, des jerricans, et tout, et tout, et tout… tout bien propre, on voit le type qui s'est toujours rêvé le voyage et a préparé pendant longtemps son matos ; c’est un couple d’allemands accompagné de leurs mômes, le mec est très énervé, apparemment, il craque déjà, j’augure mal de la suite de leur expédition…

 

Tlemcen ; je m’apprête à entrer dans un restaurant quand un type en sort, du sang partout, soutenu par ses copains, une serviette éponge pour contenir l’hémorragie, il vient de prendre un coup de rasoir dans la tronche ; je vais manger un peu plus loin.....

 

Maintenant, pour les pièces, je ne me casse plus la tête, je les vends dans les garages où j’ai déjà sévi. La plupart des garagistes connaissent la contrainte du carnet de devises et savent qu’il faut que je ressorte les mêmes pièces (fichues ou pas) que celles inscrites, je demande donc de faire un échange standard avec leurs matériels défectueux, ça passe très bien.

 

Aïn-Sefra, repas chez l’ami, nous sifflons une bouteille de blanc.

 

Adrar, je vais au dispensaire me faire vacciner gratos contre le choléra ; pour remercier les infirmiers de leur obligeance, je fais comme le maréchal, j’offre mon dernier demi-litre de Ricard, tout heureux, ils me donnent deux boîtes de 500 comprimés, l’une d’aspirine, l’autre de quinine, je les prends pour ne pas les vexer sans savoir ce que je vais en faire!!

 

Puis je passe chez Ramdann, il a une curieuse façon de faire le café : Il met la dose dans une grande cafetière type cow-boy, de l’eau, fait bouillir, quand le café monte, il le stoppe avec un verre d’eau froide, c’est prêt.

 

Lors de la descente précédente, j’ai discuté au Bénin Palace avec des français qui ont eu des emmerdes à propos du change officiel de dinars, les douaniers ont calculé le montant de l’essence du voyage jusqu’à Adrar, plus celle contenue dans les bidons, le trafic est patent, amende en francs français….. ça sent l’affreux Jojo qui m’avait coincé !!! Il est virulent l’animal, me souvenant qu’il y a un poste d’essence à Reggane, je tente le coup de planquer des dinars roulés dans le caoutchouc du pare-brise et d’y charger mon essence, c’est un peu kamikaze, car souvent, cette station n’est pas approvisionnée et il faut revenir de nuit à Adrar en faisant un très grand détour dans le sable pour éviter de se faire chopper par les douaniers qui ont une vue imprenable sur la platitude du sud puis en repartir de même.

 

Je passe la douane en souplesse malgré l’habituel fâcheux.

Reggane, heureusement, la dernière station avant Gao est ravitaillée, je razlagueule mon fût de 200 litres et me pointe au poste de Reggane qui a pour seule fonction de contrôler les passavants et former des convois (pour les autres).

 

Passant de nuit devant Bidon5, je vois des lumières, ce sont des Allemands qui arrosent Noël ; traversant des pays musulmans, je n’avais pas fait attention à la date.

Partageant ce que l’on a à manger et à boire, (nous finissons à l’occasion les bouteilles de blanc), on fait la bamboula, enroulés dans nos sacs de couchage à cause du froid.

 

Aguelhok, je vais voir un religieux musulman que j’avais connu lors d’une précédente descente et lui refile la moitié des médicaments reçus des infirmiers algériens après lui avoir expliqué leur utilisation, je distribuerai le reste à Gao.

 

Gao, comme d’hab, je passe dire bonjour à Mamby afin qu’il m’inscrive dans le livre des entrées, maintenant, les formalités sont, pour moi, réduites à l’inscription dans ce registre, un agent me met le coup de tampon d’arrivée en ville sur le passeport et c’est plié.

 

Chez Yarga, pas mal de monde, et chose pas très courante, il y a des voyageurs blacks, ce sont des guinéens, ils me branchent, me disant que les gens de l’ambassade de Guinée à Bamako cherchent une voiture comme la mienne ; généralement, ce genre d’information pue, car, comme par hasard ils y vont, et que je pourrais au passage, les y amener gratos.

 

Quelques jours passent, je me décide à tenter le coup.

 

Un guide de chasse doit se rendre sur Mopti, nous partirons ensemble, deux Lyonnais en 504 nous suivent. Le lendemain matin, avec les véhicules indigènes, il y a une demi-douzaine de voitures qui attendent le bac pour traverser le Niger (fleuve), nous nous inquiétons, car l’embarcation est limitée en places de véhicules et si l’un de nous reste sur le carreau, les autres devront attendre au moins trois heures sur l’autre rive, sous la cagnasse, l'hypothétique prochain passage du bac, (c’est pas drôle), ou partir sans lui, (c’est pas gentil !).

 

Le bac arrive, les voitures venant d’en face en descendent, elles sont à peine sorties, qu’un flic dans sa 404 plateau perso passe en trombe par la gauche et monte le premier sur la barge. Nous avons les boules, mais finalement, tout le monde arrive à se caser.

 

Sitôt avoir gagné la berge opposée, l’odieux part comme une fusée.

 

Prenant notre temps, nous roulons peinards, de grosses sauterelles suivent les voitures en volant à leur hauteur sur une centaine de mètres, cent trente kilomètres plus loin, l’agent et sa jeune femme ont la tête sous le capot, à notre approche, ils nous font signe d’arrêter.

 

Ce connard n’a pas regardé le niveau d’eau avant de partir ou crevé le radiateur, ça fume de tous les côtés. Le guide de brousse (apparemment un branleur fini) ouvre prudemment le bouchon du radiateur, et, me faisant un clin d’œil, y verse de l’eau, la culasse émet des craquements épouvantables, sérieux comme un pape, il dit au flic «essaie de démarrer», celui-ci s’exécute, il n’y a plus de compression et de l’eau sort par le pot d’échappement, je trouve le coup salaud car il lui a sciemment niqué la culasse, mais l’autre abruti l’a bien mérité.

 

Moins vache, je lui conseille de garder sa voiture, car sinon, 2 heures après son départ, il n’en restera rien.

Pendant ce temps-là, le guide discute avec la nana, celle-ci, devant se rendre à Bamako, monte avec lui, nous repartons.

 

Nous longeons les hautes falaises de Bandiagara, pays des Dogons.

 

La nuit, nous cassons la croûte, puis dodo, le chevalier servant de la femme du flic la fait gueuler toute la nuit, nous rigolons comme des bossus.

 

Le lendemain, il y a de nombreux ensablements, l’un des Lyonnais nous fait une grosse dépression, (j’ai, à ce propos, remarqué que beaucoup de gens, en s’enfonçant au sud en terrain inconnu, angoissent et se laissent aller à une déprime incompatible avec l’allant nécessaire à la traversée d’espaces désertiques) je le retrouve vautré dans un banc de sable qu’il aurait dû passer tranquillement avec sa 504, quand j’ouvre sa portière, il est à moitié en train de chialer en disant qu’il n’a plus la force d’appuyer sur l’embrayage, en attendant, tout le monde doit s’y mettre pour sortir le foireux. Une fois que nous avons sorti son trognon, je le choppe et lui dis que la prochaine fois, il se démerdera tout seul.

 

Arrivée de nuit à Mopti, au barrage, un militaire voulant fouiller les voitures demande si j’ai une lampe électrique, ouvrant le haillon arrière, je lui réponds que non, il me dit « ce n’est pas grave, je vais vous torcher », cette bonne chose faite, nous allons dîner dans un restaurant un peu classe car c’est le seul endroit ayant de la bière fraîche.

 

Il y a déjà 5 ou 6 Belges et un couple de Français : Dominique et Lien, tous deux ont bien vendu leurs voitures et continuent vers la capitale.

 

Après quelques verres, tout le monde est de bonne humeur, les Belges vont aussi à Bamako pour vendre leurs oignons.

 

Le lendemain matin, nous partons tous ensemble, pendant le voyage, les blacks que je trimbalais à l’œil depuis Gao cassent le coup de l’ambassade de Guinée aux belges, je suis fumasse !!!

 

Bamako, je largue mes passagers, les Belges vont dans un hôtel-restaurant climatisé pour Européens, les Lyonnais et moi optons pour un bouiboui local appelé « Au paysan », nous y trouvons trois Français.

 

Je laisse passer quelques jours en cherchant mollement des clients, ceux-ci trouvent mon véhicule magnifique, mais n’ont aucune intention de payer les 20.000 ff que je demande en prix d’attaque.

 

La nuit, les mômes font leurs devoirs scolaires dans la rue, à la lumière des réverbères.

 

J’apprends que les belges sont allés à l’ambassade de Guinée afin de fourguer l’une de leurs 504, pour me griller, ils ont dit que j’avais déjà vendu mon os ; je me marre, car cette voiture, ainsi que d'autres, achetées par des Libanais, ont, en très grande partie, été payées par chèques.

 

Je décide d’aller tout de même à l’ambassade voir de quoi il retourne. Les fonctionnaires, en voyant ma voiture font les pieds au mur, l’information était bonne, c’est ce modèle qu’ils cherchaient, malgré l’acquisition de la 504 belge 900.000 f. maliens, ils sont d’accord pour prendre la mienne à 1.600.000 f. maliens (2450 €). Ils n’ont, soi-disant, plus de liquidité, ne leur restent que des chèques, je réponds que je suis désolé, je ne prends que du sonnant et trébuchant, ils me disent d’attendre et envoient un mec chercher du liquide, une heure plus tard, ils me paient.

 

Retour triomphal « au paysan », tournée générale, le patron, très sympa, nous fait toujours de la bonne bouffe, souvent de la viande de brousse, phacochère, agouti, bisse*.

 

Allant faire un tour au marché de Bamako, je vois un fusil de brousse neuf, crosse en bois faite à la main, le canon a été réalisé dans une barre de direction de 2 CV, le vendeur est le forgeron concepteur de l’objet ; l'homme fait une tête de plus que moi, une carcasse de colosse, super gentil, il demande 30.000 francs maliens (46 €) de l’outil à se procurer de la chair chair fraîche, comme je n’ai pas le cœur à marchander, il m’accorde une boîte de Nescafé remplie de poudre noire façon-façon ainsi qu’une boîte d’allumettes contenant quelques amorces.

Je lui demande quelle quantité de poudre il faut pour une charge ; sortant la baguette située sous le canon, il me montre qu’une fois celle-ci dans le tube, elle arrive exactement à ras de la bouche, puis il lève la baguette de la hauteur de trois de ses doigts (4 des miens) et me dit que c’est la dose idéale, je le paie avec les grands billets maliens ; j’achète plus loin une grosse kora*.

 

Quand j’ai vendu une voiture, je ne m’attarde jamais longtemps dans le secteur.

 

J’en parle aux autres ; l’un n’a pas vendu sa 404 plateau, mais n’est pas trop décidé à la céder car, l’ayant achetée neuve en France afin de carder les matelas dans les villages de l’Ariège, il n’en aurait jamais tiré la moitié de sa mise de fond, les autres, ayant déjà fait affaire, les décider à remonter ensemble ne fut pas un tour de force.  

 

Ils sont trois, plus Lien et Dominique, un Ivoirien recruté par ce dernier pour préparer des voitures en France et moi, sept, pour une 404 plateau, bagatelle !!!

En fin d’après midi, nous réglons et remercions notre hôte de l’excellent séjour que nous avons passé chez lui. Devant nous appuyer 3000 kilomètres de piste, puis de désert, Dominique suggère que nous dormions une nuit dans un hôtel grand standing, chambres climatisées, dans lequel ils ont passé quelques jours en arrivant à Bamako; quand il nous annonce le prix exorbitant de la chambre, les autres et moi ne sommes pas partants.

 

Dominique a alors une idée démoniaque que nous mettons en pratique : lui et sa femme, louent une chambre, une fois qu’ils ont la clé, Lien redescend nous donner le numéro de la piaule et de l’étage, deux par deux, à intervalles réguliers, tout le monde se retrouve dans la chambre, il y a une grande baignoire et une douche dont nous abusons à tour de rôle.

 

Quelque temps plus tard, descendant par petits groupes, tout propres, tout roses, nous nous retrouvons au restaurant et mangeons comme des gorets.

 

Remontés, nous faisons notre blanchissage dans la baignoire. Les lessives africaines, sont d’une efficacité redoutable, pas besoin de frotter, il faut laisser tremper le linge dix minutes maximum, rincer abondamment, les couleurs ont déjà bien morflé au passage.

 

Le sol recouvert d’une chouette moquette, nous dormons par terre dans nos sacs de couchage, laissant le lit au couple.

 

Le lendemain matin, petit déjeuner dantesque, jus d’oranges, café, croissants, chocolat à volonté, prix forfaitaire, nous nous en mettons jusque là !

 

Puis nous remontons, reprenons une dernière douche vite fait, divisons le prix de la nuitée, versons chacun notre écot, descendons avec nos bagages, quelques instants après, Dominique et Lien règlent la nuitée.

 

L’arrière de la voiture est fait d’une caisse tôlée fabriquée par l’artisan pour protéger son matériel, nous y pratiquons une meurtrière de chaque côté, puis fouette cocher....!!!!!

 

Après San, sur le bas-côté de la route, nous voyons de gros volatiles pas farouches (sûrement des outardes), je me dis que c’est le moment d’essayer le fusil !

 

Voulant tester la solidité de l’outil avant de l’utiliser, nous nous écartons de 200 mètres en brousse ; je sors l’arquebuse, la charge, tasse la poudre avec du papier, quelques cailloux arrondis font la charge, je coince et attache l'arquebuse dans la fourche d’un arbre, puis, après avoir noué une ficelle à la gâchette de façon à m’éloigner lors de la mise à feu, je tire d'un coup sec, raffut d’enfer, nuage de fumée d’un autre monde, l’artillerie, bien qu’amarrée est tombée, mais le canon n’a pas explosé !

 

Je recharge, demande aux copains de me faire des plombs avec ce qui leur tombe sous la main ; à l’aide d’une paire de tenailles, ils me coupent en petits morceaux des bouts de cuivre et de plomb qui traînaient dans la voiture, je bourre le tout avec des mouchoirs en papier, nous reprenons la route.

Je pointe par la meurtrière de la voiture, voyant un groupe d’oiseaux, le conducteur ralentit, je tire, un recul monstrueux me ravage l’épôle nord ; nous allons au résultat, persuadés d’en trouver trois ou quatre sur le carreau, peau de balle et balais de crin, pas un seul au tapis, nous refaisons un essai plus loin, sans plus de chance.

 

Mopti, nous buvons une bière au bar Bozo sur les bords du Niger, j’achète deux petits pistolets entièrement faits à l'huile de coude, l'un à crosse de bronze, l'autre à crosse de bois, l’ignition de la poudre se fait comme au 17 et 18 ème siècles avec un morceau de silex pris dans une petite pince qui, en se rabattant produit une étincelle ; des gosses viennent bavarder et faire une manche discrète, ils nous montrent des poissons qui, en se gonflant, triplent ou quadruple de volume comme les poissons-lune.

 

Cent bornes après Mopti, nous attaquons la piste, les copains m’ont préparé un paquet de munitions, je charge le tromblon des plus gros projectiles à notre disposition.

 

Plus tard, nous apercevons une mère phacochère et son petit ; obliquant, nous partons à leur poursuite à travers la brousse, malheureusement, nous les perdons de vue ; deux montent sur le toit pour les repérer, ce qui ne tarde pas, la poursuite reprend, malgré les arbustes rabougris, nous les rattrapons rapidement, guidés par nos vigies qui râlent car elles prennent des branches d’épineux dans la tronche (dans le feu de la bataille, cela ne nous émeut pas plus que çà) ; arrivé à la hauteur du petit, je lui envoie une décharge pratiquement à bout portant, ce qui n’a pas l’air de le déranger outre mesure, au bout d’un moment, ils se séparent, nous nous acharnons sur le marcassin, qui, épuisé, finit par s’arrêter au pied d’un arbuste, les autres, restant dans la voiture, me disent d’aller l’achever, je descends, pas trop fiérot, car si la mère revient, elle me fait la peau, je donne un coup de crosse sans conviction au bestiau, s’il ne tenait qu’à moi, on se barrerait, l’excitation de la chasse passée, j’ai plus envie de lui foutre la paix, qu’autre chose !

 

Les trois copains, habitués à la vie à la campagne, n’ayant pas ma sensiblerie de citadin décadent sautent de la voiture, empoignent le petit et lui font la peau au Laguiole en deux temps trois mouvements, puis ils le pendent par les pattes arrières, le dépouillent et le vident vite fait pendant que nous guettons le retour éventuel de la mère. Quand nous repartons, je suis un peu barbouillé...

 

Le soir, nous nous arrêtons, allons chercher du bois, faisons un feu et cuisons le foie du phaco avec des nouilles, puis allons nous coucher ; Marcel, l’ivoirien reste à entretenir le feu, je lui demande pourquoi il ne va pas dormir, il me répond qu’où il y a des phacochères, il y a des lions, j’ai beau lui dire avoir lu que les lions ont plus peur des hommes que l’inverse, il tient à veiller et entretenir le feu toute la nuit. Finalement, il a sûrement raison, car à l’aller, nous avons discuté avec des gardes-chasse poursuivant une lionne qui avait dévoré une femme partie faire sa lessive au bord du fleuve.

 

A Gao, Dominique et Lien retrouvent un type sympa, genre baba cool, il est fauché, il vit avec une Malienne qui fut danseuse quelques années au Crazy Horse Saloon et subsiste de la maigre retraite versée régulièrement de France pour ses quelques prestations parisiennes.

 

Dominique et Lien demandent si on peut le ramener en France gratos, bien sûr, pas de problo.

 

Chez Yarga, toilette au seau (rapide, car il fait froid), nous négocions le restant du petit phaco avec la femme de notre hôte contre deux repas chacun, nous faisons connaissance avec un Français nommé Gerry qui vient de débarquer à Gao, il a l’intention d’y monter un camping.

 

Le lendemain matin, départ, nous passons prendre le baba chez la nana, il y a de l’émotion dans l’air !

 

Durant le voyage, la peau de la calebasse de ma kora se fendille de partout sous la sécheresse.

 

Passage des frontières, il fait de plus en plus froid, j’ai égaré ou échangé mes affaires chaudes durant la descente car je pensais remonter par Lagos ; à Beni-Ounif, j’achète une djellaba râpée d’occasion en poils de chameau tissée à la main, bien que peu épaisse, elle est très chaude et la pluie glisse dessus (ou plutôt sur le gras qui l'imprègne).

 

Mécheria, les copains, ayant changé du pognon au black, vont dormir à l’hôtel, je préfère rester, garder la voiture et mon pognon.

Au petit jour, je sens le pick-up osciller sur le côté, j’aperçois deux mains accrochées à l’ouverture latérale droite, il y a une pompe à main pour gonfler les pneus, fixée sur la cloison avant par des sangles, c’est elle qui est visée, une main commence à défaire la première des deux courroies ; pour ne pas faire tanguer la voiture, je me dirige doucement avec le sac de couchage dans les guibolles vers les mains convoitrices, la première sangle défaite, il faut bien que le type passe le bras plus avant pour défaire l’autre, quand le brandillon est bien engagé, je l’attrape et le plie vers le bas pour le bloquer, le voleur se débat comme un beau diable, tout cela en silence, je me rends immédiatement compte d’après la taille de l’abatis, qu’il appartient à un moufflet et que s’il continue à se débattre comme ça, il va finir par se faire mal, je lâche et passe la tête par l’ouverture ; c’est un môme fortement choqué, il est à terre sur le côté, les jambes pédalant dans le vide, il a dû croire avoir affaire au diable, je l’insulte copieusement en arabe, ce qui est le meilleur moyen de lui montrer que je ne suis pas un djnoun ou un chettab (esprit) ou (diable). Les copains, qui arrivent de l’hôtel au même moment, voyant le tableau, sont écroulés de rire.

 

La remontée ne pose pas de problème particulier, à part que le copain baba cachait (à notre insu) de l’huile de shit dans le rebord de son bonnet, à la douane espagnole, les gabelous lui demandant de les suivre dans une pièce à l’écart ; il réussit à balancer sa cargaison discrètement dans une poubelle. Ressortant quelques instants plus tard, il a les boules, car il comptait se refaire avec le shit qu’il a balancé alors que les douaniers ont simplement examiné son passeport sans le fouiller, vu le nombre de fonctionnaires croisant dans le coin, il ne peut se permettre de récupérer son huile, nous nous arrachons vite fait avant que quelqu’un ne tombe dessus.

 

En Ariège, près de Foix, le village squatté par les copains est perdu dans la montagne, ils y ont des chèvres et les femmes en commun, l'herbe à disposition sur la table dans une grande boîte à sucre, ça paie !!!

 

Nous remémorant le voyage, nous calculons qu’il y une semaine, nous étions à Bamako, nous étant relayés au volant, la moyenne est plutôt bonne, le voyage nous est revenu à 500 ff chacun (gratos pour le baba qui nous aurait plantés sans état d'âme s'il s'était fait poisser avec son huile).

 

Le lendemain, je leur demande de me redescendre en ville pour prendre le train, nous nous adieusons, Michel me fait la bise, gentil mec !

 

 

_Neuvième chapitre_

 

 

Quelques mois plus tard, de nouveau ruiné, j’en viens à taper dans un lot de sardines remontées d’Algérie, ce genre d’aliment sature très vite, pour changer, j’essaie de les passer à la poêle, génial, une fois réchauffées, on croirait des fraîches !!! Mais il faut que je réattelle d'urgence…

 

Je trouve l’appareil à manger du kilomètre, une 404 berline d’un modèle rare, 7 Cv, alors que les autres font 9 Cv, caisse, boîte à vitesses modernes, mais avec un seul compteur ; le pont arrière grogne salement, j’en vérifie le niveau d’huile, il y a ce qu’il faut, il tiendra bien jusqu’à Cotonou. Je l’achète car elle est en très bon état, bien que n’avoir que 7 Cv sous le capot me chiffonne, j’ai peur que ce soit un peu léger pour passer les bancs de sable.

 

Je n’ai plus un outil disponible, pas même une paire de pinces, mais je connais bien la piste maintenant, et décide de jouer le coup ainsi.

 

Je prends une roue de secours en plus, un fût de deux cent litres et son kit nourrice, quelques jerrycans de plastique aimablement consentis par les pharmaciens, le réservoir moitié plein, je ne dispose que de 1.200 ff soit 182 € pour descendre jusqu’au Bénin, ça frise l’incorrection, d’autant plus que la traversée de la Méditerranée me coûtera entre 400 et 500 ff ! Le gros de l’affaire sera de passer en Algérie avec le maximum de bouteilles d’anisette ou de whisky, du moment qu’il reste deux cents francs (30 €) à changer à la frontière pour prendre de l’essence et une assurance, les douaniers à l’entrée du territoire ne cherchent pas plus loin. Une fois en Afrique noire, si on ne fait que traverser les villes, si l’on mange chez les mamas, à part l’achat d’essence, la vie ne coûte pratiquement rien ; ce sont les chambres d’hôtels climatisés pour Européens ramollis qui sont chères, les terrasses exposées à la cagnasse et aux intempéries sont aux environs de 10 à 20 ff  = 1,5 à 3€ la nuit.

 

Attendant le bateau à Mélilla, je rencontre deux types qui descendent en R12, c’est la première fois que je vois faire le business avec une Renault !

 

Le passager, un brun, genre zonard, sort un Opinel et me dit qu’il vient en Afrique pour enlever un œil à sa copine qui s’y est fait la belle avec un type, il me la décrit pour que je la reconnaisse si je la croise.

 

Le proprio de la voiture, un blond, mince, me révèle qu’il a, au Mali, une commande de montres à quartz, que cette camelote y est très recherchée, ah bon! Je suis bien placé pour savoir que les produits nouveaux venant de Chine, Japon ou Taiwan, débarquent en Afrique par le Nigeria et de là, se répandent sur tout le continent bien avant d’arriver en France, j’essaie de lui en toucher deux mots, mais il est déjà descendu une fois, il sait mieux que moi, ah bon !

 

Je lui suggère de charger des bouteilles de whisky dans les portières, il refuse, car les montres y sont cachées.

 

Nous franchissons ensemble les frontières de nuit, je passe le premier sans problème. Quand le tour des collègues arrive, les douaniers algériens deviennent plus durs, il faut dire que le brun a vraiment une sale gueule ! Je les attends et assiste à la fouille de leur voiture, un gabelou ouvre la portière arrière, en écarte la garniture, dirige la lampe électrique à l’intérieur, je vois très nettement le reflet du chrome des montres, le douanier, lui, ne voit rien !!!

 

Nous roulons de concert quelque temps, à Tlemcen, nous nous séparons car je ne tiens pas à traverser le Sahara accompagné de ce genre de voiture ; de plus, je veux vendre mes pièces détachées sans faire connaître mes acheteurs à de tels lascars.

 

Plus je descends, plus le compteur de température d’eau va dans le rouge, ça, c’est pas bon.

 

Aïn-Sefra, bonjour au copain, je lui emprunte quelques outils et démonte le calorstat des fois que cette modeste pièce soit la cause de ce réchauffement de mauvais aloi ; pas d’amélioration.  

 

Je démonte le radiateur, puis, nous allons chez un spécialiste, j’assiste au solo du détartreur ; le type commence par dessouder tout le haut du bloc, sur un râtelier portant des tringles de différents calibres, il choisit le modèle idoine, et se met à ramoner gaillardement mon appareil à évacuer les calories.

 

Une fois l’opération terminée, l'artisan rince abondamment la pièce, la retourne et ressoude la partie supérieure.

 

Le radiateur, reconstitué et refroidi, il adapte au bas de ce dernier un morceau de chambre à air de vélo ou mobylette fermé par un nœud, verse de l’acide jusqu’à la moitié de la partie haute récemment reposée, et, se servant de la chambre à air comme d’une poire, fait circuler le liquide quelque temps. Il récupère l’acide, rinçages, me voilà avec un radiateur comme neuf, l’opération est un peu chère, mais réglée en dinars qui me coûtent peu.

 

Je remonte le tout, fais des essais qui se révèlent concluants.

 

Un peu tôt dans la soirée, nous cassons la croûte, puis je continue ma route, j’aime bien dormir dans la campagne et attendre de tomber de sommeil pour ce faire.

 

Adrar, bonjour à lou Ramdann, puis visite à la douane, maintenant que l’on me connaît, malgré tous mes coups tordus, les fonctionnaires ne m’embêtent plus, il faut dire aussi que je suis rôdé et que pour me prendre en défaut, maintenant, il faut se lever de bonne heure.

 

Reggane, passée la douane, j'attaque la piste. La voiture tire mieux dans le sable mou que je ne le craignais, mon moteur ronronne, j’ai une pensée émue pour toutes les pièces en mouvement, aux bielles, soupapes, pistons, arbre à cames, tout cela lubrifié en permanence par la pompe à huile, l’automobile est une machine merveilleuse !

 

La nuit, je m’égare sur la route de Timiaouine, ça commence à devenir une habitude ! Je m’en aperçois assez rapidement et fais demi-tour ; dès que je croise des traces nombreuses, je prends à gauche et retombe sur le large et habituel enchevêtrement d’empreintes de pneus.

 

Cent bornes avant Gao, un jeune touareg me fait signe, je m’arrête, le gamin me montre sa main bleue et gonflée comme un gant à vaisselle dans lequel on aurait soufflé, il me dit « scorpion », l’un des rares mots français qu'il connaisse, je pointe mon index sur lui, puis vers le sud, dis « Gao », il comprend que je veux l’emmener, mais refuse, j’insiste en vain ; n’ayant rien pour le soulager, je repars en louchant le rétro des fois qu’il change d’avis.

 

Un vent de sable rasant se lève une quarantaine de kilomètres plus loin, je m’arrête un peu, mais crevant de chaud, et ne sachant pas combien de temps cela durera, je finis par repartir, les traces deviennent de moins en moins nombreuses et visibles, je me fixe sur l’une d’elles, récente et profonde, au détour d'une grosse touffe d’herbe sèche, je la perds ; le sable est mou, ne pouvant m’arrêter sans m’ensabler, je tourne large pour retomber sur mes pattes, plus rien, tout a été nivelé par le vent, qui s’arrête quelque temps après.

 

Dès que le sol est un peu consistant, je m’arrête pour réfléchir, la petite montre du tableau de bord indique 11 heures, le soleil est à gauche, je suis donc dans le bon axe.

 

Je continue en me référant à l’ombre du montant de pare-brise, une demi-heure plus tard, force m'est de constater que la montre ne fonctionne plus ; depuis le départ elle n’a eu aucune défaillance, le sable, s’infiltrant partout, a dû la bousiller.

 

Stoppant le concentré de génie humain, je monte sur le toit pour apercevoir quelque signe pouvant me guider, pas de trace de poussière soulevée, le silence est total, je vois une éolienne à l’horizon, me souvenant qu’il y en a une, quelques dizaines de bornes à gauche de la piste avant Gao, je décide de me diriger vers elle.

 

Je roule assez vite car je n’ai rien pour m’aider à désensabler si je me plante. Dépassant le sommet d’une dune, le versant descendant n’est plus stabilisé par les touffes d’herbes sèches, la voiture s’enfonce à mi-roues dans le sable mou et se met en crabe, j’accélère et m’en sors, chauds les marrons !!!!!!!

 

J’arrive à l’éolienne, celle-ci est immense, je n’en avais jamais vu de près, c’est impressionnant !

 

En tout cas, la piste menant à Gao n’est pas au rendez-vous, je grimpe par les échelons prévus à cet effet, arrivé sur la plate-forme du sommet, je regarde dans tous les azimuts, pas de piste, pourtant, je vois très, très loin ! À l’horizon, une autre éolienne, je décide d’aller y jeter un œil. Arrivé à cette dernière, toujours pas de piste, une fois grimpé, je vois une autre éolienne, je m'y dirige…..

Je croise des gazelles ; au bas du monument, il y a un manche de hache dont la boule percée permet d’y glisser un fer selon le système classique en Afrique, je le balance derrière les sièges avant de la voiture, monte, toujours rien, je me dis que là, ce n’est plus un margouillat, c’est un crocodile ! Je décide de revenir sur mes pas.

 

Je reprends mes traces jusqu’à une dune molle que je ne peux remonter, la contourne, ne retrouve pas la marque de mes pneus, j’ai beau tourner, rien, je ne sais plus du tout où je suis, si la piste est devant, derrière, à droite ou à gauche, quelle galère !!!!!

 

Regardant de mon toit les deux éoliennes au loin, je repère la direction de mon ancien itinéraire, conservant tant bien que mal l’angle de route avec l’ombre du montant du pare-brise je roule, roule, et finis par retomber sur des traces de pneus plus larges et plus écartés  que les miens, je les suis sur une trentaine de kilomètres, puis tombe sur un petit camp touareg de quatre tentes, n’oubliant pas les usages, je m’approche et frappe dans mes mains.

Un Tamashek* sort, je lui demande la route de Gao ; bien que ne parlant pas Français, Gao, il connaît, il m’indique les traces qui m’ont mené jusque là, et dit, « Gao » à plusieurs reprises, je le remercie, quelques temps après, je croise le plus merveilleux spectacle qu’on puisse imaginer : la piste, large comme plusieurs boulevards, je l’emboîte à droite, trois quarts d’heure après, je suis devant lou Mamby, cinq minutes plus tard, je m’enfile une 75 cl cul sec puis en redemande une autre pour pousser la première.

 

Ce devoir élémentaire accompli, Boubakar m’informe que Gerry a monté son camping, et m’y conduit.

Pendant que celui-ci prépare la tambouille, je lui fabrique un système à assassiner les moustiques : je tresse comme un ancien panier à salade rond en fil de fer, dont un rang sur deux est branché sur un pôle 220 volts, le second, sur l’autre, le tout tenu sur une armature en petit bois souple par de la ficelle pour éviter un court-circuit. Je pousse le vice jusqu’à alimenter ce piège par une ampoule électrique en série, ce qui fait qu’en cas de court-jus, l’ampoule s’allumera, sans autre dommage.

 

J’adjoins à l’intérieur de mon piège une autre lampe qui servira d’appât et d’éclairage pour la table au-dessus de laquelle je pose mon traquenard. J’attends avec impatience qu’un moustique se pointe, comme par hasard, il n’en vient pas. Je choppe une grosse sauterelle pour voir sa réaction au contact de l'embuscade et la lâche dessus, les deux pattes arrière se détachent instantanément de l’animal, je crois que les moustiques n’ont qu’à bien se tenir !

 

C’est l’époque des cantharides, ces charmantes bestioles, réputées pour leurs vertus aphrodisiaques (je ne sais sous quelle forme), ont une prédilection pour les atterrissages dans le cou, (on ne les sent qu’au volume qu’elles prennent sous la chemise), une fois posées, elles lâchent un acide extrêmement virulent qui vous fait de grosses cloques en deux coups de cuillère à pot, si l'ulcération crève, en coulant, le suc en refait une série plus bas.

 

Je vends quelques pièces de 404, mais, n’étant pas trop ferré, je ne m’attarde pas à Gao, le lendemain matin, je droppe sur Niamey.

 

Arrivé, j’envoie une tripotée de cartes postales car j’ai remarqué que ce petit bout de carton, envoyé de loin, fait très plaisir lorsqu’il arrive et que son émission ne coûte pas beaucoup de temps et argent.

 

A la frontière béninoise je donne deux bidons de plastique de 10 litres ayant contenu mon eau pour la traversée du Tanezrouft.

 

Je roupille au camping de Kandi, démarre tôt le matin ; vers 9 heures, j’attrape deux caméléons sur la route, ce qui n’est pas un tour de force : quand ils sont sur le goudron, ils essaient de faire vite, mais faire vite pour un caméléon est très relatif, ils font deux ou trois basculements avant/arrière avant de pouvoir progresser efficacement d'un pas. Quand ils se sentent en danger, ils arrivent à faire des pas successifs mais hésitants et en chaloupant fortement.

Je les mets sur les revers de ma chemise, ils s'y agrippent et n’en bougent plus.

 

Parakou, Nestor a été retrouvé il y a deux jours, mort dans son lit, le ventre tellement gonflé qu’il a fallu l’enterrer dès le lendemain avant qu’il n’explose, ça sent l’empoisonnement à plein pif !!

 

Son frère a déjà chaussé ses bottes, sa femme et son restaurant ; il pérore comme un paon derrière le comptoir, je ne vais pas m’attarder.

 

Le soir, pendant le dîner, me vient un début de palu : suées au front, chair de poule sur les bras, raideur dans le cou, difficulté pour les yeux de faire le point, je bondis tel le fauve sur le tube de Quinimax, m’en enfile deux que je pousse d’une Béninoise, finis de dîner, et vais pieuter sur la terrasse.

Le lendemain, bien que retapé, je reprends deux cachets à tout hasard au petit déjeuner et dégage de l’antre.

 

Ayant entendu dire que, dans le temps, les marchands de voitures, mettaient de la sciure dans l’huile pour étouffer le bruit des ponts usés, je m’arrête chez un menuisier qui borde la route, en achète pour trois francs six sous, l'introduit par le bouchon de remplissage, ce qui n’y change rien !

 

Arrivé à Bohicon, je m’arrête pour manger au restaurant qui surplombe la route, un mec averti par un tiers, se pointe pour acheter ma voiture.

 

Je tape 600.000 CFA, quelques temps après avoir fait ronfler le moteur, nous tombons d’accord sur 550.000, il me dit qu’il revient me payer.

 

Un quart d’heure après, il est de retour avec le mécanicien à qui j’ai déjà eu à faire à Abomey lors de ma quatrième descente, il demande à faire un tour du quartier ; avec le pont arrière niqué, il va falloir jouer fin!

 

Je fais semblant de piquer une grosse colère à cause de la présence du mécano, leur dis de monter ; la transmission se mettant à s’exprimer à partir de trente à l’heure, je roule en surveillant le compteur de vitesse, le mécano me demande d’accélérer, justement, nous arrivons sur de la piste (comme par hasard), jouant toujours le gros énervé, je pousse les rapports sur la latérite, avec les cahots, ils ne peuvent pas entendre le bruit du pont arrière. Je reviens à toute allure en choisissant soigneusement des routes de terre, nous revenons au restaurant ; maintenant, il faut qu’ils réfléchissent car je pars sur Cotonou, conciliabule, je fais semblant de ne plus m’intéresser à eux, sur les conseils de son mécanicien, l’acheteur ne veut pas mettre plus de 500.000 CFA (1500 €), faisant l’ulcéré, je dis banco du bout des lèvres ; le type me règle dans la foulée.

 

J’ai fait d’une pierre deux coups : 1° fourgué mon os, 2° décrédibilisé le garagiste (j’ai honte, il fait bien son boulot, mais sa prestation me nuit chaque fois que j’ai affaire à lui).

 

Je paie l’addition, puis, vais prendre le train direction Cotonou.

 

Arrivée à l’hôtel Babo, salut à toute la compagnie, Raymond, un des fils du patron, sympa, a acheté une superbe Nissan Patrol volée au Nigeria, Hans et Jöss sont présents, ayant déjà vendu leurs oignons en route.

 

Les Hollandais sont les gens qui se rapprochent le plus des Français, ce sont des démerdards, ils aident s’ils le peuvent les collègues et ne balancent pas les autos à n’importe quel prix comme les allemands, les anglais viennent uniquement se promener, on ne voit quasiment jamais d’autres nationalités européennes.

 

Jöss me choppe à part : Raymond a fait l’acquisition d’un grigri pour ne pas se faire prendre à la frontière française et compte passer une grosse valise bourrée d’herbe grâce à ce merveilleux talisman, il me demande de l’aider à l’en dissuader, nous tapons à la porte de sa chambre, j’essaie de le convaincre que les grigris marchent très bien en Afrique, mais pas en Europe, rien à faire, il est persuadé que son amulette le fera passer comme une lettre à la poste! J’insiste, puis abandonne, car il commence à se fâcher et devenir soupçonneux, ses croyances et le monde pragmatique que j’essaie de lui faire pressentir sont à des années-lumière l’un de l’autre.

 

Avec mon passeport presque neuf, je vais à l’ambassade demander un visa pour le Nigeria, les deux hollandais et un français y ont déjà déposé les leurs.

 

Je vais faire un tour au Bénin palace, c’est la journée commémorant le courage des soldats béninois : lors d’une descente de mercenaires, il paraît que deux de ces derniers, restés sur le carreau et conservés au froid, sont exposés chaque année sous le pont de Cotonou, cela me paraît curieux, les cadavres ne supportant pas trop bien le climat, mais j’ai entendu cette histoire à plusieurs reprises.

 

Le passage au Nigeria étant toujours un rodéo, les copains attendent deux jours de mieux afin que nous partions ensemble.

 

Au Bénin Palace, je fais connaissance avec deux français qui se sont associés pour passer des bagnoles par bateau (cette pratique en se généralisant, commence à devenir une concurrence sérieuse) ; ils ont loué une maison près de la plage et hébergent le corse qui m’avait indiqué le coup des légalisations de cartes grises, ce dernier est rentré avec une Ghanéenne qu’il a ramonée jusqu’à l’aube, la fille commentant vigoureusement les pratiques qu’il lui faisait subir, ce, au grand dam de l’obèse.

 

Nous jouons à la belote, l’autre associé me raconte qu’il s’est fait facilement une poignée d’oseille ; engagé comme mercenaire en Belgique, il a touché une confortable avance, puis est parti en avion pour le Congo sous le couvert d’un reportage, avec caméra et tout le tremblement. Au questionnaire douanier, il écrit : métier : « mercenaire», que venez vous faire ? « un coup d’état », expulsion par l’avion suivant, affaire rondement menée, car, visant uniquement l'acompte, il n’avait aucunement l'intention de participer à un coup de main en Afrique !   

 

Un autre personnage a fait son apparition chez Basile (le patron du Bénin palace) : Big Jo, un béninois dodu qui commence à passer des voitures, il est marrant comme tout, expensif et malin comme un singe.

 

Il a fait imprimer en France des formulaires d’assurance auto béninoise à un nom bidon avec tampons à la même raison sociale, ceux-ci lui permettent de faire la France-Cotonou sans débourser un liard dans les pays où c'est obligatoire (France, Algérie, Mali).

 

Je lui achète deux formulaires tamponnés vierges.

 

Hôtel Babo, un couple me demande où acheter des vélos chinois, car ils veulent aller à Ouagadougou à bicyclette, j’essaie de les décourager ; venus en avion, ils ne connaissent pas les routes et pistes africaines, rien à faire, une heure plus tard, ils ont acheté deux engins flambant neufs.  

 

Deux jours après, ils sont de retour à l’hôtel, cramés, ils me demandent à qui fourguer leurs clous, je n’en sais rien et n’ai pas le temps car nous partons vers Lagos ; à Jonquet, nous changeons des nairas, et louons un taxi 404 berline.

 

Le voyage s’effectue sans problème particulier, j’ai mis les sous de la voiture et du passage dans mon calbar et dans ma sacoche Tamashek, autour du cou, mon passeport, deux petits bracelets d’ivoire et 500 ff changés à un françouze.

 

Il pleut, l’atmosphère est très lourde, durant le voyage, je pose sur la plage arrière du taxi la sacoche qui me colle à la peau.

 

Arrivée à l’aéroport de Lagos, toujours de la pluie, l'air est chargé d’électricité, les flics gueulent de dégager, le chauffeur nous dit de sortir presto, nous nous arrachons du véhicule, prenons nos sacs dans le coffre, le taxi part en trombe, nous sommes toujours sur le trottoir lorsque je me rends compte que j’ai oublié ma sacoche sur la plage arrière de la voiture, Jöss me dit que le taxi va revenir, je lui réponds de ne pas y penser, il y a les bracelets, les sous, il ne reviendra pas, ce passeport, ne m’aura pas servi longtemps !

 

Nous entrons dans l’aéroport, les copains sont consternés (du moins Hans et Jöss, le Français s’en tamponne le coquillard, il faut dire que c’est une grosse tache).

 

Je les rassure en leur racontant brièvement l’histoire de mon voyage sans visa et précise que mon but est d’arriver en zone de transit, après, ça ira tout seul.

 

Nous attendons dans la zone internationale jusqu’au soir sans que les douaniers et policiers ne bougent de leurs guichets, nous prenons quelques bières et sandwichs ; il y a de moins en moins de monde, j’étudie les paramètres pour gérer au mieux ma situation, c’est bon de sentir les deux hollandais à mes côtés, et qu’ils prennent mes patins à fond !

 

Il ne faut pas non plus trop s’attarder, car lorsque nous serons seuls dans l’aéroport, nous deviendrons le point de mire des fonctionnaires.

 

Les affichages n’annoncent plus de départ imminent, je dis aux copains que c’est bientôt le moment, quand je leur donnerai le feu vert, nous essaierons de passer dans la zone de transit, nous nous approchons discrètement des guichets de police et douane.

 

Une dizaine de minutes plus tard, les douaniers et policiers se cassent, j’attends un peu et donne le top, sans hésiter, mes compères passent, je suis dernier à la suite du Français, quand un policier sort et nous demande où nous allons ; Jöss et Hans expliquent en anglais que pour la nuit, nous voulons aller dormir dans la zone de transit, le flic demande à examiner les passeports, il regarde les trois premiers (et seuls) visas et nous dit de passer, je passe à l'as...

 

Le lendemain matin, je leur donne mes nairas afin qu’ils me prennent un billet, puis qu’ils présentent mon bagage au guichet d’embarquement, à partir de là, il faut qu’ils improvisent et me rapportent le talon du billet dans la zone de transit que je ne compte pas quitter. Ils se débrouillent comme des chefs, et tout se déroule bien, quelques temps après, on se sépare, car leur vol précède le nôtre.

 

Atterrissage de nuit à l’aéroport de Paris, tout le monde a un passeport sauf moi ; l’impression d’être le vilain petit canard, je demande au flic français comment on fait pour sortir sans ce document, le fonctionnaire se fait relayer pour m’accompagner au bureau du chef et ne me lâche qu’une fois le colis réceptionné, je ne peux pas rééditer le coup de Lagos.

 

Le chef est un rondouillard en civil qui fume la pipe, tout en lisant un document, il me demande ce qui m’arrive, je lui narre brièvement mon histoire de sacoche, il me dit pensif : « c’est chaud le Nigeria », nous discutons de choses et d’autres, puis il me demande de remplir une petite fiche : nom du père, nom de jeune fille de la mère etc……pas grand-chose, une fois cette fiche remplie, je la lui tends, il me dit : « vous pouvez y aller ».

 

Réfléchissant plus tard, je comprends que le chef flic, en discutant de choses anodines, a fait un diagnostic rapide : 1° que j’étais bien français, 2° que mon air tranquille l’a assuré que je n’avais rien à me reprocher, analyse rapide, initiative personnelle ; chapeau, l'artiste !    

 

 

_Dixième chapitre_

 

 

Nouvelle déclaration de perte de passeport (réelle, celle-là), nouveau passeport.

 

Dominique me demande de le descendre en Algérie car il doit faire du business avec un Algérien d’Adrar qui avance les fonds en francs français, mais son correspondant à Paris se fait tirer l’oreille pour lâcher l’oseille.

 

Il me narre son dernier périple : descente avec Lien, traversée à peu près sans problèmes, arrivés à Kandi, le chef de la police pique tous les papiers pour leur soutirer de l’argent ; plusieurs jours de tractations plus tard, la situation n’a pas évolué.

 

Dominique, voyant que les fenêtres du commissariat sont un peu symboliques, va, de nuit, le visiter et récupère ses papiers ; au camping, il laisse entendre qu’il s’est arrangé en sous-main avec l’un des flics et ils s’arrachent.

 

Personne ne connaît la fin de l’histoire, ni comment les comptes se sont réglés, mais ça a dû être saignant !

 

Après avoir vendu leurs voitures au sud, ils remontent par la route, malgré le coup du commissariat encore brûlant, ils passent le barrage de Kandi sans problème. Le taxi-brousse s’arrête un moment sur la petite place du centre bourg pour que des passagers descendent en attendant que le taxi soit à nouveau plein pour repartir.    

 

Vient à Dominique la courante (comme tout le monde en Afrique), cherchant désespérément un coin discret où poser le colis encombrant, il aperçoit une toute petite cahute en dur de 2 mètres sur 2 dans la végétation de la place, espérant un chiotte publique, il demande au chauffeur du taxi à quoi sert cette guitoune, l’autre lui répond que tout ce qu’il en sait est qu’elle est hantée et que personne n’y va jamais.

 

Ce n’est pas le genre d’argument qui puisse arrêter le loustic, la végétation le cache un peu, en faisant basculer sur le côté les planches un peu pourries du bas de la porte, il les sort une à une de leurs rainures ; aussitôt entré, soulagement de l’individu. Sa vue s’étant adaptée à l’obscurité du local, il jette un œil alentour : une demi-douzaine de lourds fusils de brousse sont accotés au mur.

 

Il sort, refermant soigneusement le bas de la porte.

 

Sachant que j’aime bien ce genre d’articles et que je suis assez vicelard pour pouvoir les remonter, il me fait part de sa découverte.

 

Almeria, Melilla, je fais mon plein de bouteilles de whisky dans les portières, j’en ai marre de passer par la douane de Oujda, j’ai entendu dire qu’à Figuig, les douaniers sont moins tatillons. En plus des 4 bouteilles planquées dans les portières, je prends 3 bouteilles d’anisette; après avoir vidé une petite partie de l’une d’elles, je la mets dans mon sac aux pieds de Dominique, la deuxième planquée sous des vêtements sur la plage arrière, la dernière dans le coffre arrière, on a le droit d’en passer une officiellement, ça devrait aller.

 

Effectivement, les douaniers sont moins teigneux qu’à Oujda !

 

Nous passons les doigts dans le nez et les mains dans les poches……..

 

Visite au copain d’Aïn-Sefra.

 

Arrivant le soir à Béchar, nous discutons avec un jeune de 17-18 ans qui trafique un peu de tout, je lui vends deux bouteilles de Whisky 400 dinars (il faut bien encourager le petit commerce), il nous invite à manger le couscous chez lui, banco.

 

Lorsque nous redescendons deux heures plus tard, je trouve mon pare-brise sous la voiture, le joint a été découpé ; lunettes de soleil, fringues, papiers chouravés, heureusement, j’avais mon pognon sur moi, et mes quelques outils dans le coffre arrière fermé à clé !

 

Le môme fait le désolé, mais je suis persuadé que c’est cet enfoiré qui a monté le plan.

 

J’attrape l’indélicat, et lui fais comprendre que je ne réclame rien de ce qui a été volé dans ma voiture hormis les papiers, car sans eux, je suis coincé, que, si cette nuit, ils ne me sont pas rendus, demain, j’irai à la police, que je devrai préciser les circonstances du vol et serai obligé de l’impliquer, il joue l’outragé, mais je n’en attendais pas moins de lui. Dominique me dit déjà qu’il ne va pas pouvoir rester avec moi, vu que je suis planté sans papiers.

 

Je ne bouge pas la voiture du bas de l’immeuble, remets le pare-brise en place pour nous protéger du froid, nous roupillons inconfortablement sur les sièges avant.

 

Le lendemain, miracle, mes papiers sont posés sur le capot. Je pose le pare-brise à l’arrière sur le baril de 200 litres, nous partons le nez au vent chez le premier marchand de pièces détachées du coin, j’achète quelques pièces Peugeot et un joint de pare-brise que je remonte à la ficelle.

 

Je largue Dominique chez ses copains d’Adrar, vais saluer l’ami Ramdann.

 

Traversée du Tanezrouft sans complications particulières, au crépuscule, je m’arrête à Bidon 5 pour laisser la nuit descendre, les petites gerboises qui pullulent me grimpent dessus pour manger le pain que je tiens à la main comme si je n'existais pas, je les repose à terre ; aussi sec, elles me ré escaladent, pour être tranquille, je sème plein de miettes autour de moi, puis entame un très court roupillon car les bestioles affamées me courent sur la tronche et commencent à me grignoter les oreilles, taïaut……..

 

Tessalit, il y a du schprountz, le chef de la police, désirant la voiture d’un convoi qui m’a précédé bloque tous les passeports pour acheter le véhicule 1000 ff (153 €), je suis heureux de voir que tout le monde soutient le propriétaire de l’objet convoité ; pour repartir, il nous faut tous attendre le bon plaisir du sinistre personnage.

 

Plus de bière sur place, il m’en reste quelques-unes que je mets à fraîchir dans un chiffon mouillé ; je n’ai plus que 15 ff (2,3 €) en poche, heureusement que j’ai une des assurances achetées à Big Jo. Je vais voir le préposé aux postes et télécommunications (nous sommes copains depuis que je lui apporte des graines de légumes), lui demande combien coûte un télégramme pour la France, s’il est possible d’en envoyer un avec si peu, il me répond que pour cette somme, j’ai droit à 8 mots, adresse comprise, de plus, je dois fournir 5 litres d’essence pour le groupe électrogène.

 

Je lui fournis la quantité requise du sang de la terre, puis tronçonne odieusement l’adresse de ma mère : celle-ci habitait à cette époque, avant de s’en faire déloger par les sarrasins, un petit H.L.M sympa, l’adresse en était : Madame Verna H…., 3 square du Bois Rouault 93800, Épinay sur Seine.

 

Je la transforme en : Verna square Dubois Rouault Épinay 93800, le message: O.K Christophe. De toute façon, à 93800, il n’y a qu’un Epinay : Epinay/Seine, je me dis qu’Épinay/Orge, à côté, n’a sûrement pas le même code postal. J’avoue compter sur la conscience professionnelle des postiers français devant l'adresse approximative d’un télégramme provenant d’un coin désolé de la planète.

 

Le préposé verse une partie des 5 litres de carburant dans un réservoir géant, garde impudemment le reste par devers lui, titille un pointeau, ouvre des robinets, tapote sur la cuve d’un carburateur préhistorique en bronze, empogne à deux mains une poignée fixée sur un énorme volant de fonte, lui imprime un mouvement de rotation, une fois que le volant tourne assez vite, il libère le blocage d’une soupape sortant du cache culbuteurs, le moteur commence à pétarader ; il va rapidement à une table sur laquelle se trouve un manipulateur Morse et commence à émettre ; il attend les quelques bips-bips d’accusé de réception, se lève, coupe le moteur du groupe électrogène et me dit que c’est parti ; discrètement sceptique, je le remercie.

 

De retour à Paris, je calculerai que le télégramme a mis 2 heures pour arriver ; ma mère l’avait reçu avant que je n’aie quitté Tessalit, somptueux !!!! Un H de mon prénom ayant disparu pour réapparaitre dans Rouhault lors de la transmission, ainsi qu'un "i" de l’un des Epinay, je n’envisageais pas pour autant, d’attaquer les PTT maliens.

 

En attendant, l’autre tordu nous plante une journée entière, j’en profite pour faire de la publicité à Gerry, le lendemain matin, une délégation monte à la jolie petite maison (datant visiblement du temps des colonies) abritant le bureau du chef de police véreux et lui fait comprendre que cela ne peut durer, qu’il faut nous relâcher, une heure après, tout le monde est libéré.

 

Il y a beaucoup de monde chez lou Gerry, quasiment que des Français, on boit sec et passons une bonne soirée.

 

J’ai des nouvelles des types en R12, l’embrayage ayant lâché sur la piste, le proprio est remonté en abandonnant la caisse, le brun s’est démerdé, a réussi à la ramener et la négocier à Gao, l’un des deux Lyonnais de l'affaire Bamako est redescendu (pas le foireux) avec un camion dont il a cassé le carter du pont arrière sur une pierre, il a terminé la route avec un seau dessous pour récupérer l’huile pour la réintroduire à intervalles réguliers.

 

Je vends des pièces Peugeot neuves achetées en Algérie.

 

Quelques jours plus tard, nous partons à plusieurs autos sur Niamey ; au barrage de la sortie de Gao, un militaire qui veut faire du zèle bloque tout le monde car une des voitures roule carrément (comme souvent) en échappement libre ; un conducteur en queue de caravane demande en gueulant « qu’est-ce qui se passe ? », l’autre le renseigne sur la cause de l’arrêt, le gueulard répond « file-lui un bidon », entendant cela, je me dis qu’il va y avoir des problèmes, je suis immédiatement rassuré quand j’entends le fonctionnaire demander « il y a des bidons ? ».

 

Une partie du convoi reste à Niamey, je continue avec trois d’entre eux, un couple et leur ami dans deux voitures.

 

Malanville ; un photographe ambulant nous immortalise entourés de petits Béninois, j’achète le Polaroïd, la femme se fait refourguer un petit singe adorable dont les doigts sont plus fins qu’une allumette voir regards attendris.

 

Nous éloignant de la frontière, nous nous arrêtons pour boire une BB, le patron de la buvette a construit un transatlantique de deux mètres cinquante de long avec des matériaux de récupération, le résultat est magnifique!

 

Arrêt au « camping » de Kandi, après avoir acheté 10 litres de vin portugais (pour quatre, dont une dame, ça devrait suffire), nous trinquons avec des étudiantes en médecine béninoises venues étudier sur place l’onchocercose qui rend aveugle une partie des paysans.

 

Je vais repérer, tant qu’il fait jour la guitoune aux fusils, je la trouve très facilement, il est étonnant qu’avec des alentours aussi fréquentés, elle n’ait pas été visitée !

 

Dans la foulée, j’achète une lampe torche made in China et des piles.

 

Nous mangeons copieusement et buvons de même.

 

La nuit tombée, je prends ma lampe, sors discrètement et file à la cahute, il n'y a que la rue à traverser.

 

Ayant sorti les planchettes, j’entre, cachant en partie la lumière avec mes doigts de façon à l'assourdir, j’éclaire par terre pour ne pas marcher dans les traces de Dominique, il ne reste rien de son passage, même le pécul a disparu, les fusils sont toujours là, et apparemment, depuis longtemps, mais ce ne sont pas de petits modèles, je décide de les laisser sur place et de les kidnapper le jour où je remonterai par la piste.

 

Revenu au camping, je me rassois à table et reprends les hostilités où je les avais laissées. Tant que les dix litres ne sont pas pliés, nous entonnons le jus de treille portugaise, rideau….

 

C’est le soleil, déjà haut dans le ciel qui me réveille ; vautré par terre, au milieu de la cour, j’ai une casquette en peau de locomotive et un bon coup de soleil sur la tronche, les moustiques ne m’ont pas fait de cadeau. Une des étudiantes est assise sur les marches du plot central portant le drapeau béninois, ses pieds encadrent ma tête, elle est penchée sur moi et dit avec un sourire de cannibale et une conviction extraordinaire, « Christophe il est cassé, il est cassé jusqu’aux …dents ! », je la supplie de parler doucement, c’est vrai que je suis cassé, le diagnostic est juste, docteur!

 

Les copains restent quelques temps à Kandi, moi, je ripe, ce n’est pas un coin dans lequel j’aime m’attarder, y ayant déjà laissé un permis de conduire français à un flic lors d’une précédente descente (il comptait là-dessus pour que je me pointe au commissariat me faire saigner le larfeuille).

 

Parakou, chez feu Nestor, bien que cette fois-ci je n’en aie pas, les serveuses m’appellent « Monsieur caméléon ».

 

Kokoro, arrêt bibine, des artisans sculpteurs, curieusement coiffés de bonnets phrygiens me proposent leurs sculptures, j’achète un hippopotame très sympa pour la Mama, ainsi qu'un "casse-noix" , qui ne doit pas casser grand-chose, lui-même doté d'un bonnet phrygien.

 

Sur la piste, avant Ouéssé, un énorme lézard à gros ventre (comme on en voit, pour la boucherie, vivants, les pattes liées dans le dos sur les marchés africains), qui fait plus d’un mètre de long, traverse la piste juste devant ma voiture, ce genre d’animal court très vite, il ne me vient pas à priori, l’idée d’essayer de l’attraper, mais ce couillon, une fois la piste traversée s‘arrête, la tête dans un fourré, tout le corps dépassant, je stoppe doucement la voiture, prends une chemise et m’approche tel le Sioux. Je l’attrape d’une main par une patte arrière, comme prévu, il se retourne pour me mordre, je lui jette la chemise de façon à lui encapuchonner la tête et la partie haute du corps et le tiens cloué au sol, il se débat comme un beau diable, mais pour me faire lâcher prise, il peut toujours attendre ! Nous nous battons quelques temps, je le maintiens de façon qu’il ne puisse pas se retourner, car les griffes sont longues et acérées, puis, haletant, il se calme, je sais que je vais le relâcher, mais je ne peux jamais résister au plaisir de capturer un animal ; sa peau écailleuse est très douce et souple, trop ample pour son locataire. Calmé, il ne bouge plus, mais je ne m’y fie pas, une fois que j’ai savouré ma petite victoire, je le lâche en m'écartant vivement, il part comme une flèche avec ma chemise, mais je ne regrette pas l’épisode.

 

Tchaourou, je tourne dans une petite rue déserte pour lansquiner, dans le fossé, je trouve un petit canon ancien en fonte de 60 à 70 centimètres de long, je le soulève par un bout, il pèse un âne mort ! Je repère l’endroit me disant qu’il doit être là depuis un bon bout de temps et remet à une prochaine fois son rapatriement en France.

 

Dassa, je fais connaissance avec un Français maître nageur ; il ne sait comment, ni où vendre sa 404 break, je lui dis que j’ai l’intention d’aller pointer à Abomey, s’il veut, il peut m’accompagner, vu que nous n’avons pas la même marchandise, nous ne nous tirerons pas dans les pattes, ça lui convient, le lendemain matin, à la fraîche, nous dégageons.

 

Abomey, chacun prend une piaule au foyer des jeunes travailleurs, puis, direction Johnny pour l’omelette, la belote africaine et la cuite.

 

Le lendemain matin, nous retournons montrer nos trognons chez Johnny, car son restaurant, jouxtant le marché, est la meilleure vitrine pour exposer les voitures sans avoir trop l’air de racoler.

 

Petit déjeuner-aspirine nigérian, vers midi, entre dans le restau un loustic entièrement recouvert d’un habit de raphia avec deux adjoints, on ne lui voit pas un brin de peau, il gesticule comme un forcené, pousse des gueulantes épouvantables, tous les africains sont terrorisés, Johnny y compris, malgré cela, il me dit en aparté que c’est Zangbeto, un revenant sorti de sa tombe, qu’il faut faire tout ce qu’il ordonne, sinon, il va arriver un grand malheur ; le « trépassé » fait agenouiller les gens un par un en appelant chacun par son prénom (ce qui prouve une préparation élaborée), débite des incantations bénéfiques à l’intention de chaque prosterné, il faut jeter devant lui un peu d’argent que ses acolytes ramassent.

Chacun d’eux possède un long bâton dont il se sert pour écarter les fibres voltigeantes de l'habit du décédé, car une personne effleurée par l’une d’elles tomberait foudroyée sur place ; prenant un peu de recul, je considère la scène et me rend compte que même les aides croient au truc, ils ne lâchent pas l’esprit des yeux et remplissent leur office avec beaucoup de sérieux et en faisant très attention de ne pas être eux-mêmes touchés.

 

Chacun ayant donné son obole, le cortège s’en va faire la manche sur le marché, provoquant sur son passage des hurlements de terreur des vendeuses.

 

Je vends ma voiture 450.000 CFA assez vite, le copain n’ayant pas eu de touche sérieuse, nous décidons de partir sur Cotonou, réglons les chambres du foyer, adieux à Johnny.

 

Au Bénin Palace, un jeune français cherche à vendre sans résultat une Renault "Prairie" plateau des années 50, moteur 2,4 litres, 11 Cv, 200.000 CFA (615 €), je me dis que ce serait un bon moyen de remonter, cela me reviendrait au prix d’un billet d’avion, (sans les aléas de l’embarquement à Lagos), arrivé en Dordogne, me resterait l’auto ; de plus, en cours de route, je pourrais remonter les fusils de brousse et le canon.

 

Après avoir examiné l’engin, je l’achète sans marchander ; me retrouver acheteur me fait une curieuse impression, le type me laisse l’assurance qui est encore valable deux mois. Un autre me propose une innovation assez surprenante remplaçant un cric : c’est un sac de forte toile plastifiée de la grosseur d’un sac de marin cylindrique, mais plus court qui se gonfle par l’intermédiaire d’un tuyau à la sortie d’échappement ; quand on est ensablé, il faut le glisser sous la voiture, la pression des gaz lève celle-ci. En guise de démonstration, le vendeur le place sous une 404, demande au chauffeur d’accélérer un peu, l’auto se retrouve les deux roues arrière en l’air instantanément, un clapet débrayable empêche les gaz de ressortir trop vite, si bien que, même le moteur coupé, la voiture reste dans cette position plusieurs minutes, j’achète.

 

Ayant vendu sa trapanelle, le copain me demande si je peux le remonter, et combien je lui prends, me souvenant du prix que chacun avait déboursé au retour de Bamako, je lui dis 25.000 CFA (77 €), il me réserve une place, un autre français, barman, est partant au même tarif.

 

Le lendemain, départ vers le Nord, je m’aperçois rapidement que mon oignon consomme beaucoup d’essence. Pour amoindrir la consommation, je bouche en partie le gicleur principal avec les petits brins de cuivre d’un fil électrique, après plusieurs tâtonnements, en enlevant et en remettant, j’arrive à une consommation raisonnable tout en gardant des chevaux sous le capot.

 

Arrivée à Tchaourou, je cherche le petit canon, calamitas, il a disparu!!!!!

 

Nous dormons à Parakou, partons tard dans la matinée car je compte m’arrêter au camping de Kandi.

 

Là, j’attends le soir, dis à mes covoituriers que j’ai besoin de leur aide, leur explique succinctement le plan, nous allons à la cahute, j’écarte les planches, les fusils sont toujours là, je les passe un par un à mes aides, nous les rapatrions sans problème dans la piaule, le lendemain de bonne heure, je donne le signal de départ.

 

La nuit, nous croisons ou doublons des charrettes montées sur des essieux de vieilles autos, quand tout va bien, elles ont une petite lanterne rouge à l’arrière, le type est toujours couché et roupille sur les marchandises, laissant le bourricot tailler la route vers le marché, je n’en ai d’ailleurs jamais vu s’arrêter ou s’écarter de la droite du chemin.

 

Niamey, je casse la croûte chez une mama, un Nigérien me montre son bras gauchetordu et couvert de profondes cicatrices, il me dit que c’est tout ce qui lui reste d’une Prairie comme la mienne avec laquelle il a fait trois tonneaux ; je récupère divers souvenirs laissés chez le copain d’un des frères garagistes chez qui je préparais mes voitures en Dordogne.

 

La piste est défoncée par les camions, 40 bornes après Tillabéri, une lame de suspension avant casse, la voiture devient bancale, puis le moulin indique une surchauffe anormale ; j’arrête, lève le capot, les silentblocs de moteur ont cassé, le ventilateur en remontant dans un cahot a frotté sous la réserve d’eau du radiateur et l’a percée.

 

Les bidons d’eau prévus pour la traversée du désert sont vides, je vois le Niger refléter la lune dans la nuit, décide d’aller y puiser de l’eau, l’un de mes passagers m’accompagne, le troisième garde l’auto.

 

La lune est assez pleine pour que les yeux, une fois habitués à l’obscurité, nous voyions où nous allons, mais le fleuve est beaucoup plus loin qu’il n’y paraissait, croisant un petit campement Touareg de six tentes, je tape dans les mains pour essayer de leur acheter de l’eau, seuls les chèvres et des moutons dans leur enclos d’épineux nous répondent, ce n’est pas rassurant du tout, surtout que les Touaregs ont la défense rapide !

 

Arrivé au fleuve, je m'avance dans la vase pour remplir le bidon à moitié, car, vu le chemin de retour à faire, nous avons une bonne suée en perspective.

 

A l’aller, nous apercevions le fleuve pour nous diriger, mais il est moins aisé de garder une direction avec le fleuve dans le dos! Un peu sceptiques sur la direction à suivre, nous attendons bouffés par les moustiques, puis, les phares d’une voiture passant au loin sur la piste nous orientent.

 

Deux bonnes heures après être partis, nous retrouvons la piste, on en a plein les bottes ! Maintenant, nous ne savons pas si nous devons aller à gauche ou à droite, j’opte pour la droite, un demi-kilomètre après, nous réveillons le copain.

Je remets parcimonieusement de l’eau juste au dessus des tubulures de refroidissement du radiateur, puis repars ; après plusieurs remises à niveau, nous arrivons à Ayorou, dormir les yeux...

 

Le lendemain à Niamey, recherche de silentblocs et d’un gus capable de réparer le radiateur. Je trouve des silentblocs, ils sont un peu hauts, ronds au lieu d’être rectangulaires, mais l’esthétique n’est pas de mise ! Jouant du cric, je lève le moteur et les mets en place, pendant ce temps, un soudeur me retape le radiateur, en 2 heures, les malheurs sont réparés.

 

Arrivés à Gao, nous allons poser nos pénates chez Gerry, il paraît que les lames de ressort se ressoudent à l’arc, pourquoi ne pas essayer ?

 

Boubakar me conduit dans les fonds de Gao chez l’homme de l’art ; il a l’air très compétent, mais me prévient que c’est sans garantie.

 

Je démonte le bloc de lame de ressort, sort la pièce cassée, le ferronnier la soude à l’aide d’un groupe électrogène mû par un moteur de 404.

 

Gerry est sur son 31, et affûte ses fourneaux, le Paris- Dakar passe bientôt à Gao.

 

J’achète un fût, y mets 200 litres d’essence, complète de deux jerrycans de 20 litres chacun, de l’eau dans deux autres de dix litres, et c’est parti !

 

Mon acquisition se comporte mieux que je le pensais dans le sable mou, peu de temps après, la lame de suspension recasse.

 

Mon sac à lever les voitures fonctionne à merveille, nous nous rions des ensablements, pour sortir la voiture, même enfoncée jusqu’à l’os, il suffit de creuser de quoi glisser le sac plat, démarrer, gonfler, l’avant ou l’arrière se lève instantanément de 40 centimètres, il n’y a plus qu’à combler avec du consistant sous les roues et l’affaire est réglée ; béni soit l’inventeur de cette merveille !!!!!

 

Un peu avant Tessalit, nous croisons des motards du rallye qui m’arrêtent pour demander de l’essence car ils se sont paumés et ont peur de ne pas en avoir assez pour finir l’étape, je leur en donne, mais je suis obligé de filtrer l’essence à travers un chiffon car le fut acheté à Gao est plein de merdes, ils trépignent et repartent après n’avoir pris que quelques litres (qu’ils ne m’ont jamais proposé de payer, soit dit en passant !).

 

Plus loin, un accident vient de survenir, un Suisse dans une belle combinaison blanche est étendu, d’après les premiers secours, il a les vertèbres cervicales en miettes, le copilote a une clavicule cassée, la voiture, en résine est explosée. Selon le coéquipier, c’est un autre concurrent, qui, lors d’un passage étroit leur a fait une queue de poisson. Il y a plein de monde sur place, ils me font rigoler à jouer les aventuriers alors qu’ils sont assistés comme pas permis, quelle bande de clowns ! On s’arrache, nous croisons de loin en loin d’autres concurrents.

 

40 bornes avant Borj-Moktar, une superbe moto BMW est sur la béquille centrale, une paire de gants posée sur la selle, personne autour.

 

Arrivée à Adrar quasiment à sec d’essence, bonjour à Ramdann, je lui dis que cette fois-ci, je remonte, impression fugitive qu’il me croit un peu fou. Il se remet du passage de la compétition et n’a pas grand-chose à manger, nous arrivons tout de même à nous caler les gencives, puis repartons.

 

Nous passons la douane à Figuig, faisons Melilla-Almeria ; en France, je largue mes passagers dans les villes qui leur conviennent.

 

Arrivé tard dans la matinée à Lalinde, j’entre, crade de poussière du Sahara dans le Coulobre, bistrot de « la Grande » et lui commande les œufs sur le plat qu’elle fait à merveille, malgré l’air penché de mon os, les flics ne m’ont jamais arrêté (hors barrages et frontières) de Cotonou à chez moi.

 

 

_Onzième chapitre_

 

 

Je trouve une 404 berline ancien modèle en très bon état, pas chère, j’en fais l’acquisition car, ayant ratissé le secteur, je n’en trouve pas de plus récente.

 

Dominique et Lien, descendant en 504, nous décidons de voyager de concert.

 

A l’embarquement d’Alméria, nous rencontrons des Français allant en Afrique noire qui se joignent à nous.

 

En Algérie, nous vendons des bouteilles de whisky et des pièces détachées d’auto.

 

Gavés de dinars, nous allons manger le soir dans un restaurant d’état pour touristes dans lequel on peut boire du vin, nous prenons quasiment une bouteille par personne, chacune d’elles, bien que possédant la même étiquette, a un goût différent des autres, mais très bon ; nous en sortons tard. Dominique connaissant une cascade, nous décidons d’aller y faire un tour. Le fond de l’air est frais, mais c’est trop tentant avant le désert pour faire l’impasse ; pistant les alentours, nous nous foutons tous à poil, passons sous la chute d’eau et nous baignons rapidement.

 

Béchar, nous nous garons sur une grande place, allons déjeuner, puis, cherchons des clients chacun de notre côté pour larguer les pièces qui restent.

Çà donne dur, nous nous croisons à plusieurs reprises pour aller livrer.

 

Revenant à ma voiture, je vois plein de flics autour de celle de Dominique, lui et Lien serrés, je monte discrètement dans la mienne et la gare dans une petite rue éloignée, puis, faisant des détours, je vais chez chacun de leurs clients à qui je conseille, s’ils ont du piston, de faire intervenir rapidement afin d'étouffer l’affaire, car sinon, ils vont subir une perquisition, visiblement, nous avons tous été dénoncés.

En leur faisant réaliser qu'ils sont mouilllés, je les oblige à sortir, s’ils le peuvent, Lien et Dom du merdier, puis je leur dis que çà pue pour moi dans le secteur et que j’attends les potes à quelques bornes après la sortie sud de la ville, l’un d’eux me dit «toi, tu connais les ficelles! », tu parles, Charles, avec mes embrouilles précédentes à la douane d’Adrar, je pourrais donner des cours !

 

Je fais quelques kilomètres, stationne en retrait de la route à droite, attends trois bonnes heures, le soir tombe, je casse la croûte, toujours personne, je mets un petit feu de position latéral pour être visible, sors le sac de couchage et commence à en écraser, peu de temps après ils arrivent, suite aux interventions de leurs clients, les flics les ont lâchés, après quelques congratulations, on se casse.

 

Passage d’Adrar et du Tanezrouft sans grosses difficultés, à Gao, réparant mes deux roues de secours dans la cour de Gerry, je dis à Dominique de réparer la sienne (il n’en a qu’une), il me répond qu’il n’y a pas urgence, j’insiste, lui proposant s’il la sort, de réparer sa chambre à air, sans résultat.

 

Quelques jours plus tard, nous quittons Gao, direction Niamey, un copain malien me demande de descendre son cousin sur le Niger, pas de problème, je fais un peu chauffeur de maître car mon passager doit s’asseoir à l’arrière ; pour innover, j’avais démonté le siège passager et mis le fut de 200 litres à la place, ceci afin d’équilibrer les poids lors de la traversée du Sahara.

 

La nuit, sur la piste, 40 bornes avant Tillaberi, Dominique s’arrête ; sa roue arrière droite est à plat, il sort le cric, se glisse sous la voiture pour le placer et se relève comme un ressort en disant qu’il s’est couché sur une épine, on regarde son dos à la lampe électrique, rien, mais comme a l’air secoué, éclairant l'endroit ou il s’est allongé, j’écarte les feuilles avec la manivelle, apparaît un petit scorpion blanc-transparent d’à peu près huit centimètres de long, après lui avoir fait un sort, je le balance dans la brousse.

 

Le père Dom décline à vue d’œil, et ce con qui n’a pas de roue de secours ....!!!!!

 

Je mets le cric en place, sors la roue, démonte la chambre à air, en obture le trou, la replace dans le pneu, repose la roue sur la voiture, demande à mon passager de la gonfler avec ma pompe à pied en même temps que je revisse les boulons (10 minutes en tout).

 

Une fois que ceux-ci sont à peu près bloqués, je dis à Lien que je vais partir avec le boulet en éclaireur pour essayer de trouver de quoi le secourir en ville, ils n’ont plus qu’à gonfler suffisamment le pneu, sortir le cric, vérifier le serrage des boulons, ils sont assez grands pour s'occuper de çà, on se retrouvera plus tard en ville.

 

J’aide mon colis à monter derrière et drope vers Tillabéri ; arrivé au barrage d’entrée de la ville, un militaire me demande les papiers, je lui oppose qu’il n'en est pas question, que j’évacue un blessé par piqûre de scorpion, il faut que je voie un médecin le plus vite possible.

 

Je dois être convaincant, (j’entends mon Dominique râler qu’il « sent sa vie qui s’en va », le connaissant, je me doute qu’il en rajoute, mais c’est tout de même inquiétant), ils me laissent passer.

 

Un môme propose de me conduire au dispensaire, je lui dis de monter sur l’aile avant, et nous voilà partis par les rues noires de Tillabéri.

 

Un peu plus tard, le gamin me fait signe de tourner sur la gauche, je vois briller la petite lumière d’une lampe à pétrole, nous sommes arrivés, je donne une pièce à mon guide qui s’en va tout content.

 

J’entre dans une grande salle au milieu de laquelle se trouve une petite table haute où sont posés des instruments nickelés, à côté, un tabouret, personne à l’horizon.

 

J’appelle, une voix venant des chiottes me demande ce qui se passe.

 

Je réponds que j’ai un client scorpionnisé à réparer, on me dit, « installez-le sur le tabouret ».

 

Je vais chercher Dom, il est affalé, je dois passer son bras autour de mon cou pour le sortir de la voiture, il n’est pas gras, mais plus grand que moi et lourd l’animal ! Je l’engueule un peu pour qu’il réagisse, il fait un petit effort, nous arrivons ainsi dans la salle ; un grand black vêtu d’une blouse et d’un bonnet d’un blanc immaculé, finit de s’essuyer les mains à côté d'un tabouret sur lequel je dépose le copain.

 

Nous nous saluons, puis, en deux mots, je lui narre l’histoire, en même temps, il relève la chemise de Dominique qui présente, au milieu de son dos, à droite de la colonne vertébrale, un énorme croissant violacé en relief, la peau est grainée de chair de poule.

 

Le requinqueur du genre humain n’a pas l’air étonné, moi, je suis impressionné, le type prend une seringue posée sur la tablette à instruments, et commence à pomper le liquide d’une petite fiole.

 

Chose curieuse, il demande à son patient où il a mal, alors que cela me paraît évident ; Dominique mettant sa main dans le dos nous désigne un endroit 10 centimètres plus bas que le méchant croissant.

 

Le médecin se tourne vers moi, et me demande « qu’est-ce qu’on fait ? », n’en sachant trop rien, je lui suggère d’injecter une moitié où c’est pas beau, et l’autre où ça fait mal.

 

Le praticien s’exécute, le temps que le produit agisse, je lui fais part de mon étonnement de l’avoir vu si fin prêt, il me répond «quand il y a pleine lune, et du vent comme ce soir, je sors une dose de vaccin du frigo, car les scorpions surgissent de partout». Je le félicite pour son expérience et du sérieux de son intervention.

 

Quelques minutes plus tard, le moribond reprend goût à la vie, il faut un peu l’aider pour qu’il se lève, mais il tient debout, je demande comment le vaccin peut agir si vite, le spécialiste répond qu’il comporte un analgésique.

 

Je demande à combien se monte la prestation, c’est gratuit, je trouve tout cela admirable ! Me disant que je ne peux partir comme un chien, je lui donne un billet de 500 CFA en l’invitant à boire une bière à la santé de Dominique dont il s’est si bien occupé, il accepte le modeste billet avec les mêmes gentillesse et simplicité dont il a fait preuve depuis le début.

 

Après l’avoir remercié chaleureusement, nous repartons ; dans la rue principale, nous nous arrêtons à la hauteur de la place du marché où les mamas officient pour rassasier les voyageurs de passage ; le Dominique, ressuscité, a furieusement faim et soif.

 

Mettant la voiture en vue le long de la rue pour que les autres nous retrouvent facilement, nous attaquons chacun un demi-poulet bicyclette avec du riz au gras et bière.

 

Les mamas se plaignent de la girafe du gouverneur ; il a acheté l’animal tout jeune en brousse et l’a lâché sur le marché pour qu’il se serve en tomates, salades et autres primeurs sur les étalages, au début, çà faisait rire, mais, la bête en a pris l’habitude, et, devenue grande s’est mise à manger comme telle, le gouverneur trouvant la combine pratique, la lâche tous les matins pour qu’elle aille se sustenter sur le dos des pauvres vendeuses de légumes qui font restauratrices le soir et pas question de repousser la bestiole qui est protégée par la police et une girafe, ça croque dur......

 

Tout en finissant de casser la croûte, je narre à Lien et mon passager le rafistolage de Dom. Sur la fin du repas, mon passager, se lâchant un peu, me confie qu’il est déserteur, que son parent a pensé qu’il lui serait plus facile de sortir du Mali dans une voiture de « touriste », je tords le nez, car ils m’ont mouillé dans leurs histoires sans me prévenir.

 

Niamey, je largue mon insoumis. Accompagné de Dominique, je vais rendre visite au Français chez qui je laisse mes souvenirs africains, puis nous retournons aux voitures, Lien s’est entre-temps fait piquer les papiers et une partie du pognon qui étaient dans une sacoche : Un môme s’est pointé en disant négligemment « votre roue de secours est détachée », Lien va à l’arrière, rien à signaler, revient, plus de sacoche, elle a "bénéficié" d'une variante de la roue arrière poinçonnée à laquelle j’avais déjà eu droit, sans me faire taxer.    

 

Vu comment Dominique a réagi quand j’étais planté à Béchar lors de la descente précédente, je ne prends pas trop de gants pour lui dire qu’il m’est inutile d’attendre ses nouveaux papiers, de plus, il lui reste un peu d’argent, après de brefs adieux, je continue vers le Bénin.

 

La frontière béninoise passée, sur la piste, la roue avant gauche crève, je m’emploie à la changer, quand une bonne odeur de viande grillée me vient aux narines ; cinq minutes plus tard, je trouve un type accroupi devant un cratère creusé à côté de la piste, il surveille un foyer autour duquel rissolent à la verticale des brochettes de tripes tout à fait appétissantes, je lui en prends trois et commence à m'en régaler, voyant qu’elles sont fourrées, je demande au Vatel du barbecue ce qu’il a mit dedans, il me répond, me prenant visiblement pour un demeuré : « Bah, c’est la merde, patron » ; après avoir grignoté l’extérieur de mon repas, j’en balance la farce.

 

Un peu avant Bembéréké, je gaule deux caméléons.

 

À quelques bornes de Parakou, un splendide oiseau s'éclate sur mon pare-brise, ses plumes ont de magnifiques reflets bleus comme en ont les grands papillons exotiques.

 

Je fais halte chez celui que je soupçonne d’avoir envoyé Nestor ad patres ; le gardien, voyant l’oiseau bleu, me demande ce que j’en fais, je réponds que seules les plumes m'intéressent, nous passons un deal: il me met les plumes de côté et garde le reste pour sa gamelle ; je choisis de dormir sur la terrasse bien que ce soit la saison des pluies ; le matin, comme prévu, je me réveille à l’humide, mais sous ces latitudes, ce n'est pas bien gênant.

 

La nouvelle expression africaine du moment est « nous sommes conjoncturés ».

 

Le lendemain soir, après avoir mangé chez les petites mamas de Kokoro, fatigué, je décide de faire un roupillon ; après la ville, m’écartant de la piste, je m'engage dans la végétation, (pas très loin, car la forêt est vite impénétrable), comme d’hab ; je m’arrête en position de départ à l’arraché.

 

Je dors très mal, bien que je fasse brûler un serpentin anti-moustiques, ceux-ci viennent faire leurs prélèvements sans gains, de plus, les singes et autres animaux font un boucan infernal, une demi-heure après, je retourne à Kokoro, me retire derrière les boutiques des mamas et en écrase comme un sonneur.

 

Au matin, je vais chez les petits marchands de café (en poudre) au lait (concentré) qui officient avec gravité.

 

Une fois lesté (avec un N, ça le ferait), je reprends ma route en me tâtant si je fais un tour ou pas à Abomey ; après tout, même si je n’y fais pas affaire, je verrai la bonne trogne de Johnny.

 

Après avoir été le saluer, je vais boire l’apéro à l’hôtel, il y a quatre Français ; deux frères, dont l’un, rouge vif, est venu voir comment ça se passe dans un pays marxiste-léniniste, il a acheté toute la panoplie de petites broches à l’effigie de leaders communistes (Staline, Lénine, Mao, et toute la clique...), ainsi que divers formats du petit livre rouge venant probablement de Chine, plus un couple, dont la nana est passablement allumeuse, ils ont tous vendu leurs voitures sur la piste et viennent visiter la capitale du roi Béhanzin, nous buvons un coup, je fais colocataire avec les frangins à l'hôtel.

 

Je rentre après avoir mangé et beloté tard chez Johnny, sur un petit carreau de la porte de l’hôtel, je vois une énorme mante religieuse, je pense ne rien risquer en la prenant par le dos comme les crabes, cette salope me détrompe immédiatement, rotation de l’abdomen telle une tourelle de char d’assaut, elle me plante une pince sous la peau de l’ongle du pouce, surpris, je la jette par réflexe à terre sur le ciment, sans que cela ait l’air de la gêner, puis la balance au loin dans la végétation, j’avais qu’à ne pas l’embêter !

 

Quelques jours plus tard, le frère communiste s’en va en train visiter un autre bled, je l’emmène avec son frangin à la gare de Bohicon ; quand nous arrivons, il y a un patacaisse d’enfer, des militaires partout. Une fois le voyageur parti, nous nous attardons pour savoir ce qui s’est passé, une petite fille a été trouvée la poitrine ouverte, le cœur arraché : Un sorcier a promis à un bossu de le soulager de son infirmité s’il lui apportait un cœur humain, le contrefait a entraîné la fillette dans l’un des fourrés qui touchent la gare et l’a opérée à deux pas des parents qui attendaient le convoi.

 

Le lendemain, je ripe les galoches sur Cotonou.

 

Au Bénin-palace, il paraît que le Point air vient d’ouvrir une ligne faisant Ouagadougou-Lyon pour 1800 ff (275 €), puis Lyon –Paris en car gratuit pour les intéressés, je sens que ce sera mon nouveau mode de retour au pays !!

 

Les marchands vendent des montres à quartz comme je n’en verrai que cinq ans plus tard en France, elles font réveil et possèdent un grand choix de sonneries, dont le chant du coq ou la Marseillaise.   

 

Un intermédiaire prétend avoir un client dans un petit village de brousse à une dizaine de bornes de Cotonou ; arrivés sur les lieux, il y a répétition de concert vaudou, mon type me drive dans une case un peu à l’écart de la place où se tient l’orchestre, me dit que le chef du village est l’acheteur potentiel, il faut que j’attende là, car je ne dois pas assister à la prestation (de métro). Il m’amène une Béninoise tiède (que je paie) pour me faire patienter, j'attends dans un fauteuil en tiges de feuilles de bananiers, la cérémonie bat son plein, les chants, les tam-tams très puissants, un sifflet à roulette déchirant ; très impressionnant, j’en ai le poil qui se hérisse !!

 

Je reste ainsi une bonne plombe ; ma bière pliée depuis longtemps, mon entremetteur revient me demander si je peux encore attendre, je lui réponds qu’il n'en est pas question, j’en ai ras le bol, que je rentre avec ou sans lui à Cotonou, j’ai bien l’impression que le loustic m’a prit pour taxi.

 

Tournant avec un copain français dans les arrières de Cotonou pour appâter l’acheteur d’auto, dans une gargote, je commande deux B.B ; près de nous un allemand obèse plutôt crado est en pleine consultation, il est muni d’un énorme bouquin de médecine rédigé en allemand, dans lequel sont répertoriées et décrites toutes les maladies, en marge, sont indiqués les médicaments correspondants. Apparemment, il fait des tournées régulières, les malades se pointent tel jour à telle heure dans tel bistrot et racontent leurs petites misères ; après avoir écouté les symptômes, il consulte son bréviaire, rédige une ordonnance, éponge un billet. Entre deux clients, on discute avec le teuton ; après trois tournées de BB, celui-ci nous confie qu’il n’est pas plus docteur que moi, ayant acheté ce livre rédigé en allemand sur un marché africain, il a commencé à rendre service à droite et à gauche, puis, le bouche à oreille fonctionnant, il a institué une tournée, maintenant, son affaire roule toute seule.

 

Le lendemain, je vends ma voiture à Porto-Novo ; revenu à Cotonou, le soir, je vais manger chez un Français qui tient un restaurant sympa assez classe près du bord de mer (sans en avoir la vue), après avoir bu l’apéro avec des confrères, nous allons manger dans l’arrière salle, il y a un couple attablé, je ne sais pas si ce sont des bribes de leur conversation entre-entendue d’une oreille distraite, ou la description que m’en avait faite son chevaucheur précédent, mais je suis subitement persuadé que c’est la nana poursuivie par le furieux à l’Opinel.

 

A Jonquet, je prends le Cotonou-Lomé ; deux jours auparavant, un taxi 404 plateau similaire (19 personnes, plus les bagages) faisant cette ligne, s’est planté de nuit dans un rouleau compresseur que les ouvriers du chantier de réfection de la route (rongée en permanence par la mer) avaient laissé en plan sans signalisation après la débauche, résultat : la moitié des passagers et le conducteur morts sur le coup, et les autres en charpie. L’habitude africaine pour signaler des obstacles sur la chaussée est de couper des branchages et de les poser cinquante ou cent mètres en avant, dans le cas présent, il ne devait pas y avoir de végétation dans le coin...

 

Lomé, je déjeune de croupions de dindes fumés, achète une statuette et deux bracelets d’ivoire dont l'un ,en ivoire rose (cette couleur étant probablement due à son entretien à l'huile de palme ); quelques heures après, je  suis en partance en 404pour la frontière vers Ouaga.

J’ai pris l’option 1ère classe (à l’avant), tout se passe bien à part que ce con de chauffeur a dû tirer comme un fou toute la journée car il s’assoupit, je m'en aperçois rapidement et le secoue, je lui dis « passe-moi le volant », il ne veut rien savoir, et continue la route à roupiller en conduisant, à la fin, il m'énerve trop, je le surveille en permanence et lui mets des calottes derrière la tronche à chaque fois qu’il pique du nez.

 

Dapaong, frontière, il est tard, je casse une croûte dans un boui-boui, puis vais roupiller aux alentours de l’endroit d’où partira le lendemain un taxi vers Koupéla ou Ouaga, pas un chat dehors ; bien sûr, pas d’éclairage urbain, le coin est sinistre, j’étends ma natte par terre et me glisse dans mon sac de couchage. Le lendemain matin, ma lampe torche a disparu.

 

Arrivée à Ouagadougou, je pose mes affaires au petit hôtel sympa dans lequel nous étions descendus avec Eric lors de ma deuxième descente, un taxi me mène aux bureaux du Point-Air, y demande un Ouaga-Lyon, toutes les places sont prises, je dois prendre un billet dont le numéro donne priorité chronologique si des places se libèrent, pour les autres, c’est remis à la semaine d'après, bonjour l'appréhension !!!!!

 

J’ai de la chance, nous arrivons de nuit à Lyon, je prends le train pour Bergerac.

 

 

_Douzième chapitre_

 

 

Une 404 break m’attendait, désespérant de voir un jour le soleil africain, je la prends par la poignée de portière et nous partons ensemble vers le sud.

 

Arrivé à Adrar, repas chez Ramdann, puis je vais faire les pleins, deux Français type zonards m’abordent et me demandent si je peux les emmener, réponse habituelle, 250 ff par tronche, ils tordent le nez, apparemment, ils sont arrivés jusqu’ici sans sortir une tune et me prennent pour le père Noël, je leur explique que :

1° Les transporteurs sont rares et plus chers que moi.

2° Je ne les étrangle pas (j'ai payé 300 ff lors d'une remontée moins confortable par cette piste), je peux quasiment demander ce que je veux car c’est ça ou rester planté on ne sait combien de temps.

3° Que c’est bien moins cher que la SNCF.

4° Que 150 kilos de plus dans la voiture n’arrangeront pas celle-ci.

5° Que leur équivalent en poids d’essence me rapporterait le double à Gao.

Je leur suggère de réfléchir le temps que je mette en fût le jus à régaler les carburateurs.

 

Cette bonne chose faite, je retrouve mes loustics, ils me disent qu’ils ne peuvent pas me payer tout de suite, car leur argent est enregistré sur le carnet de devises, je leur réponds que ce n’est pas un problème, ils me règleront à Gao, ils s'entreregardent, je comprends qu’ils veulent me faire marron, ils sont un peu jeunes......

 

En plein Tanezrouft, je demande :

_Vous n’entendez rien ?

_ Non.

_ J’ai une roue crevée.

 

J’entends très distinctement de l'air qui s'échappe à chaque tour de roue « pschit, pschit, pschit, pschit ».

 

Il faut dire que je suis perpétuellement sur le qui-vive, toujours un œil sur la température d’eau et le voyant d’huile, un son inhabituel m’alerte immédiatement et selon le type de crevaison, avec une oreille affûtée, on peut entendre le bruit que fait l’air en s’échappant d’un pneu crevé, je peux ainsi, changer celui-ci avant qu’il ne soit complètement à plat et ne s'écharpe.

 

Arrivé à Gao en fin d’après-midi, les gosses autour du commissariat m’appellent par mon prénom, Mamby est heureusement surpris et content de me voir en bonne santé car le bruit court, que lors de ma dernière descente, j’ai passé l’arme à gauche ; je laisse mon passeport à tamponner et les lascars remplir leurs feuilles d’entrée, vais en les attendant, m’en jeter une ou deux, peut-être trois à l’Atlantide.

 

Après les avoir récupérés, nous arrivons chez Gerry, des touristes sont attablés dans la cour, Gerry, lui aussi surpris de me revoir, se lève de table, et, me désignant dit à des clients : « vous n’avez qu’à lui demander !», un peu interloqué, je demande ce qui se passe, il me désigne un loustic au milieu de nanas, "monsieur affirme qu’il est impossible de faire Adrar-Gao en deux jours", je lui suggère de demander à mes passagers ; après que nous nous soyons congratulés, je m’installe à côté de Gerry, me mets au casse-croûte ; j’apprendrais que le coco interpellé traverse en Land-Rover, qu’il a joué les baroudeurs auprès de ses passagères pendant les trois jours pleins de leur descente, ça lui casse un peu son coup....

 

A la fin du repas, je demande à mes deux passagers de me payer, ils s’exécutent en tirant la tronche.

 

Le lendemain matin, je fais connaissance d’autres petits groupes, la plupart sympas et branleurs, dont un de chasseurs, ils sont venus de France avec des fusils de gros calibre pour casser de la pôvre bestiole de brousse.

 

Après le repas du soir, nous allons tous boire un coup dans les bars de Gao, l'Oasis, la Casa, le Twist-Bar, l'hôtel l'Amitié, nous finissons dans la seule "boîte de nuit", le Désert, les autres sont plus vite bourrés que moi car ils fument du shit acheté au Maroc, ne fumant pas, et ne voulant pas être de reste, je leur tape une boulette que je mâche, cela devient comme du chewing-gum au goût très fort, que je finis par avaler tout rond. Toute la soirée, j’en ai des renvois, c’est dégueulasse ! Nous finissons déchirés comme des cartables.

 

Le lendemain, pêche avec Mamby et Gerry ; toujours aussi mauvais, j’en suis de ma tournée.

 

Gerry se fait du souci pour ses superbes sloughis à la poitrine "PamélAndersonnesque", car la police jette un peu partout des boulettes empoisonnées pour tuer les clébards errants qui vont dans le cimetière déterrer et bouffer les morts la nuit. Le problo, est que les chiens du copain vont se balader à leur gré dans Gao, hélas, ils y passeront tous, car ces animaux n’ayant jamais connu de laisse, ne la supporteraient pas.

 

Quelques temps plus tard, je file au Bénin faire adopter ma voiture moyennant une modeste contribution.

 

Ayorou, c'est la Tabaski (fête (au sens propre) du mouton), il y a un bordel terrible, car se déroule en même temps le grand marché annuel aux bovins, il y a des bestiaux partout, y compris au milieu de la route, il faut avancer doucement, car ces magnifiques animaux sont à moitié sauvages ; ceux qui ont les cornes peintes en rouge ont au moins une mort humaine à leur actif, mais, ces bêtes, ayant une grande valeur marchande, ne sont pas abattues pour autant.

 

Avant Niamey, je vois des allemands en rade sur le bord de la route, leur 504 refuse de fonctionner, elle a beaucoup de mal à démarrer et quand elle le veut bien, s’arrête au bout de quelques kilomètres, pour couronner le tout, c’est une Diesel ! Je me penche un peu sur le malheur, et voyant que le gas-oil n’arrive pas bien, je leur demande s’il y a longtemps qu’ils ont remplacé le filtre, ils me répondent l’avoir changé à Tahoua (route de Tam), et que ça n’a rien amélioré, je ne vois qu’une chose : la crépine du réservoir doit être encrassée, démontant le tuyau avant le filtre à gas-oil, je mets une pompe à gonfler les pneus au bout, et leur demande de l’activer à plusieurs reprises, puis remonte le tout, pompe le gas-oil, la cacugne se met à tourner du premier coup comme une horloge, après leur avoir conseillé de nettoyer le réservoir à la première occasion, on va arroser ça (à leurs frais car, comme régulièrement, je suis quelque peu ruiné). C’est leur première descente, et ils me demandent où il est le plus facile de trouver un acheteur, je leur dis que j’ai l’habitude de larguer mes oignons au Bénin, ils demandent à me suivre, je n’y vois pas d’inconvénients s’ils ne me ralentissent pas.

 

Après la frontière Béninoise, nous allons boire une BB ; en face de la cahute, une 404 est basculée sur les portières, un berceau de pneus en guise de protection, un mec ressoude l’échappement, apparemment, c’est la technique locale pour réparer cet organe.

 

Nous voyageons de concert jusqu’à Parakou, j’arrive chez feu Nestor avec un caméléon au revers de la chemise et sec (ff) comme un coup de trique.

 

Les allemands ne m’ayant pas lâché la grappe, je décide de les taper, ils me passent un peu du l’arzent, je paie une tournée, une des petites serveuses me désigne discrètement un couple de jeunes Français au fond du restau et me dit qu’ils n’ont pas mangé depuis deux jours, qu’ils sont plantés et attendent un mandat de France.

 

Je vais leur demander si c’est vrai, « Oui », je retape mes allemands, et leur paie à becqueter.

 

Nous restons quelques temps à Parakou pour essayer de larguer nos trognons respectifs, les mômes reçoivent leur pognon et me remboursent, du coup, ils doivent aller à Cotonou, je leur propose de les transporter à l'oeil et leur tape de l’oseille pour apurer ma dette auprès des teutons qui commencent à me peser.

 

Le lendemain, nous nous arrachons sur Cotonou, le père de la nana travaille à Sokoto, au Nigeria, il est marié à une Ghanéenne qui compte faire du trafic d’or venant de son pays, je leur dis que le truc m’intéresse, s’ils cherchent un quatrième, je suis partant, nous décidons de faire la prochaine descente ensemble et de continuer sur Sokoto après avoir vendu nos trapanelles, prévenu, le paternel pourra préparer le terrain.

 

A Cotonou, nous échangeons nos adresses pour que je puisse les rembourser, nous promettons de nous tenir au courant de nos trouvailles automobiles une fois revenus en France.

 

Au Bénin palace, quelques copains et Basile sont heureux de me revoir, cette rumeur que j’ai claboté s’est vraiment répandue tous azimuts.

 

Un matin, je me fais agrafer par deux flics car j’ai dépassé le temps accordé pour dédouaner ou ressortir le véhicule du Bénin, je n’ai pas une tune à leur filer pour me sortir de leurs pattes, ils montent dans la voiture et m’ordonnent de driver sur le commissariat pour confisquer l’auto, je me débrouille pour passer devant chez Mohamed, un copain Libanais, il tient la boutique de tissus au mètre «Chic-choc» ; lorsque je suis à la hauteur de son échoppe, j’arrête la voiture, sors les clés du contact et dis aux flics « je reviens », me rue à l’intérieur, je casse le coup à Mohamed, et lui tape 3000 francs CFA pour régler l'affaire, soudain, des gueulantes nous parviennent du dehors, c’est un voleur qui est aux prises avec ses victimes et qui tente de s’échapper (avant de se faire écharper), les flics sortent presto de ma 404 pour l’interpeller, il se débat comme un beau diable, voyant le tableau, je dis « à tout à l’heure » à Mohamed, lui rends son oseille, monte dans ma voiture, et m’arrache, là, ça m’a frisé les moustaches !!

 

Après avoir vendu ma moulinette à kilomètres, je passe à Jonquet, direction Lomé, puis, dans la foulée, un Lomé-Dapaong, le soir venant, le taximan s’aperçoit que les phares ne fonctionnent pas, déjà que les routes sont dangereuses, là, ça fait beaucoup ; épaulé par un étudiant en médecine allant à Paris faire ses études, je persuade le chauffeur de s’arrêter avant que nous prenions un camion dans la tronche ; je coupe sous le capot un fil électrique non essentiel au fonctionnement immédiat de la voiture, fais une jonction directe de la batterie aux fusibles qui alimentent les codes.

 

Après Dapaong, frontière Togo/Haute-Volta, 7 heures du mat’, tout le monde descend, le prochain taxi en partance pour Koupéla est un petit Toyota, nous attendons toute la matinée ; à midi, deux places ne sont pas prises, je propose un deal à l’étudiant, payer à nous deux l’une des deux places libres au taxi driver, ce qui permettra de partir, car l’avion s’en va vers 11 heures ce soir, et que, comme c’est parti, ce connard va nous le faire rater.

 

J’explique le coup au cocher des chevaux-vapeur :

- « Nous te réglons une place, tu trouveras toujours des gens à prendre le long de la route pour compléter les deux places libres, cette place payée jusqu’à Koupéla sera tout bénéfice pour toi ».

 

Cette tête de cochon ne veut rien savoir, quitte à nous faire attendre trois jours, il veut partir voiture pleine !

 

Vers 12h30, une 504 plateau se pointe, avant que son conducteur ne rentre dans la maison devant laquelle il s’est arrêté, je le choppe, lui explique en deux mots la situation et lui demande s’il peut nous emmener, l’étudiant et moi, jusqu’à la prochaine ville, nous proposons le tarif taxi-brousse, il est d’accord, venu apporter quelque chose à sa mère, il n’en a pas pour longtemps.

 

¾ d’heure plus tard, il sort, le marché tient toujours, nous montons, les autres passagers nous voyant, demandent s’ils peuvent venir aussi, notre cocher n’y voit aucun inconvénient, toute la fournée du taxi se retrouve à l'arrière de la 504.

 

Je dis au chauffeur qu’il aurait dû accepter notre proposition qui était plus qu'honnête, que maintenant…etc….., l’insulte africaine épouvantable à cette époque était « immmmmbécile » avec un « m » très long et prononcé ; énervé devant tant de bêtise, je conclus ma diatribe en le traitant de la sorte et, la voiture démarrant, l’étudiant reprend « immmbécile », un autre passager, puis deux, puis trois, à la fin, tous les gens montés avec nous, de plus en plus fort et en cœur  : « immmbécile, immmbécile, immmbécile, immmbécile, immmbécile, immmbécile, immmbécile, immmbécile ».

 

Curieusement, le taximan disparaissant à l’horizon me regarde l’air pas content du tout ! En attendant, tout le monde est mort de rire.....

 

Tenkodogo, notre guide nous dépose, il ne veut pas d’argent, nous lui payons une bière pour le remercier de nous avoir sortis de cette embrouille, puis, nous prenons un taxi pour Ouagadougou ; attendant à un barrage, je regarde passer une charrette avec des herbes dont les racines portent des bulbes, ce sont des arachides, j’apprends ainsi que les cacahuètes ne poussent pas sur les arbres !!!

 

Nous prenons nos billets, ce n’est qu’une fois dans l’avion que nous pouvons souffler, à une demi-heure près, nous rations l’appareil à effacer les distances.

 

Arrivé en France, je profite du voyage Lyon-Paris en car pour aller visiter ma famille, deux jours plus tard, à Épinay, un copain de mon frère ayant appris ma mort, lui présente ses condoléances.

 

 

_Treizième chapitre_

 

 

Je trouve une 404 plateau plutôt fatiguée, chère 4000 ff (615 €), alors je me saigne car ce genre d’engin, assez rare, très fonctionnel, trouve toujours preneur à bon prix en Afrique.

 

Les jeunots me rejoignent en Dordogne, j’attendais une copine de Bordeaux pour lui dire au revoir ; ne pouvant pas attendre deux heures, ils se tirent, nous nous donnons rendez-vous à Adrar chez Ramdann.

 

J’arrive un vendredi (jour de repos) à la fin du ramadan chez Ramdann (elle est bonne celle-là), les « copains » sont passés la veille et ne m’ont pas attendu.

 

Ramdann est avec un pote à lui qui chauffe le car Adrar-Oran, j’ai une bonbonne de 5 litres de vin espagnol, de la bière, il me reste du Ricard, nous attaquons l’apéro vers 11 heures le matin, Ramdann boucle son estaminet.

Nous restons à table jusque vers minuit, déchirés ; le copain de Ramdann me dit qu’à Adrar il y a tout un réseau d’eau souterrain avec des ouvertures en surface pour puiser, ces puits s'appellent des foggaras, des poissons sans yeux y vivent, mais, depuis que l’eau est distribuée en canalisations par l’Etat on n’entretient plus ces puits qui commencent à se boucher, je trouve cela désolant, nous nous proposons d’y aller faire un tour, mais la soirée continuant, on passe à autre chose, nous rigolons comme des bossus, le chèche de Ramdann est tout de travers sur sa tête.

 

Le lendemain, je démarre tard, allez donc savoir pourquoi !

 

La 404 plateau n’est pas géniale pour passer dans le sable, les suspensions arrière sont très raides, les roues arrière, ne portant pas beaucoup, patinent facilement. De plus, la cabine, très petite, ne laisse pas circuler l’air

       Quelques dizaines de kilomètres après Anèfis, je vois dans le rétro l’horizon s'obscurcir rapidement, c’est une tempête de sable comme je n’en ai jamais connu : Extrêmement compact, on dirait qu’un château fort immense avance dans la même direction que la mienne, mais plus vite que moi, j’essaie d’accélérer, peine perdue, je vois des murailles de sable me rejoindre, puis grignoter l’arrière de la voiture qui disparaît dans le rétro ; d’un seul coup, obscurité complète, je stoppe en souplesse, dans la cabine, il fait plus noir que de nuit, pour connaître l'ampleur du phénomène, suivre ce lien, ou celui-ci.

Je ne vois pas ma main devant mes yeux, chaleur étouffante instantanée ! Je tire le frein à main, enclenche la première, sors de l’auto avec mon sac de couchage, le passe tête-bêche pour faire filtre à air, me couche devant la voiture, et roupille comme un loir ; quand je me réveille, couvert de sable, je ne sais pas combien de temps a passé, (à vue de nez deux ou trois heures), la tempête est finie.

Une centaine de bornes avant Gao, les bielles commencent à claquer, j’essaie de ne pas trop tirer sur la bête, mais j’arrive l’embiellage dans le sac.

 

Passage au commissariat, puis je vais chez Gerry.

 

Le lendemain, Sadou l’aveugle, déjà au courant de mes avatars, passe me voir ; il a un client à 1.000.000 de francs maliens (10.000 ff, 500.000 CFA) nets pour moi, il a la réputation d’avoir négocié des affaires sans que les services économiques n’aient fait d’embrouilles, je dis banco, une heure plus tard, l’affaire est pliée, je suis payé à peu près moitié en CFA, moitié en francs maliens.

 

Le soir, Gerry me montre une DS 19 qui stationne dans sa cour depuis déjà un bon moment, il écarte une ouverture pratiquée dans le siège arrière, en sort de l’herbe avec laquelle il se roule un joint comack ; des gens de passage lui ont demandé de garder cette caisse bourrée de drogue, les proprios devaient revenir pour la remonter en France, à mon avis, ils se sont dégonflés.

 

Le lendemain matin, je passe au commissariat déclarer que je vais vers le Niger sans m’étendre davantage sur mon moyen de transport (j’aurais dû ressortir du Mali avec mon véhicule), Gerry me droppe au barrage de sortie de la ville dans une 4L 4x4 récupérée du Paris-Dakar, quelques temps après, un camion moyennant quelques menus z'argents me voyage jusqu’à Niamey.

 

Au matin, je vais prendre un petit déjeuner à l’une des tables dressées sur le trottoir. Je m’assois à côté d’un client qui est en train d’exécuter un vigoureux tatouillage, après avoir passé ma commande, je m’enquiers de l'intérêt de cette puissante manipulation, le type m’explique que quand on prend du café en poudre, du sucre, qu’on humecte le tout d’un tout petit peu d’eau chaude et qu’on en exécute le mixage, cela donne un café digne des meilleures machines Italiennes. Un peu sceptique, je demande s’il peut, moyennant une tournée de ma part me concocter sa spécialité, il ne se le fait pas dire deux fois, demande, sérieux comme un pape au tavernier les ingrédients, prend deux cuillerées de café soluble (le plus ordinaire qui soit), deux sucres, quelques gouttes d’eau chaude, et se remet en action, quelques minutes plus tard, il me présente le résultat, ça donne une épaisse émulsion marron clair, puis, religieusement, il verse doucement sur le côté du verre de l’eau très chaude sans touiller, me le tend, je goûte, extraordinaire ! Ce maniement a complètement changé le goût du produit, ça frise l'expresso italien, je remercie le garçon qui est en train de s’en refaire un, règle le tout et me casse à la poste acheter des timbres pour expédier des cartes postales à la Mama et aux copains.

 

Nouvelle embrouille, le guichetier précise que si je veux poster une carte, le message ne doit pas comporter plus de 5 mots, adresse non comprise, je lui demande pourquoi, il me répond que ce sont de nouvelles consignes, un point, c'est tout... Après avoir acheté des appareils à faire voyager les cartes postales, je vais négocier quelques paysages cartonnés aux petites charrettes qui siégent autour de la poste.

 

J’ai inventé une formule dont je suis assez content : je calcule le nombre de cartes dont j’ai besoin, en fais deux tas ; sur les courriers destinés aux personnes qui se connaissent, je rédige des formules différentes sur des cartes différentes ; pour le second lot, je choisis plusieurs exemplaires de la plus belle des cartes que je trouve, recopie autant de fois le même message, cela simplifie bien la tâche et fait autant plaisir!

 

Après avoir rempli mes devoirs épistolaires, je vais expédier ma prose ; dans la poste, me vient une courante qui me tord les boyaux, je demande à un préposé si je peux profiter du matériel sanitaire de l’établissement, il m’indique une porte derrière les guichets, je m’y rends illico, je suis presque rendu aux gogues, qu’un balayeur me demande ce que je fais là, je lui réponds que je dois me rendre d’urgence aux cagouinces, ce connard lève son balai pour m’en mettre un coup sur la tronche, instantanément, je vois rouge, je le chope par les revers de sa veste, le soulève, et le colle au mur, fumasse, je ne sens pas son poids, un postier arrive, demande ce qui se passe, je lui résume l’affaire, il engueule l’autre comme du poisson pourri, je lâche le crétin et file aux chiottes.

 

Si vous avez un mal de ventre, quelqu’en soit la cause et la partie concernée et pas de médicaments sous la main, je vais vous indiquer la façon africaine de vous soulager : vous prenez une double dose d’anisette pure à 45° que vous buvez cul sec, c’est radical !!!!!!

 

Je vais visiter le zoo de la ville, des artisans d’art y ont un espace pour présenter leurs métiers et vendre leurs productions. Les animaux sont assez communs à tous les zoos hormis des bœufs Karouni aux cornes énormes et creuses qui leur permettent, en mettant la tête en arrière, de garder celle-ci au-dessus de l’eau pour respirer durant les traversées des rivières ; dans la partie musée se trouve un fossile de crocodile d’une longueur extraordinaire.

 

Bien que n’ayant pas revu mes futurs associés, je décide d’aller au Nigéria voir où en est la situation, continue ma descente jusqu’à Cotonou, vais boire un pot au Bénin palace, après avoir demandé un visa, je passe à Jonquet changer des nairas ; deux jours plus tard je prends le taxi-brousse vers Lagos, puis Lagos-Ilorin, attendant le taxi Ilorin-Kontagora, je prends une bière, je ne l’ai pas finie que le taxi, plein, s’impatiente, je tends ma bouteille à peine entamée à la pourvoyeuse de boissons fraîches qui me dit de la garder et de rendre la consigne à sa collègue de la prochaine halte, je la remercie.

 

Le taxi est une 504 familiale, huit passagers plus chauffeur, il pleut à verse, nous empruntons une très longue descente, dans le ravin en contrebas, des semi-remorques gisent, complètement éclatés, un virage, des voitures sont bloquées au milieu de la route, notre chauffeur, les yeux exorbités bloque les freins, le véhicule part comme une savonnette en travers de la route, un passager derrière moi gueule à pleins poumons quelque chose au conducteur, je saisis « brake » (freins), ce dernier lâche la pédale et réussit à rattraper l’embardée, on se regarde tous avec l’impression de revenir de l’enfer, à un cheveu près c’était le carton, je lève le pouce vers le conseiller technique pour lui signifier que j’ai apprécié son intervention. À Cotonou, un Béninois m'a raconté que le sport des camionneurs Nigérian est de mettre au point mort dans les longues descentes et de débouler le plus vite possible en hurlant à pleins poumons : "Ghana, Ghana"....!!!

 

Arrivé à Kontagora, je rends la bouteille consignée à la mama qui me fut indiquée à Ilorin et lui demande où je peux dormir car on ne circule pas de nuit au Nigeria, ça braque trop, sans pour autant prendre un virage ! La brave femme m’indique un petit établissement en rez-de-chaussée, j’y loue une pièce aux murs de béton brut, de deux mètres sur trois dont le mobilier se résume à un lit de fer, toutes les portes des piaules donnent sur une cour intérieure sans système d'éclairage, aucun signe de présence humaine.

 

Après avoir acheté un peu de croque, la nuit tombant, je retourne à ma turne, ferme à clé la porte d'acier munie d’un guichet grillagé sans carreaux ; deux ou trois heures plus tard, je suis réveillé par des grattements à hauteur de la serrure, quelqu’un essaie d’entrer et c’est sûrement pas le Père Noël, je gueule un bon coup à travers l’embrasure, ma voix résonne sinistrement dans la cour sombre.

 

Je vérifie que la clé est toujours engagée dans la serrure, la bloque en travers, empêchant ainsi son crochetage, pousse le plumard contre la porte. Toute la nuit, je suis réveillé par les tentatives d’intrusion, je braille régulièrement pour avoir la paix pendant une heure ; c’est pénible, surtout que mes gueulantes ne font venir personne, si les braqueurs avaient été plus virulents, ils auraient pu tranquillement me faire la peau après avoir cassé la porte, sans que nul n'intervienne.

 

Le lendemain, fin d’après-midi, j’arrive à Sokoto, trouver la maison du seul Français de l’agglomération n’est pas un prodige; quand les « copains » me voient, ils sont abasourdis, visiblement, ils tirent la tronche ! Coincés, ils me présentent au papa.

 

Le surlendemain, départ pour le Ghana dans le taxi d’un vague « frère » de la femme du paternel, elle emmène du matos probablement volé pour monter un salon de coiffure. Ils s’arrêtent en cours de route chez plusieurs marchands pour faire établir des factures bidons afin de passer aux douanes les différents matériels, mais on leur demande trop cher, leur histoire tourne en eau de boudin. Plus je les vois au boulot, moins j’ai envie de bosser avec de pareils bras cassés !!

 

Finalement, la belledoche reste à Lagos pour ses « affaires », nous partons vers le Bénin en taxi-brousse ; à la frontière nigériane, je passe tranquille, pour les « copains », ça coince, je me retourne, le douanier, tiré à quatre épingles leur dit « dash me », la copine me traduit qu’il veut leur taper du pognon. Elle pratique un anglais parfait à ceci près que, l’ayant appris au Nigeria, elle le parle «petit nègre», l’effet est saisissant ! Je demande combien il veut, elle répond une somme équivalente à un peu moins d'un euro, les copains se fendent, les passeports réapparaissent instantanément. Il est assez déstabilisant de voir un douanier à l’uniforme impeccable, dans une guitoune super clean, planquer les papiers afin de taper froidement de l’oseille.

 

Il faut dire que le Nigeria est considéré comme l’un des pays le plus craignos du monde, si une personne est soupçonnée de vol sur un marché, ça hurle de partout, les braves gens mettent deux pneus autour du con cerné (et consterné), l'imbibent de cinq litres d’essence et foutent le feu au colis.

 

Arrivés à Cotonou, il est évident que nous n’avons rien à faire ensemble, je les largue.

 

Je vais au Togo me renseigner sur le prix de l’or en provenance du Ghana, après avoir loué une paillote pas trop cher à la sortie de Lomé sur la route de Cotonou, je vais voir les hadji*, qui ont chacun leur place à deux pas de la frontière Ghana et attendent le client orifié à longueur de journée sans impatience.

 

Je branche un vieux bonhomme en lui disant que je suis acheteur, nous restons trois jours sans voir un gramme se pointer. N’ayant pas de matériel pour tester l’or, je fais deux ou trois bijoutiers à Lomé pour me procurer une pierre de touche et l’acide idoine*, aucun ne peut ou veut me procurer les objets, je retourne à Cotonou, où je trouve le tout pour 5000 CFA (15€) avec un petit cours à l'appui.

 

A Lomé, mon hadj n’a toujours pas vu de vendeur. Cassant la croûte dans un bouiboui, je lie connaissance avec des Algériens qui commencent à descendre en Afrique noire, apparemment, les visas se débloquent en Algérie. On en vient à discuter business, je leur dis que je veux faire dans l’or ghanéen, ils sont intéressés, on se promet de se tenir au courant. Je retourne voir mon contact.

 

Au bout de trois autres jours sans résultats, je commence à douter sérieusement que l’on puisse faire des affaires, je demande alors à mon type combien il vendrait le gramme d’or s’il lui en arrivait, il me répond 4.000 CFA (80 ff), je fais le calcul : le lingot de 1 Kg estampillé par la Banque de France se négocie officiellement entre 70.000 et 80.000 francs (12.250 €) dans une banque française, je comprends que j’ai perdu mon temps.

 

Je retourne à l’hôtel où logent les arabes pour leur indiquer le résultat de ma quête, j’y retrouve al-adji Bou Setta (Bou Setta car il a six doigts à chaque main), c’est le plus sympa, je lui confie ma déconvenue, nous cassons la croûte tous ensemble, ils sont sur une sombre histoire de mercure rouge dont j’ai déjà eu des échos, sans savoir si ce produit existe ou pas et si c'est le cas, s’il sert à faire de la fausse monnaie, des sacrifices plus ou moins vaudou ou des transmutations alchimiques.

 

Pensant ne pas continuer dans la voie aurifère, je leur donne mon matos acheté à Cotonou en leur expliquant comment s’en servir.

 

Le lendemain, je trace sur Ouagadougou, deux jours d’attente avant le départ de l’avion ; déjeunant à côté d’un Voltaïque, nous discutons de choses et d’autres, quand vient sur le tapis un sujet qui m’intéresse ; il connaît une maison hantée, m’explique les phénomènes qui s’y passent, et comment y aller, le repas fini, je file voir l’évènement. Une fois sur place, je n’ai pas de mal pour trouver la maison en cause, il y a un attroupement, les manifestations ont dû commencer il y a quelques temps déjà, car il n’y a plus d’herbe alentour, la maison est gardée par deux militaires en armes ; y allant au flanc, je demande à la soldatesque si je peux entrer, autorisation accordée. Tout est cassé à l’intérieur, une sainte vierge en plâtre n’a pas été épargnée (les esprits ne respectent rien !), dans le jardin, les canaris* sont bousillés, je sors et discute avec un jeune qui habite la maison juste derrière. Il a l’air très au courant du déroulement des incidents, pour pouvoir en parler tranquillement, je l’invite dans une cabane où l’on vend le produit brassé qui fait de la mousse. Les faits ont commencé dans la maison d’en face, un peu en diagonale, puis se sont déplacés dans celle-ci, des projections de pierres ont cassé systématiquement tout ce qui pouvait l’être, les gens ont été obligés de quitter leur domicile, puis retour au calme, je suis frustré d’être arrivé après coup ! Je demande à mon interlocuteur s’il ne se passe plus rien, il me répond que non, devant mon air désappointé, il me dit que par contre, chez lui se déroule quotidiennement une manifestation peu ordinaire, à partir de 16 heures, de petits cailloux invisibles descendent le long du toit ; il est 15 heures, je demande si je peux y assister, il me répond que ce sera avec plaisir, j'achète deux bières puis nous allons.

 

Après avoir fait le demi-tour du pâté de maisons, nous entrons dans une cour, mon hôte va chercher dans la demeure une petite table et deux tabourets, nous attendons, discutant et sirotant, à 16 heures pile, rien, 5 minutes passent, je me dis que je me suis fais mener en bateau quand j’entends rouler un petit objet sur la tôle ondulée, je me lève, me dirige vers le bord du toit, pour mieux voir car je ne distingue pas ce qui dégringole ; plus de bruit et rien ne tombe !!!!!

 

J’assiste ainsi à plus d’une vingtaine de descentes, ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est qu’à l’écoute (audition binaurale), on situe à quelques centimètres près la progression des objets le long du toit (d’après les sons irréguliers, ils ne sont pas ronds), lorsqu’ils arrivent au bord (qui est presque à hauteur des yeux), plus rien et la cour, en terre battue, parfaitement balayée, ne laisse aucune chance à un objet tombé de passer inaperçu, une supercherie consistant à gratter la tôle ondulée (comme les vaches) n’est pas possible car le dessous du toit est à vue. Je me place en face d’une dégoulinade (qui est assez lente), encore rien, c’est hallucinant!!! Puis les coulées se font de plus en plus rares et finissent comme elles sont venues, j’en reste comme deux ronds de flan, j’envoie un môme recharger les consignes pour arroser mon premier contact avec ce que je pense être le paranormal, comme plus rien n’est prévu au programme, je remercie de la visite et ripe les galoches, Sud-Radio relate c't'affaire.

 

Avion Ouagadougou-Lyon, train Lyon-Bergerac, micheline Bergerac-Couze et Saint Front.

 

 

_Quatorzième chapitre_

 

 

Je trouve une 404 ancien modèle en bon état.

 

L’huile du moteur est propre, je ne fais pas la vidange, prends quelques outils, une roue de secours supplémentaire et pour vendre, un moteur que j’avais enlevé d’une 404 précédente à cause d’une soupape cramée, plus un fut de 200 litres.

 

Pour mes déplacements en France, j’ai une 404 Diesel, afin d’éviter de payer une assurance en France, puis une autre au Mali, je peins les numéros de la plaque d’immatriculation de ma 404 Diesel sur la voiture que je vais descendre. Je prends de la peinture noire et blanche afin de repeindre les numéros originaux avant le Niger puis le Bénin qui n’exigent pas d’assurance pour les « touristes ».

 

En Algérie, à Foum-el-Kheneg, un oued d’une quinzaine de mètres de large coupe la route, deux scrapers bossent sur le site. Je fais signe aux zigs de m’aider à traverser, un scraper vient se positionner en marche arrière devant moi, le conducteur attache un câble gros comme mon poignet avec une manille du même calibre à l’arrière de son engin, me passe l’autre bout avec une attache plus petite que je fixe dans la patte de remorquage avant de mon auto ; je me dis que si quelque chose bloque la voiture, le conducteur m’arrachera tout l’avant sans même s’en rendre compte.

 

Sur son conseil, je protège l’échappement et le Delco avec des sacs en plastique ficelés. Il me demande si je suis prêt, bien que pas très convaincu, je lève le pouce ; démarrage en trombe, entrée dans la patouille, la voiture devient légère d’un coup, commence par flotter, à prendre l’eau par tous les orifices baset à dériver dans le sens du courant, heureusement, la traversée est très rapide, arrivé, j’ai quand même les mollets qui baignent et les fesses mouillées, quand j’ouvre la portière, une bonne quantité de flotte s’évacue.

 

Je remercie les scrapistes d’une demi-bouteille de Ricard, enlève les sacs en plastique, la voiture démarre sans se faire prier.

 

Borj Moktar,Tessalit, 30 ou 40 bornes avant Aguelhok, un autre oued coupe la piste, mais au Mali, pas de passeurs, 8 à 9 mètres à traverser et aucun détour possible !

 

Il n’y a pas à tortiller, il faut passer, vu la rapidité du courant, cela ne se calmera pas de sitôt.

 

Je recule d’une trentaine de mètres, prends mon élan, passe la seconde, à fond d'icelle, j’entre dans la flotte, une vague géante de chaque côté, je passe en aquaplaning, l’avant de la voiture fait un mètre sur la rive sur un ou deux cylindres et cale, les roues arrière restent dans l’eau, mais le plus dur est fait !

 

J’ouvre le capot, dessous, c’est les grandes eaux, le moteur est complètement noyé, ce n’est pas grave car le taux d’humidité du secteur est proche de zéro, je découpe des bandes dans un chiffon (les petites marionnettes), avec un tournevis, je les enfile dans les puits à bougies pour absorber l’eau, j’ouvre et sèche le Delco au maximum, attends une demi-heure, capot ouvert.

 

Je remonte le tout, donne un coup de démarreur, la voiture bredouille, puis les cylindres partent les uns après les autres.

 

Il y a de la flotte partout, l'Adrar des Iforas est noyé, aux principaux points submergés, la piste passe par des surélévations, j'ai une pensée émue pour les légionnaires qui ont dû les construire sous un cagnard de plomb ; arrivé à Aguelhok, je fais viser mon passeport, il y a trois camions englués de boue et pas mal de monde, ils ont eu de gros problèmes d’enlisements dus aux inondations, un Algérien sur l’un de ses deux camions me demande si j’ai du matériel à vendre, je lui réponds : « un moteur de 404 dont une soupape est à changer, j’en veux 2000 ff », il gueule aux petits pois, je lui dis qu’à Gao, je ne manquerai pas de clients, il m’en propose 1000 ff, je l’envoie chez plumeau, il n’est pas content du tout, surtout que la conversation se déroule devant tout les gens de son convoi, et qu’il veut faire le malin à mes frais, c’est raté.

 

L’autre camionneur, un Peul ayant assisté aux échanges me dit discrètement de l’attendre à la sortie du village.

 

La sortie d'Aguelhok est inondée sur 300 ou 400 mètres, afin de pouvoir traverser ce tronçon, je desserre la courroie de ventilateur, car sinon, elle entraînerait l'eau et noierait le moteur, puis j'y vais en première.

 

Il y a deux problèmes, le premier : est que l'on ne voit pas où l'on roule, le second : quand on desserre la courroie dynamo/ventilo-pompe à eau, celle-ci ne fait plus circuler l’eau de refroidissement du moteur, qui chauffe très rapidement.

 

J'entre dans l'eau doucement en prenant comme repère la piste émergée au loin, si je me souviens bien elle est droite sur ce tronçon ; je roule en restant en première accélérée pour ne pas caler sur une grosse pierre et de peur que l'eau n’étouffe le moteur en entrant dans le pot d'échappement, vu les glouglous de canot automobile qu'il me fait, il est sous la ligne de flottaison, je fais mon petit bonhomme de chemin en cahotant, je suis à moitié du parcours que l'aiguille de température est plus haute qu'elle n'a jamais été, je continue l’œil dessus, plutôt crispé ; finalement, j'arrive sur le sec, aussitôt je descends de la voiture sans arrêter le moteur, lève le capot, la flotte de refroidissement sort à gros bouillon par le bouchon de radiateur, je retends la courroie de ventilo et attends que la température baisse, peu de temps après tout redevient normal, je complète le niveau d'eau, et attends en laissant tourner le moulin.

 

Le Peul s’est dépêché d’arriver le premier, il descend de son camion, et laissant son monde, me demande s’il peut faire un bout de route avec moi, je réponds qu’il n’y a pas de problème, aussitôt qu’il est assis, je démarre, les deux autres camions arrivent plein pot.

 

Mon passager dit s’appeler Agali et être intéressé par le moteur, mais si je peux lui faire un prix, il serait content, je lui fais un rabais de 300 ff, qui lui convient, il me paiera à Anéfis, on se serre la main pour sceller l’accord.

 

Il me demande si je peux lui prêter mes lunettes de soleil, une fois que celles-ci acalifourchonnent son nez, il monte sur le siège passager, passe la tête par le toit ouvrant et tel un périscope des sables, me guide pour contourner les passages profondément engloutis, nous sommes en éclaireur, son camion et ceux de l’Algérien suivent.

 

Nous parvenons à Anéfis sans encombres, avant que nous n’arrivions au poste de police, à la demande d'Agali, je m’arrête au coin d’une ruelle, ses graisseurs déchargent le moteur, les camions de l’Algérien s’arrêtent à ma hauteur, il me demande pourquoi le moteur est par terre, je lui réponds que je l’ai vendu à Agali ; pourquoi ai-je soudain l’impression que la fumée lui sort par les trous de nez ?

 

Il n’est pas content…du…tout, et a l’air époustouflé que j’aie pu faire affaire sans son divin consentement.

 

Je lui récapitule l’histoire, je demandais 2000 ff, il ne voulait pas donner plus de 1000 ff, ce qui ne me convenait pas, j’ai traité avec Agali, l’affaire est conclue, on ne revient pas dessus ; les gens de son convoi sont atterrés que je puisse lui parler ainsi ; je lui dis que de toutes façons, je n’ai pas de compte à lui rendre, au milieu d’éructations diverses, il se met à me traiter de « chien de chrétien », l’expression délicieusement moyenâgeuse me ravit, je l’envoie chier en restant sur mes gardes car il écume de rage, et avec ce genre de taré, il convient toujours de se méfier.......

 

Là dessus, mon acheteur revient, me paie (j’apprendrai plus tard qu’il est chef d’une tribu Peule), l’autre enclume décarre.

 

Je pointe au poste de police, puis récupère mon guide, quelques kilomètres plus loin, il me demande de le déposer, me rend mes lunettes, descend, se penchant à la fenêtre passager, il me dit que si un jour j’ai besoin de quoi que ce soit, je passe le voir dans son village qu’il me montre au loin à droite de la piste, il me dépannera toujours ; son camion attend derrière, nous nous serrons la main avec chaleur, vraiment sympa le père Agali!

 

Quarante kilomètres avant Gao, je m’arrête prospecter le site préhistorique qui a été rincé par la pluie, ramasse quelques tessons de poteries, morceaux de haches cassées et un grattoir, soudain, j’aperçois un bout de pointe de lance de silex taillée en feuille de laurier à moitié enfouie, je vais voir de plus près, en priant qu’elle soit entière, je la tire d’un coup sec, comme au Poker, elle est intacte, quel pied!!!!!!! !

 

Je passe au commissariat de police signaler mon arrivée à Mamby ; Boubakar me dit que Gerry a déménagé dans un nouveau camping, je lui demande de m’y conduire.

 

Dès que je l’ai salué, lou Gerry me fait visiter ses installations, luxe suprême, il a fait un coin douche dont je profite avec un plaisir sans mélange, le seau de flotte, même quand on a le coup de main, est un peu léger pour se délester de la poussière de la piste. Il faut tout de même utiliser l’eau avec parcimonie, car c’est un camion citerne (ce n’est pas si brillant) qui va pomper l’eau au Niger (le fleuve) afin de recharger le réservoir de la douche et ce service est loin d’être gratuit.

 

Puis nous buvons une bière rendue fraîche grâce au frigo à pétrole (qu’à Gao on fait fonctionner au kérosène), un chouette type nous rejoint dans la soirée, Rose, la cinquantaine, il a installé, depuis longtemps, une fabrique de sodas qu’il parfume avec des arômes qu’il fait venir d’Europe, les capsules neuves étant rares, il rachète aux gosses celles qui ont déjà servi, les redresse et les réutilise pour boucher ses bouteilles ; quand il ne lui reste pas assez d’arôme chimique pour faire une série complète, il mélange les reliquats, c’est souvent surprenant !

 

Je reste plusieurs jours à Gao, presque personne au camping de Gerry, nous faisons quelques parties de pêche.

 

Un gros (surtout par le tour de taille) garagiste nommé Ousmane passe chez Gerry et me demande combien je vends ma 404, je lui réponds 950.000 f Maliens, il m’en propose une autre «nouveau modèle, trois compteurs» pour 400.000 f maliens, nous allons chez lui, il me montre une pôôôvre chose bleu-vert pâle mat, visiblement recouverte de la mauvaise peinture algérienne qui rend un aspect «peau d'orange», ayant passé 10 ans sans voir le goudron à part celui de l'huile du moteur qui apparemment n'a jamais été vidangé, je pense que rien que pour rigoler, ça vaut le coup d’essayer de faire une passe sur cette voiture ; quand elle tourne, les bielles jouent des castagnettes, mais je pense que c’est retapable. Je demande qu’il change crémaillère car la direction a un jeu d’un autre monde, les phares, enfin ; qu’il lui redonne un air de jeunesse, je passerai la prendre sous huitaine.

 

Le soir, à la fraîche, je fais part de ce plan à Gerry, lorsque nous entendons un fracas terrible dans la cour où est garée ma voiture, nous y allons, rien…….. J’ouvre ma portière pour en avoir le cœur net, mon fût de 200 litres est écrasé par le milieu et comporte maintenant trois côtés au lieu d'être cylindrique. Après avoir réfléchi, je trouve l'explication du phénomène : le vide créé par le carburant prélevé par le tuyau alimentant la pompe à essence est comblé par les vapeurs engendrées par les cahots et la chaleur de la journée, mais la fraîcheur du soir a provoqué le refroidissement des vapeurs qui, en redevenant essence ont provoqué un tel vide que la pression atmosphérique a écrasé le fut ; je file le tonneau à Gerry, car à Gao, tout se récupère.

 

Le lendemain, je ripe sur Niamey, une fois sorti du Mali, je m’arrête dans le no man’s land entre les deux frontières, sors mon mathos, commence par repeindre les plaques d’immatriculation en noir, laisse sécher quelques instants en sirotant un jus de houblon, cette bonne chose faite, les plaques sont quasiment sèches, je commence à repeindre les anciens numéros, m’appliquant, cela me prend quelques temps ; soudain, le silence est rompu par un énorme bêlement juste derrière moi qui me fait sauter en l’air ; concentré sur mon boulot, je n’avais pas entendu arriver un petit pâtre et son troupeau qui me reluquaient sans faire de bruit, on se dit bonjour de la main et je retourne à ma prestation graphique.

 

Ceci fait, je sors du chauffage la vraie carte grise de la voiture où elle était planquée, et cache au même endroit les papiers du véhicule resté en France.

 

J’attends encore un peu en cassant la croûte, puis humidifie les plaques et les salis avec de la terre pour que les numéros ne fassent pas trop neuf ; miracle, j’entre au Niger avec une immatriculation différente de celle avec laquelle je suis sorti du Mali.

 

Niamey, Malanville, je m’arrête à Parakou, prends l’apéro avec des Français. Au Bénin pour que la maison ne passe pas pour radine, il faut « faire pleurer » : le dosage des alcools se faisant avec de petites répliques de choppes à bière ayant contenu des pruneaux à l'Armagnac, « faire pleurer » consiste, quand la dose est pleine au dessus du verre du client, à continuer de vider la bouteille, inutile de préciser que l'on encourage vigoureusement la pratique et les serveuses, bonnes filles que l’on fait rigoler, ne font plus attention à ce qui a pleuré, après 6 ou 7 tournées, on est faits comme des rats.

 

Bohicon, je m'arrête boire une Bonne Béninoise au restau surplombant la route venant du Nord et allant à Cotonou, deux lascars un peu louches me branchent, ils disent connaître en brousse des villageois qui cherchent à acheter en commun une voiture à 500.000 f C.F.A pour emmener les fruits et légumes au marché, ils veulent 50.000 pour eux, banco.

 

Nous emmanchons la route d’Abomey, quelques kilomètres avant la ville, nous tournons à gauche sur une piste encadrée de brousse épaisse, une dizaine de bornes plus tard, nous arrivons dans un village où les habitants portent des vêtements conçus sur place, ils vivent visiblement en autarcie, les toits des maisons sont en végétaux alors que partout ailleurs sévit la tôle ondulée, je demande aux intermédiaires ce que je viens faire ici, les types me disent de ne pas m’en faire.

 

Mes VRP partent chercher le chef, une ribambelle de gamins s’approchent, d’abord timides, ils me parlent doucement la langue du coin sans crier, ils ne connaissent pas le vigoureux « Yovo, yovo, bonsoir, ça va bien, merci ».

 

Peu de temps après, mes loustics reviennent, me demandent de les suivre ; ils me présentent le chef du village qui ne parle que son idiome, petit vieux très doux, nous nous serrons les mains, le chef me conduit dans une grande case sombre, sort d’un coffre en bois une cassette en fer et me fait signe de prendre l’argent pour la voiture, puis il me laisse seul et décontenancé.

 

M’asseyant sur un tabouret bas, et posant la cassette sur une petite table, je commence à compter les billets ; en Afrique, pour simplifier le comptage de l’argent, on fait des tas de dix billets dont le dixième rabattu par le travers sur les neufs autres permet de faciliter la comptabilité.

 

Je commence à recompter le tout, les pincées ne comportent que 6 à 8 billets, me demandant si c’est une embrouille, j’appelle le chef, et, par le truchement de mes accompagnateurs, j’essaie de lui faire comprendre que les paquets ne sont pas réglementaires, il a l’air de s’en foutre comme de l’an quarante !

 

Laissant tomber, je retourne au turbin ; autre problème, il n’y a pratiquement que des billets de 500 et 1000 francs C.F.A soit < de 2 et 4 €.

 

Vidant la cassette sur la petite table, je pars à la pêche des quelques billets de 5000 f. C.F.A, les mets de côté. Puis reprenant les billets de 1000 je fais des paquets conformes, les billets ayant changé de mains des centaines de fois, sont dans un état de dégradation avancé, crasseux et froissés, je prépare 450.000 f. CFA pour moi, et 50.000 f. CFA pour mes indicateurs, refais des tas corrects pour le pépé-chef, laisse le tout sur la table, l’appelle, lui montre ce que je prends, sans préciser qu’une partie est pour mes guides, lui demande si c’est bien ce qui était convenu, il me fait confiance les yeux fermés, à croire que les Français du Dahomey laissèrent une bonne impression, car depuis, on dirait que le temps s’est arrêté !

 

Après des adieux, mes deux termédiaires me raccompanent à Bohicon, nous montons au restaurant où l'affaire a commencé, je paie une tournée de Béninoise, les rince comme convenu et cinq minutes plus tard, je suis dans un taxi-brousse qui part vers le Nord.

 

Labbezanga, frontière nigéro-malienne, attendant à la douane un transport qui m’avancerait sur Gao, je casse la croûte dans un petit restaurant tout en planches au bord de la route, je demande une écuelle pour mettre mes os de poulet, le maître de céans me regarde l’air ahuri et me répond en désignant la fenêtre « tu jettes loin ! », je jette loin, des chiens viennent aussitôt faire le ménage.

 

Un grand et mince Touareg (tautologie) mange à côté de moi, il a pris un poulet entier, ce qui n’est pas un exploit pantagruélique car les poulets bicyclette (appelés ainsi car ils sont toujours en train de courir à fond la caisse) ont la taille d’un gros pigeon monté sur échasses, ils ont les os extrêmement durs, fins et pointus, tels les gibiers français quand ils ne sont pas dégénérés (à ce propos, en Afrique, n’essayez pas de casser un œuf dur de poulet bicyclette sur la tête du voisin, vous lui feriez la bosse du siècle !!!) _Pour en revenir au Touareg, il dévore sa volaille en totalité, c'est-à-dire qu’il détache une cuisse, la mâche, l’os compris, s’ensuit un bruit de concasseur, quand il a fini, il ne reste rien pour jeter loin, çà, ça s’appelle manger un poulet ou je ne m'y connais pas !!!!!!

 

En fin d’après-midi, un Berliet délabré dont la caisse a été élargie et rallongée passe, la plaque d’immatriculation, bien que de travers et dans un état déplorable, est manifestement malienne, je fais de vigoureux signes au chauffeur qui arrête son engin dans d’épouvantables grincements de freins et de suspensions, je lui demande s’il va vers Gao, il me répond que c’est son terminus, hosanna ! Nous tombons d’accord sur le prix de mon passage : 10.000 f. maliens (15 €), je règle ma croisière, après avoir jeté mon sac en haut du chargement, j’escalade les ridelles, la cargaison est constitué de grands sacs d’ignames, en écartant quelques-uns, je me fais un creux, nous repartons à l’allure malienne qui ne risque pas l’excès de vitesse.

 

La nuit tombe, avec elle, une légère fraîcheur, je sors mon sac de couchage, m’allonge dessus, je contemple les étoiles si nettes, il fait doux, mon plan marche bien, je suis riche, pas pressé ; je m’endors bercé par le tangage et les multiples grincements du camion, dans un état proche de la félicité.

 

Nous arrivons le lendemain soir, je passe saluer Mamby, puis vais poser mes pénates chez Gerry.

 

Le lendemain matin, je retourne discuter avec le père Ousmane, je le trouve dans sa cour, affalé dans un fauteuil défoncé ; bien sûr, il n’a rien fait sur la voiture, sans lever son gros cul, il me dit de prendre ce dont j'ai besoin en pièces détachées dans son bordel ; au moment de faire les papiers, il me demande à pouvoir garder la carte grise malienne dont les droits de douanes sont acquittés (ce qui lui permettra d’en malienniser une autre d’un coup de peinture sur les plaques), s’il me trouve une carte grise française ça ne pose pas de problème (pour tout dire, ça m’arrange, car je suppose que les voitures maliennes n’ont pas la cote).

 

Je repars de chez lui avec mon nouveau carrosse, les ailes arrières sont de guingois par rapport au reste de la voiture, mais les Africains ne s’arrêtent pas à si peu de chose !!

 

Je commence par changer la crémaillère de direction, puis ayant fait tourner le moteur, je me rends compte qu'il ne pourra pas tenir jusqu'à Niamey, il claque trop, je décide une autopsie : le tomber et l'ouvrir n'est pas une opération nouvelle pour moi, quand je vois la tête du vilebrequin, mon optimisme naturel en prend un coup, je n’ai jamais vu un carnage pareil, la pièce est profondément rayée, et il n'y a pas besoin de pied à coulisse pour s'apercevoir qu'elle est ovalisée au dernier degré ; il faut la faire rectifier, changer les coussinets de bielles par de plus épais, les segments etc..., je ne pourrai réaliser ça qu’à Niamey. Comme je ne peux remonter les coussinets sans rattraper un minimum de jeux, je découpe des cales dans des boîtes de conserves en laissant un trou pour laisser passer l'huile vers les hauts de cylindres, pose celles-ci derrière les coussinets après avoir en limé les bords de façon à en diminuer le diamètre, en serrant, tout se met en place, je referme le moteur, verse dans le carter de l'huile algérienne (de bonne réputation à condition de faire la vidange tous les cinq cents kilomètres), avec un peu de chance je peux parvenir à Niamey.

 

Je me laisse vivre encore une petite semaine chez le père Jerry, l'après-midi nous allons à la pêche, de temps à autre l'ami Mamby nous accompagne, nous parions la bière (sauf Mamby qui doit être musulman), j’en suis chaque fois de ma tournée.

 

Après mes adieux à tout le monde, je ripe les galoches vers Niamey.

 

Un passeur de voitures rencontré à Cotonou décide de partir avec moi, ce qui m'arrange, car si le moteur lâche en route, c'est toujours mieux d'être deux ; la piste est défoncée comme jamais par les camions du fait des pluies, je suis obligé de solliciter le moteur plus que de raison, mais il tient le coup, Niamey, je me gare de nuit directement devant l'entrée du garage chez qui je fais réparer habituellement les échappements ou autres organes lacérés par les traversées de désert.

 

Mon coéquipier, s’inquiétant de l'ampleur des travaux, ne veut pas s’attarder, nous nous donnons rendez-vous au Bénin palace.

 

Le garagiste me réveille à huit heures du matin, nous discutons avec mon miraculeur d'autos de ce qu’il veut m’engourdir pour : sortir le moteur, le mettre en pièces, et quand je l'aurai retapé, le remettre en place, nous tombons d'accord sur 12.000 C.F.A (18,5 €), aussitôt, les mécanos attaquent la bête.

 

Je vais casser la croûte à la table qu'une mama a dressé de l'autre côté de la rue, elle a fait des choux farcis délicieux que j'accompagne de riz au gras et de vin rouge ; cette cuisinière d’élite insiste pour me faire goûter sa « sauce gombo* », je n’ai jamais pu me résoudre à mettre ce condiment dans mes plats, car, gluant et filandreux, il ressemble fortement à de la morve, après avoir tâté du bout des lèvres, je suis converti, c’est excellent, et, d’après les Africains, plein de vitamines, à l’avenir, je vérifierai si ces sauces y sont.

 

Après avoir pris un café pour pousser le tout, je suis en forme pour attaquer le morceau.

 

À 11 heures 30, l'intérieur de mon moteur dans un carton, je me rends en taxi chez « Niger-Soudan », la boîte de rectification d'une grande partie de tout l'ouest africain, dix minutes plus tard, je suis dans les bureaux de l’entreprise, demande à la secrétaire combien il faut de temps pour rectifier le vilebrequin, elle me répond que c’est l’affaire du tourneur ; je vais dans l'atelier où officie le personnage, il est affairé sur un gigantesque tour, j'attends qu'il relève la tête pour lui poser la question, il me répond qu'il pourra commencer quand il aura expédié les dix mètres de pièces qui sont alignées par terre, je demande si deux mille francs C.F.A dans sa fouille peuvent faire activer le mouvement, il appuie aussi sec sur un bouton de la machine qui s'arrête, sort la pièce en cours, la remplace par mon vilebrequin et se met en devoir de lui refaire une santé ; une demi-heure après, nous examinons le résultat, ce n'est pas brillant, le métal ayant été arraché sur une forte épaisseur, à la dernière cote de rectification possible, il manque encore des zones d'acier sur les manetons et tourillons. Les bagues d’axes de pistons sont complètement ovalisées.

Comme il n'a plus de temps à me consacrer, je les sors moi-même, mets en place des neuves, et les alèse assez serrées, car les axes que je ne change pas, ont du creux à l’endroit de portée, cela terminé, je cigle les deux mille francs C.F.A promis, le remercie et retourne voir la secrétaire qui est revenue de son casse-croûte ; j’achète un jeu de segments, les coussinets de bielles dernière cote correspondant à la rectification du vilebrequin, quand je demande les joints il y a tout, sauf le joint de culasse, c'est gênant, mais avec un peu de chance, le vieux conviendra.

 

Taxi, je pose mes pièces au garage, les mécanos ont du mal à croire que tout à été fait en si peu de temps, ils ne doivent pas souvent arroser le tourneur ! Je m'accorde une petite demi-heure pour casser une graine arrosée en face, puis je reviens gonflé à bloc. Le soir à huit heures je repars vers Cotonou ; douze heures pour retaper un moteur aux bielles coulées, je vais pouvoir m’inscrire aux 24 heures du Mans de la 404!

 

Hélas, au fil des kilomètres le moteur, se remet à claquer, pourtant l'indicateur de pression d'huile n'est pas dans le rouge, à Parakou je loue un coin de cour et redémonte mon engin, rien de visible, je ne comprends pas ! D’autant plus qu'une fois en place, il ne claque plus durant quelques temps, y aurait-il un fantôme Vaudou dans mon moulin ?

 

Je retrouve à Cotonou le copain de l'équipée sauvage Gao-Niamey, ayant vendu sa 404, 600.000 francs C.F.A = 1830€, il n'a pas perdu son temps, il faut dire qu'elle était de toute beauté.

 

Mon moteur reclaque, j’ai peur de tout casser, démontage, remontage, je ne trouve toujours pas la cause de mon tracas !

 

Buvant un coup au Bénin palace avec deux Français, je leur parle d'un projet que je mijote depuis quelques temps, aller acheter des diamants au Ghana, ils me disent qu'ils iraient bien goûter l'herbe ghanéenne, mon coéquipier de Gao y est déjà allé et y retournerait bien aussi, çà ne me plaît pas trop car il est radin comme un pou, lorsque c’est son tour de payer une tournée, il a toujours autre chose à faire, mais je n’ai pas le cœur à le rembarrer.

 

Je branche un black qui touche un peu à tout, si je l’embarque gratos, il se propose de me guider chez des vendeurs de diams, ça marche.

 

Le bruit court qu'il faut prendre des bons d'essence à la frontière car tout est rationné au Ghana, j'achète de l'huile alimentaire et des œufs, du sel, de la moutarde car j'ai bien l'intention de me faire une cure de langoustes qui sont, paraît-il, abondantes en bord de mer.

 

Quand je demande au copain où acheter les bons d'essence, il m’affirme que ce sont des racontars, O.K.

 

Nous partons un beau matin tous les cinq, à la frontière Togo-Ghana nous changeons au marché noir des C.F.A contre des cedis treize fois moins cher que le cours officiel, c'est une affaire qui part sur les chapeaux de roues ! Je prends beaucoup de cédis, en planque les neuf dixièmes, ainsi que mes CFA restant

dans le chauffage à côté de la carte grise de ma voiture française.

 

Au passage de la douane, on nous tamponne tous les objets, savons compris.

 

Aussitôt passé la frontière, la route est défoncée, les stations service carrément abandonnées, on se croirait dans un pays en guerre, je renifle mal le coup de l'essence, d'autant plus que, vu le cours du cedi, je n'ai pas fait le plein à Lomé!

 

Quand nous arrivons à Sogakofe, quelques stations services sont ouvertes, je m'arrête à l'une d'elles et demande le plein, le pompiste me répond « no problem, yours tickets, sir » je fais celui qui ne comprends pas bien l'anglais (ce qui n'est pas tout à fait inexact ) et remonte dans la voiture, j’engueule copieusement mon informateur puis cogite sur la manière d’en sortir, les autres ne voyant pas de solution, je leur dis : "je vais vous montrer", ce faisant, je m'arrête à une station de taxis-brousse, vais voir le premier chauffeur venu et lui demande combien vaut l'essence, il me donne un prix très voisin de celui que j'avais vu affiché sur la pompe, je lui demande de lui en acheter, il me répond que ce n'est pas possible à cause du rationnement, je lui propose le double, il sort de son coffre un jerrican et le vide dans mon réservoir ; me retournant vers Madame Soleil, je lui dis de raquer, si c'est moi qui règle, il se retrouve à pied, (il avait changé le minimum pour ne pas trop dépenser son bon l'arzent), je le regarde mettre son sang par terre et nous repartons lestés d'à peu près vingt cinq litres d'essence de mieux. Nous rechargerons une autre fois de cette façon au long de la route, mais en partageant les frais.

 

Le soir, nous nous arrêtons pour dîner ; les lucioles clignotent alors qu'en Côte-d'Ivoire juste à côté, elles ont une lumière fixe ; au cours du repas je m’engueule avec le black qui devait me présenter un vendeur de diams, il veut que je le rapproche des fournisseurs sans que je les rencontre, acheter pour moi et s'en mettre une bonne pincée dans la fouille au passage, et bien sûr, garder les plus belles pièces, il pense qu'en faisant le forcing il m'imposera son point de vue ; un facteur qu'il n'a pas pris en compte est que mon grand-père était breton et que j’en ai hérité d’une sacré tête de cochon, je lui rappelle ce dont nous avions convenu : je lui offre l'aller-retour gratos pour son business, bouffe qu'on prise, moyennant quoi, il me branche avec les mecs, (ce qui de mon point de vue est correct), mais visiblement, le bougre est devenu gourmand, et me prend pour une pomme à l'eau, je le sèche illico en disant que ce sera comme prévu ou pas du tout, il se tire, disant qu’il va dormir chez des amis.

 

Après un restaurant bien arrosé, les passagers achètent de l’herbe et se roulent des pétards façon autochtones, c'est-à-dire énormes et sans tabac.

 

A côté, nous trouvons un hôtel ; à la réception, embrouille : le cerbère nous demande de payer et de donner les passeports, mes passagers, faits comme des rats étalent leurs liasses de billets en s'esclaffant grassement, moi ne fumant jamais, j'ai l'esprit un peu plus clair, je vois tout de suite la tronche du mec s'allonger, augurant mal de la suite, je récupère mon passeport et me casse dans la voiture, les laissant patauger dans leur merde, je regarde de loin évoluer la situation, ils sont décomposés car le cerbère demande les feuilles de change et menace d'appeler la police ; finalement, le pipelet, (correct soit dit en passant) qui connaît parfaitement le cour du cedis au marché noir, multiplie le prix de la turne par treize, délivre un reçu, consternation dans les rangs!

 

Ils reviennent prendre leurs affaires, moi, je dors dans la bagnole.

 

Le lendemain, je trouve un mot sur le pare-brise m'informant que mon intronisateur en diams me laisse tomber, le billet est rédigé en un français irréprochable avec un " quant à moi " dont le « t », m’éblouit.

 

Deux jumeaux, que j’ai connus au Bénin palace, construisent un voilier à Elmina , je me dis que, faute de guide chez les diam’s boys, ils pourront peut-être me tuyauter.

 

En chemin, nous nous arrêtons devant un magnifique paysage, une anse que nous surplombons d'une cinquantaine de mètres, quelques anciens sont déjà là, contemplant le panorama, assis sur un énorme canon 18ème qui sert de banc depuis des générations, je n'en crois pas mes yeux, il mesure plus de trois mètres de long et doit peser plus de 3 tonnes ; nous assistons au départ d'une gigantesque pirogue maniée par une vingtaine de baraqués partant à la pêche ; ils la portent du sable sec au bord de l'eau sans efforts apparents ; au signal, car il y a une grosse vague à franchir, ils la poussent à la baille, sautent dedans et pagaient avec tant de conviction qu'elle fait un bond en avant sous chaque impulsion parfaitement synchronisée des rames, l’embarcation s'enfonce à chaque poussée au ras de l'eau.

 

Dans l'après-midi, nous arrivons à Elmina, au centre de la ville, il y a une maison fétiche, d’un étage aux volets clos, dont la terrasse est extraordinairement décorée de personnages peints encadrant un vaisseau à voiles style 18 ème siècle, un homme à la proue regarde dans une paire de jumelles, le tout, haut en couleurs, on peut dire que ça en jette ! Au coin des rues, se trouvent de magnifiques vieilles boîtes à lettres datant visiblement de la colonisation anglaise.

 

Laissant un gus dans la voiture pour la garder, je pars à la recherche des jumeaux, je n'ai pas de mal à trouver leur chantier, l’un des deux est au boulot, un énorme pétard à la bouche, ce n'est pas celui que je rencontre le plus souvent au Q.G qu'est le Bénin palace, mais on a déjà bu quelques coups ensemble ; bonjour, présentations, il nous invite à visiter son chantier, je lui dis que l'on ne peut pas s’attarder car un copain garde la voiture à cause d’une vitre qui ne remonte pas, il me répond qu’il n’y a aucun risque de vol. Revenus à l’auto, comme je n'ai rien de très précieux dans mon sac, je tente l'expérience de le laisser en vue, nous tassons les autres valises dans le coffre arrière que je ferme à clé.

 

Le bateau est bien avancé, c’est un voilier, à vue de nez il jaugera une petite dizaine de tonneaux, le chantier dure depuis deux ans, il faut dire que l'herbe ghanéenne rend les siestes bien longues! Au cours du C.F.A / cedis, je suggère qu’il aurait mieux valu acheter un bateau, ça n’accroche pas, construire est un truc sympa, ça les regarde.......

 

Au passage, je lui demande s'il connaît quelqu’un qui fait dans le diam', il me répond que non, je suis un peu étonné, mais il ne peut ( ou ne veut) pas me renseigner, ce n'est pas en insistant que je lui soutirerais une information car c’est peut-être leur business sous-marin ; je demande où louer une baraque pour une semaine, ça, il connaît et m’indique un endroit où m’adresser, nous retournons à la voiture, effectivement, malgré la vitre ouverte, personne n'a touché à mon sac.

 

Nous nous pointons à l’adresse indiquée, et, pour un prix insignifiant, louons une piaule face à la mer ; après notre installation, je demande au proprio de la turne s’il connaît un pêcheur de langoustes, il promet de m’en envoyer un. Quelques temps plus tard, celui-ci se présente, je lui demande s'il peut me fournir des langoustes cuites, de quelle taille et à quel prix ; pour l'équivalent de 50 centimes d'€ pièce (merci Mr. Blackchange), il peut me fournir des langoustes d'une quarantaine de centimètres, je lui en commande dix à renouveler tous les jours jusqu'à notre départ.

 

Le lendemain, il est là, quelques pièces n’ont pas toutes la taille, mais je ne lui en veux pas, après avoir réglé les crustacés, je demande s'il connaît quelqu'un pouvant me vendre de l'alcool de palme, il promet de m'envoyer le spécialiste du coin.

 

Ces bonnes choses faites, je retourne voir le copain sur son chantier, blancs et noirs sont déjà à la fumette, il me dit qu'il faut absolument que j'aille voir le fort portugais qui protégeait le secteur à partir du quinzième siècle ; j'ai l'estomac dans les talons, je retourne à la cabane, me fais une mayonnaise de derrière les fagots, avec mes colocataires, nous cassons les dix langoustes ; tout cela donnant faim, nous allons chercher un petit restaurant. Pas terrible, il n'y a que du poisson accompagné d'igname, la sauce est tellement épicée que lorsqu’elle dépasse des lèvres, elle brûle la peau du visage, de plus, pour pousser le tout il n'y a que des boissons gazeuses dégueulasses à deux parfums épouvantablement chères.

 

Nous allons visiter le fort qui vaut la peine d’en monter la pente abrupte ; il est en parfait état de conservation, on y entre par un petit pont-levis surplombant les douves dans lesquelles ont été jetées des pierres tombales brisées ; je descends pour les voir de près, le granit n’a aucunement été altéré par les ans, le soleil et les embruns d'eau salée, la plupart, datant des 15 et 16 ème siècles, portent des noms portugais. Gravures anciennesVues Google Earth.

 

À l'époque, l'entrée n'était pas payante et hormis quelques pékins éparses, pas chat dans les lieux, nous pénétrons dans la cour, puis montons sur les remparts, les canons d'époque sont toujours là, mais pointés vers le ciel, posés, moitié sur les créneaux, moitié par terre, les affûts d’origine étant pourris depuis longtemps, l'endroit est gigantesque. Diaporama de photos anciennes.

 

Nous passons quelques jours tranquilles, tous les soirs, un vieux passe m'apporter ma bouteille d’un peu moins d’un litre d'alcool de palme, tous deux, assis sur le tronc couché d’un cocotier, nous nous la repassons, (en silence car il ne parle pas anglais et moi, pas le Ghanéen) jusqu’à épuisement du flacon, en contemplant les somptueux couchers de soleil sur la mer.

 

Me promenant sur une plage avec l'arrière petit-fils de Noé, je suis étonné de la multitude d'étrons constellant le sable, il me répond que c'est le chiotte du coin, effectivement, nous parvenons à la hauteur d'un type accroupi en plein office, il nous salue de la main avec un grand sourire et un tel naturel, que cette condition, tellement humaine ne gêne personne.

 

Le lendemain, sur une autre plage (peu parsemée de déjections, car éloignée des habitations), sur laquelle se prélassent des autochtones, passe un camelot, une petite caisse peinte de couleurs vives, tenue autour du cou par une lanière tel un marchand de glaces en France, mais lui, vend de l'herbe en rouleaux de papier bible de six centimètres de diamètre sur vingt de long, pour utiliser, no problèmo : vous ouvrez, faites un tas triangulaire de l’herbe sur le papier, vous roulez le tout, léchez le bord pour coller, vous vous retrouvez avec un pétard impressionnant, type cône de glace en Europe, vous allumez le gros bout…….et.....roulez petits bolides.....!!!! Bien sûr, pas de tabac, produit hors de prix en ces lieux.

 

Quatre jours de ce régime, je me dis qu'il faut que je me remue le popotin si je veux réaliser mon plan diams ; prenant le taureau par les cornes, je vais me balader en ville, m’arrêtant au marché, je vois un type habillé en chemise et pantalon à contrario des autres gens vêtus à l’indigène, je me dis qu'il doit parler anglais, je l'aborde sous prétexte de lui demander s'il sait où l'on peut acheter de la lessive, (denrée contingentée, rarissime, vendue sous le manteau), ce sera mon test pour embrayer sur le but de mon voyage ; il me guide dans l’arrière d’une petite boutique en bois, je l'étudie pendant qu'il traite l'affaire, il a l'air de prendre soin de mes intérêts.

 

La transaction faite, je lui propose d'aller boire un coup à côté pour continuer à discuter, ce que nous faisons devant une bouteille d'alcool de palme, puis, je me dis que c'est maintenant ou jamais, je lui déballe l'affaire, pas plus étonné que ça, il me dit que je tombe bien car il a un cousin qui est mineur au nord, sur la route de Koumassi.

 

Il m’explique en deux mots comment s'y prendre, car il faut passer deux barrages de l'armée.

D’abord, laisser ma voiture près du marché, puis prendre le taxi-brousse ; j'ai décidé de lui faire confiance, alors allons-y ; je commence par aller seul dans un coin tranquille pour sortir tous les cedis planqués dans le chauffage avec ma carte grise française et mes CFA restants, cela fait, nous allons à la station de transports en commun, montons à l'arrière d'une 404 plateau déjà bourrée qui ne tarde pas à démarrer vers le nord, nous roulons un bon moment en brousse, de temps à autre je vois d'énormes pirogues sur le côté de la route attendant leur transfert vers la mer ; soudain, mon guide me dit que c’est le moment de passer sous le banc, il parle rapidement aux mamas qui s’écartent et me cachent sous leurs boubous, je deviens invisible, la voiture s'arrête, petite palabre, nous repartons, mon guide me dit de ne pas bouger, deux kilomètres plus loin rebelote, puis mon coach m’avertit que je peux réapparaître, je remercie à la ronde, visiblement l'épisode a amusé tout le monde, une demi-heure après, arrêt, nous sommes les seuls à descendre, un signe de la main pour adieux, on me répond de même avec bonhommie et des sourires jusqu'aux oreilles.

 

Nous allons devoir attendre dans une case dotée d’une table et de deux bancs, ouverte à tous, qui est un peu en retrait de la piste dans la végétation, car les mineurs ne sont pas encore revenus du boulot.

 

Une heure passe, un car s'arrête, un type en descend, mon mentor le branche, me fait signe de les rejoindre ; le quidam sort, sans se faire prier, une petite bouteille de verre, avec un diamant baignant dans un liquide translucide ; n'en ayant jamais vu, je suis étonné par la grosseur du morceau, il fait plus d'un centimètre de haut, en forme de cube-losange, les faces légèrement arrondies et striées, je lui demande combien il en veut, il me donne un prix que je divise par deux pour entamer la discussion comme l'on fait en Afrique francophone ; il me fait non de la tête, pas fâché, un autre bus arrive, il monte sans que j'aie eu le temps de faire une autre proposition, nous retournons dans la petite case pour attendre, car, si un véhicule de l'armée passait par-là je me ferais embarquer illico pour trafic ; au bout d'un long moment, les mineurs, prévenus commencent à se pointer, je me suis assis sur un banc, la table devant moi ; chacun d’eux me propose un petit lot de diamants dans un papier plié d’une façon spécifique ; ils sont beaucoup plus petits (+ ou - la taille d’une tête d’allumettes) que celui que j'ai vu en premier, de toutes formes, toutes couleurs, n’en ayant jamais vu auparavant, ils pourraient me refiler des éclats de pare-brise, je n'y verrais que du feu, au début je fais des contre-propositions trop basses et les mecs repartent sans insister, pas contrariés, les Ghanéens sont vraiment cools ! Puis je prends le rythme, je baisse un peu le prix proposé, empoche le lot et paie le vendeur en ponctionnant mon tas de billets posés sur la table.

 

De temps à autre me vient l'idée qu'ils pourraient me faire la peau et me dépouiller, je suis tout seul, et personne ne sait que je suis là.

 

Les transactions se sont faites relativement vite, le dernier mineur passé, j'ai claqué une très grande partie de mes cedis.

 

Nous disons au revoir à tout le monde, sur un signe, un taxi-brousse s’arrête, nous montons dedans, curieusement, mon guide me dit que ce n’est pas la peine de se cacher pour le retour, que lorsque nous franchirons les barrages, si l’on me demande quelque chose, je déclare que je viens du nord ; ça passe comme une lettre à la poste. A Esiam, nous montons dans une vieille camionnette anglaise entièrement refaite en bois, sans vitres, absolument magnifique ; les gens me sourient. Le soir, nous sommes de retour au marché d'Elmina, je demande à mon compère combien je lui dois pour ses services, il me faut insister ; il me dit un prix, mais il ne me reste plus de quoi lui régler la totalité de ce qui m'est demandé, je lui donne tout les cédis qui me restent, il me donne son adresse pour que je lui dise bonjour si je repasse par chez lui, c'est vraiment un brave type, j’ai été enchanté de le connaître, on se serre la main.

 

De retour à la piaule, je suis accueilli par un nuage de fumée d'herbe, je montre ma pêche, notre prédécesseur au Ghana me dit en avoir acheté lors de son dernier voyage, mais beaucoup plus petits que les miens, je biche comme un pou, il n'empêche que le souvenir du premier vu dans la petite bouteille, me reste en travers du gosier.

 

Maintenant que j'ai fait mon coup, je ne pense plus qu'à gicler ; reste le problème de l'essence, j'en parle à une demie partie de la paire de jumeaux, qui m’informe : « ici, il n'y a que du mélange pour moteur hors bord à 5% d'huile deux temps », je dis que cela ira très bien ; demandant la participation de mes passagers j'en achète 40 litres puis nous reprenons la route direction Lomé.

 

Au moment de traverser la frontière, mes passagers flippent, ils ont peur que le black qui était avec nous à l’aller nous ait balancés ; j'essaie de les raisonner : «s'il l’a fait, il a grillé son business», peine perdue... 

Il fait noir et lourd, la voiture s'insinue dans une foule bigarrée, je m’arrête cent mètres avant la douane, ils partent à pied.

 

UJe laisse passer une demi-heure, ensuite, je tente le drop et passe comme une lettre à la poste, je les récupère après la frontière, nous dormons à Lomé où ils décident de rester, le lendemain je suis de retour à Cotonou, il faut que je redémonte mon moteur qui claque à nouveau depuis un bon moment. Je pratique l’opération dans une petite cour à côté du Bénin palace, je lui ressors les tripes, constate de nouveau que les axes de pistons n'ont pas plus de jeu que çà, les bielles pas davantage, je dois être comme Gliani (maudit) !!!

 

Au Q.G, je trinque avec un Français trop curieux, rouquin, légèrement barbu, il traîne là sans raisons apparentes n'ayant rien à vendre, pas de boulot, enfin, ce n'est pas mes oignons...! Devant une bière, nous discutons de mon problème, il me demande si j'ai vérifié les rampes de culbuteurs, effectivement la chose ne m'était pas venue à l'esprit, je lui avoue mon scepticisme tout en me disant que cela fait trois fois que j’étripe ce putain de moulin sans trouver l’origine du bruit inquiétant ; à tout hasard, je vais essayer. Une fois les culbuteurs isolés, je vois que le type avait raison, les bagues en sont usées au dernier carat, ce que je n'ai pas pu voir, car rampes et culbus se sortent d’un bloc ; lors des remontages précédents, je faisais les réglages, tout allait bien, puis en fonctionnant, l'ovalisation regagnait et les claquements avec.

 

J'achète le bout d’occase 5000 francs C.F.A (15€) au patron de la cour, pendant sa mise en place, passe un marchand folklo en habits chamarrés avec une large ceinture rouge dotée de crochets auxquels sont suspendus des gourdes et de petits gobelets de laiton (comme on dit à l’Est), il a les yeux complètement injectés de sang, l’assistance me suggère de payer un coup, toujours curieux de spécialités autochtones, j’arrose tout le petit monde qui fait cul sec, vient mon tour, je fais de même, trichloréthylène !!!!!! Impossible d’en recracher une goutte, car j’ai tout expédié dans le fond suivant la pratique locale, je peux dire que le trichloréthylène n’est pas ma tasse de thé !!!!!!

 

Pour en revenir aux pièces détachées de 404, il est étonnant de constater que Peugeot ait pu se faire supplanter aussi rapidement en Afrique par les constructeurs japonais, la maison était Peugeot était enracinée depuis des décennies, les Africains connaissaient et aimaient cette mécanique simple et robuste, après, on s'étonne de l'état dans lequel se retrouve notre pays (et ce n'est que le début...!!!!!!).

 

La nouvelle rampe installée, tout redevient normal, les boules !

Enfin, je saurai qu'un joint de culasse peut être démonté et remonté plusieurs fois, sans inconvénients.

 

De retour au Q.G, je paie la tournée pour éponger le trichlo et remercier mon tuyauteur, puis m’occupe de larguer mon os ; le hic est que des types ont dû se faire poisser à vendre des voitures volées, car, pendant mon séjour au Ghana, est passée une directive selon laquelle toute voiture vendue doit subir une inspection au commissariat de police qui vérifiera les numéros de châssis, carte grise, etc......

 

On ne peut pas dire que cela arrange mes bidons ! Je me sens plutôt à l’étroit dans mes baskets avec la carte grise dont aucun numéro ne correspond à ceux de la caisse à fourguer !!!!!

 

Le lendemain matin, de bonne heure, j'informe les intermédiaires que je vends la voiture 400.000 C.F.A ce qui est peu cher pour un nouveau modèle, aussitôt ils me disent avoir un acheteur, que je la mette de côté, c’est d'accord, je reviens à 11 heures du matin. Un copain Libanais, ami de Mohamed, louant une grande maison, m'avait proposé gratos une de ses piaules libres, ce qui ne se refuse pas, je retourne chez le pote, lui dis que je vais vendre la voiture et partir directement sur le Togo ; on se dit au revoir.

 

Je plie mes bagages, les laisse sur place. Maintenant il s'agit de jouer fin, car la prison au Bénin, c'est pas la joie : Doudou qui a eu une embrouille peu de temps auparavant en est ressortit avec des taches blanches partout et m’a décrit l’endroit : une pièce avec une tôle ondulée sur le toit, peu haute pour que l'on ne puisse pas se tenir debout et tellement bondée que personne ne peut s'allonger, une sortie d’une demi-heure par jour pour s'abreuver et se laver en moins d’une minute car il n'y a qu'un robinet pour tout le monde. A ce moment, j’ai déjà un pied dedans.

 

Il faut que je joue ma partition au millimètre ! J'arrive à la terrasse du Bénin palace à midi dix en disant que je m'excuse, mais j'ai un client pour la voiture, consternation du client et des intermédiaires qui voient la commission leur passer sous le nez ; ils cherchent à me faire changer d'avis, j'écoute leurs arguments tout en regardant discrètement ma montre, car je me suis renseigné, le commissariat ferme à midi et demi, à midi vingt, succombant finalement à leurs raisons, je prends les billets en chipotant, leur disant que nous devons aller au commissariat ensemble, il est fermé ? Ah bon, nous irons après le repas ; je laisse les papiers et les clés de la voiture à son nouveau propriétaire.

 

Je demande au garçon avec ostentation de m’apporter le plat du jour dans la salle climatisée ; le client s'arrache avec son nouvel engin, les intermédiaires vont dans un coin s'écharper pour la commission que je leur ai donnée, je vais aux toilettes comme si j'allais me laver les mains, et déguerpis par la cour de l'hôtel qui donne sur le côté, Basile ne va pas être content, mais je n'ai pas le choix.

 

Aussitôt, je vais prendre mes fringues, Jonquet, taxi-brousse direction Lomé ; passée la douane togolaise, je respire (j’apprendrai lors de ma descente suivante que les intermédiaires et le client m’avaient poursuivis et que j’avais franchi la douane Togolaise sous leurs yeux) !

 

A Lomé, le prochain taxi pour Dapaong est une 404 plateau, j’attends tout l’après midi avant qu’il ne soit plein, et prêt à partir.

 

Quand tout le monde a payé son écot, le propriétaire laisse au conducteur de l’argent pour l’essence (le chauffeur part avec l’essence calculée au plus juste et doit trouver son salaire et le montant du carburant sur les places du retour), nous montons dans l’auto, le moteur part, pas moyen de passer la première. Le patron a l’air de trouver ça normal, il dit aux passagers de descendre, au chauffeur d’enclencher la vitesse, tout le monde revient à bord, la voiture démarre ; j’augure mal des 750 kilomètres à venir.

 

Nous roulons toute la nuit, aux arrêts, avant de remonter dans l’auto, les gens attendent désormais que le chauffeur ait passé la première, après, tout va bien ; le problème est que le châssis de la voiture doit être cassé, la voiture surchargée, il plie, de ce fait, il est impossible de passer la première.

 

Après Sokodé, la route grimpe, le taxi, dont le moteur est fatigué, refuse de monter en seconde, le chauffeur se met à faire patiner l’embrayage pour avancer, ça commence à sentir le cramé, je lui dis d’arrêter, car s’il fume l’embrayage, le voyage dans ce véhicule est fini, il faudra en trouver un autre, et repayer la course, on n’est pas sorti de l’auberge !

 

Je gueule par l’ouverture permettant de parler au chauffeur, le bougre ne veut rien savoir ! y passant carrément la tête, je finis par lui éructer dans les oreilles «arrêtes, tu vas bousiller l’embrayage», il finit par consentir à stopper en pleine montée.

 

Tout le monde descendu, impossible de passer la vitesse, je dis au chauffeur que je vais l’aider à l’enclencher à la main par en dessous, demande un chiffon et me glisse sous la caisse vers les tringles de vitesses, à deux, nous parvenons à l’engager ; par hasard, mes yeux se posent sur l’arbre de transmission, la canalisation de freins qui court sur sa longueur a été coupée, il devait y avoir une fuite de liquide aux freins arrières, pour résoudre le problème, un petit malin a sectionné et replié le tuyau pour qu’il n’y ait plus de fuite ; la voiture, 19 personnes et une demie tonne de fret ne sont arrêtées que par les freins avant.

 

Tout ce petit monde remonte dans la voiture, et nous parvenons à Dapaong sans plus d’incident.

 

Changement de taxi à Koupéla, puis Ouagadougou, je vais direct chez « Point-Air » prendre mon billet, en sortant, je retrouve un mec vu au Bénin palace, un peu spécial, français, maigre, grand front dégarni, des idées délirantes, mais pas méchant, il garde l’appartement d’un compatriote, si je veux dormir chez lui, il y a un deuxième lit pour moi dans la piaule, je dis banco, nous passons le reste de la soirée à manger et boire de la bière, puis nous allons dormir.

 

Nos deux lits se font face, vers trois heures du matin, je suis réveillé par un cri, suivi d’un rire démoniaque, le type est assis dans son pieu, et pousse des hurlements qui me font dresser les cheveux sur la tête (à l’époque, j’en avais), j’ai le cœur en vrac ! J’allume ma lampe électrique, il a les yeux révulsés, c’est affreux ! Puis, il retombe en arrière d’un bloc, la crise est finie, j’ai un peu de mal à rendormir (coquetterie linguistique).

 

Le lendemain matin, nous allons prendre le petit déjeuner dans une gargote, je lui demande s’il a bien dormi, il me regarde d’un air étonné, « oui, pourquoi ? » Je ne lui dis rien, après tout, ça n’a pas l’air de le déranger, autant ne pas l’inquiéter.

L’avion est à l’heure, Lyon.....

 

 

 

_FIN_

 

 

C’était une époque géniale, je pouvais partir tranquille avec 2000 francs (300 euros), aller de France au Bénin avec seulement mon passeport, pas besoin de visas, dans des voitures coûtant trois francs six sous, je rencontrais des gens sympas, nos cuites étaient bercées par Bob Marley et consort (comme on dit en Afrique), des fois, ça coinçait un peu, mais en général, l’affaire s’arrangeait tranquillement.

 

Quand on voit qu'en une quarantaine d'années tout ce climat tranquille et serein a complètement basculé, cela augure mal de l'avenir.....

 

Je referai d’autres voyages avec des Berliet, puis une 504, mais ces histoires sont moins drôles, une autre fois peut-être…

 

 

_Glossaire_

  

_ Abomey : Fut la capitale du Dahomey, dernier roi : Béhanzin

_ Agouti : Mammifère rongeur de la taille d’un lièvre et haut sur pattes

_ Atlantide : Hôtel le plus classe de Gao, le seul qui avait l’électricité à cette époque.

_ Banko : Briques de limon du fleuve mélangé à de la paille, des copeaux de bois ou n'importe quel végétal, du limon encore en guise de ciment et vous avez une maison fraîche et relativement solide dont la terrasse-toit est faite de troncs de palmiers fendus.

_ Béhanzin : 1844-1906, dernier roi du Dahomey, fils de Gléglé.

_ Bisse (prononciation africaine pour biche, (antilope)).

_ Canaris : grosses poteries poreuses mi-enterrées, la porosité du matériau permet une évaporation qui tient l’eau contenue fraîche.

_ En 1978, 100 francs C.F.A = 2 francs Français = 0,304898 €uros.

_ Cora : Instrument de musique doté les multiples cordes, et dont la caisse de résonance est une calebasse.

_ Cramcrams : Sortes de boulettes végétales munies de crochets piquants.

_ Fech-fech : Sable pulvérulent.

_ Francs 1978 : 100 francs maliens = 1 franc français ; 50 francs CFA = 1 franc français = 0,1524€.

_ Gombo : Fruit d’une plante des régions tropicales ressemblant à un cornichon anguleux, condiment.

_ Guerba : Peau de chèvre servant d’outre, on vide la viande et les os par le cou et les pattes, puis, on traite la peau avec des herbes, la peau étant légèrement perméable, l’évaporation fait que l’eau reste fraîche.

_ Hadj (hadji au pluriel) : Sage ou notable musulman, initialement, un hadj est une personne qui s’est rendue en pèlerinage à la Mecque.

_ Igname : Plante ressemblant à une grosse betterave à vache, à chair blanche, se cuisine comme la pomme de terre.

_ Mathieu Kérékou, né le 2 septembre 1933 à Kouarfa (Bénin), non loin de Natitingou, et mort le 14 octobre 2015 à Cotonou.

_ Latérite : Terre ocre rouge régulièrement utilisé pour ses propriétés mécaniques à la confection de pistes.

_ Mama-Benz : Appelées ainsi par les Africains parce que grandes, riches, solides, très enveloppées, d’où le parallèle avec Mercedes-Benz ( ce sont des businesswomen averties).

_ Markouba : « herbe à moutons », 6 à 7 kms de sable mou ponctués de mottes d’herbes très dures.

_ Naira : monnaie du Nigéria

_ Pierre de touche : Pierre de jaspe noir servant à tester les métaux de bijouterie au « touchau », on frotte le métal pour laisser une trace, ensuite on le teste aux acides différemment dosés comme l’eau régale (1/3 d’acide nitrique, 2/3 d’acide chlorhydrique) pour déterminer le nombre de carats composant le métal.

_ 6X6 : Les voitures ou camions ayant plus de 2 roues motrices sont indiquées par le nombre de roues total suivi de « X », puis du nombre de roues motrices, ex : 6X4=2 roues libres+4 roues motrices, dans le cas qui nous occupe, les 6 roues sont motrices.

_ Takoubas : Epées tamashek plates à bout rond très tranchantes.

_ Tamashek : Touareg Malien. Quelques rudiments de Tamashek : Keltina

 

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_Dépôt au SNAC n° 3-5077 du 10/10/2003

_Dépôt à la SGDL n° 2004.10.0053 du 06/01/2004

_International Standard Book Number (ISBN) : 978-2-7466-4166-2

_Dépôt au SACD :
_Titre de l'oeuvre : Yovo, yovo, bonsoir
_Numéro de dépôt 000042481
_Fichier déposé : yovo, yovo, bonsoir.7z
_Catégorie : Audiovisuel
Empreinte numérique SHA1 c4241a91bd46a732a6819daaf73d2b03d550f01

 

_1er enregistrement chez Copyright dépôt.com  
http://www.copyrightdepot.com/rep30/00034393.htm

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Publication livresque :

 

The Book édition

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